Sociologie du droit Par Max Weber Traduction de Jacques Grosclaude Année : 2013
Sociologie du droit Par Max Weber Traduction de Jacques Grosclaude Année : 2013 Pages : 324 Collection : Quadrige Éditeur : Presses Universitaires de France ISBN : 9782130609346 Préface Sociologie et droit dans la pensée de Max Weber par Philippe Raynaud ans la riche tradition de la pensée juridique allemande, la Sociologie du droit de Max Weber occupe une position singulière. Comme presque tous les grands penseurs de son temps, Weber hérite, dans sa sociologie politique, des questions centrales de la philosophie politique moderne : comment passe-t-on de la force au droit, comment l’obéissance devient-elle un devoir, pour quelles raisons subjectivement nécessaires est-on conduit à tenir un pouvoir pour légitime ? Cependant, il se distingue aussi bien des juristes positivistes que d’un néokantien comme Stammler par son effort de dé-fétichisation des catégories juridiques et politiques, et il cherche toujours à retrouver, derrière l’« État », l’« association » ou la féodalité, l’activité qui leur a donné naissance. Successeur, à bien des égards, de l’« École historique » du droit, Weber est aussi un critique pertinent de l’orientation méthodologique de Hugo et Savigny. Soucieux, contre les abus du matérialisme historique, de reconstituer la logique autonome de l’évolution juridique, Max Weber doit néanmoins beaucoup à Marx dans ses analyses du rapport entre la formation du droit moderne et le développement du capitalisme. On comprend donc aisément que la postérité de Max Weber soit à la fois extrêmement riche et profondément divisée (elle va de Carl Schmitt au jeune Lukacs). Cela ne doit pas dissimuler, cependant, que l’on peut retrouver, au-delà des conflits qui ont opposé ses héritiers souvent abusifs, la cohérence des analyses de Max Weber dès lors que l’on suit l’un ou l’autre des fils conducteurs qu’il avait lui-même indiqués. Ici même, J. D Grosclaude montre comment la sociologie juridique de Max Weber est d’abord une application à un champ particulier du thème majeur de la sociologie wébérienne : la rationalisation des relations sociales, ligne dominante de l’histoire occidentale, mais aussi horizon spontané de l’activité humaine. On peut aussi, me semble-t-il, montrer que les prises de position de Max Weber sur les grands problèmes des sciences sociales de son temps dépendent toutes de la même orientation épistémologique. Dogmatique juridique et sociologie du droit Dans Économie et Société, Weber revient à plusieurs reprises sur la nécessité de distinguer les « points de vue » respectifs de la dogmatique juridique et de la sociologie du droit : « Le juriste se demande ce qui a valeur de droit du point de vue des idées, c’est-à-dire qu’il s’agit pour lui de savoir quelle est la signification, autrement dit le sens normatif qu’il faut attribuer logiquement à une certaine construction de langage donnée comme norme de droit. Le sociologue se demande ce qu’il en advient en fait dans la communauté : en effet la chance existe que les hommes qui participent à l’activité communautaire, et parmi eux surtout ceux qui détiennent une dose socialement importante d’influence effective sur cette activité communautaire, considèrent subjectivement que certaines prescriptions doivent être observées et se comportent en conséquence, c’est-à-dire qu’ils orientent leur activité conformément à ces prescriptions [1]. » Ainsi s’expliquent les relations complexes que Max Weber entretient avec la pensée juridique de son temps. Dans une large mesure, en effet, Weber reste fidèle aux principes les plus constants de la science allemande ; dans sa théorie générale, il réaffirme ainsi l’autonomie de la domination (Herrschaft) (qui n’est pas un simple reflet des structures économiques) et le caractère fondamental du problème de la légitimité ; dans ses analyses du droit moderne, des droits subjectifs, de l’« État de droit » ou de l’État comme appareil doté du « monopole de la violence légitime », il s’inspire largement des doctrines des grands juristes allemands de son temps, comme Ihering ou Jellinek. Néanmoins, il modifie profondément la signification théorique des distinctions traditionnelles de la théorie juridique (entre « droit public » et « droit privé », entre « découverte » et « création » du droit) : celles-ci sont en quelque sorte relativisées puisqu’elles présupposent la situation contemporaine, c’est-à-dire l’achèvement de ce dont il faut précisément éclairer la genèse : la rationalisation du droit et de l’État, caractéristiques de la société occidentale. Ainsi comprise, la sociologie du droit ne peut ignorer les critiques qui, depuis Marx, insistent sur l’écart entre le fait et le droit ou entre les buts visés par le législateur et la fonction sociale qu’acquièrent effectivement les normes juridiques. Rien ne nous autorise pour autant, selon Weber, à en conclure que le droit est, comme le voudrait la tradition marxiste, un « reflet » de l’évolution économique. Le point de vue sociologique n’annule pas, en effet, le point de vue juridique et, surtout, rien ne nous permet d’affirmer que le développement de l’économie est toujours déterminant « en dernière analyse » dans la vie sociale. On s’explique donc pourquoi – alors que Max Weber emprunte à Marx certaines de ses analyses les plus remarquables pour expliquer la formation du capitalisme moderne (et les transformations du droit qui l’ont accompagnée) – il leur donne en fait une signification tout à fait nouvelle. Chez Marx, la naissance du capitalisme est le fruit nécessaire de la dissolution de la formation féodale, qui produit inéluctablement, en même temps que de nouveaux rapports de production, les « formes » juridiques et les idéologies qui leur sont fonctionnellement adéquates. Pour Max Weber, au contraire, comme le remarque un critique marxiste contemporain, « la société capitaliste moderne […] ne peut apparaître comme le fruit nécessaire de processus historiques connus et soigneusement délimités, elle reste pour l’investigateur la conclusion largement contingente de processus multiples dont les liens réciproques ne peuvent être établis avec sûreté et certitude [2] ». Le droit moderne, comme l’avait bien vu Marx, a donc certains caractères favorables au développement du capitalisme : celui-ci en effet suppose la prédominance du contrat sur le statut (le « travailleur formellement libre ») et le primat de la loi sur les décisions ponctuelles, administratives ou jurisprudentielles. Néanmoins, la rationalisation du droit est en elle-même un processus autonome et, dans ses développements contemporains, le droit moderne réintroduit des principes peu compatibles avec l’ordre de marché. La réalité du droit ne peut donc jamais être déduite des caractères fondamentaux du système économique ; hypothèse féconde, la correspondance entre le développement du droit et celui de l’économie doit toujours être vérifiée par des analyses empiriques sans cesse renouvelées – ce qui suppose qu’elle peut aussi parfois être infirmée. Weber, la sociologie du droit et l’historicisme L’originalité de la sociologie du droit de Weber tient à sa conception des tâches des sciences sociales et à sa théorie des activités sociales. Dans tous ses grands écrits méthodologiques, Weber insiste sur la permanence, dans les sciences sociales modernes, d’une illusion spéculative (hégélienne) : celle d’une déduction de la réalité sociale à partir des concepts scientifiques. C’est cette illusion, par exemple, qui sous-tend la conception marxiste du déterminisme économique et qui conduit les savants marxistes ou bien à nier l’importance des faits non économiques (juridiques, en particulier) ou bien à en faire de simples conséquences de l’économie [3]. Inversement, l’opposition de Weber à Marx porte moins sur le contenu des énoncés scientifiques que sur leur statut : de là, les similitudes apparentes entre la sociologie de droit et les analyses marxistes, alors même que Weber récuse violemment le « monisme » historique de Marx. La relation de Max Weber à l’École historique du droit de Hugo et Savigny pose un problème de même nature. Aux origines de l’École historique, on trouve en effet une réaction, que Weber jugeait positive, contre le rationalisme législatif des Lumières ; en insistant sur l’enracinement social du droit, Hugo et Savigny voulaient d’abord montrer que la complexité de la vie sociale était irréductible aux prétentions de la Raison abstraite. Cependant, en prétendant faire de l’« esprit du peuple » (Volksgeist) l’unique principe réel auquel se rattacheraient toutes les normes juridiques, ils participent eux-mêmes de l’illusion rationaliste : ils ne déduisent pas ce qui doit être, mais ils interprètent ce qui est comme si cela pouvait être déduit du Volksgeist comme d’un principe caché derrière les phénomènes. Weber ne se contente pas, néanmoins, de rappeler la disjonction du concept et de la réalité. L’erreur de Hugo, c’est d’hypostasier le concept de Volksgeist, qui n’est qu’un instrument heuristique fécond (auquel on doit comparer la réalité) et d’en faire « le fondement réel de toutes les manifestations culturelles individuelles d’un peuple, qui toutes émanent de lui [4] ». Le but de la méthodologie de Max Weber sera donc en fait de permettre une dé-fétichisation des catégories scientifiques qui, en restituant à la pensée son œuvre propre, évite du même coup l’illusion spéculative : si le concept est une construction idéale, il serait vain de prétendre en déduire la réalité empirique. L’idéalisme méthodique de Max Weber implique donc que l’on remonte des concepts scientifiques à l’activité qui leur donne naissance. Or, des préoccupations similaires se retrouvent dans la sociologie proprement dite de uploads/S4/ sociologie-et-droit-dans-la-pense-e-de-max-weber.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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