1 2 “Suicide, mode d’emploi”, le retour ! Je donne ci-dessous l’introduction de
1 2 “Suicide, mode d’emploi”, le retour ! Je donne ci-dessous l’introduction de mon livre Le Droit à la mort. Suicide, mode d’emploi, ses lecteurs et ses juges, publié aux éditions IMHO. La dernière édition, revue et augmentée est sortie en 2013. *** Le livre Suicide, mode d’emploi1 occupe une place à part dans l’histoire de l’édition française. Acheté en France par plus de 100 000 personnes et traduit en sept langues, ce qui est banal pour un roman couronné du prix Goncourt mais exceptionnel pour un essai, il a fait l’objet de plus de 500 articles de presse, et suscité depuis sa publication en 1982, une polémique sans précédent. En février 1995, soit treize ans après sa parution et quatre ans après sa disparition des librairies, le parquet de Paris s’acharnait encore à le poursuivre. L’action opiniâtre d’une association militant pour son interdiction aboutissait enfin à la condamnation de l’éditeur Alain Moreau interdisant ainsi toute réimpression de l’ouvrage dans sa forme initiale.2 En effet, ayant tout à la fois révélé et battu en brèche le tabou qui pèse sur un « droit à la mort » décidément intolérable aux institutions3, surtout lorsqu’il est pris ou revendiqué par des personnes en bonne santé, Suicide, mode d’emploi a paradoxalement renforcé ses formes juridiques, en fournissant le prétexte d’une nouvelle loi. On verra qu’elle a servi par la suite à interdire, saisir et détruire le livre Exit Final de l’américain Derek Humphry, préfacé par Hubert Reeves (1992), ainsi qu’à condamner le journal Le Monde au début des années 2000. Sans doute honteux d’être confondus dans la même réprobation qui frappait des auteurs voyous, le quotidien s’est dispensé d’en informer ses lecteurs, et par conséquent de protester contre l’usage qui était fait d’une loi de censure ! Rien de neuf objectera-t-on : la censure est une habitude aussi ancienne qu’elle est déplorable et, sans remonter plus loin, les procès faits aux auteurs n’ont pas manqué au XIXe siècle. L’institution judiciaire est généralement fort longue à reconnaître ses torts, lorsque même elle y consent. Ainsi le jugement de 1857 qui condamnait certaines pièces des Fleurs du Mal de Baudelaire à peine publiées n’a-t-il été cassé qu’en 1949, soit quatre-vingt-douze ans plus tard ! Encore aura-t-il fallu voter tout exprès, en septembre 1946, « une loi d’exception pour un livre exceptionnel », selon les termes de l’historien de la littérature Yvan Leclerc.4 Au contraire, c’est l’une des originalités de l’affaire Suicide, mode d’emploi, nos adversaires devront batailler treize années durant, engager pas moins de dix procédures judiciaires — dont deux amenèrent la condamnation de mon ami et coauteur Yves Le Bonniec à des peines d’amende et de prison, et l’une son arrestation —, solliciter et obtenir du parlement en 1987 une loi d’exception ad hoc supposée réprimer la « provocation au suicide5 », puis son application au mépris du principe de la non- rétroactivité de la loi pénale, pour interrompre enfin la diffusion de l’ouvrage. Un livre inconnu En février 1969, Henri de Montherlant confiait aux Nouvelles littéraires : « J’ai souvent songé à écrire un petit ouvrage uniquement de pratique, bon marché pour être largement répandu, dont le titre eût été, par exemple : Vite et Bien ou L’Art de ne pas se rater, en cinq leçons. Vraiment un ouvrage pour être utile aux gens, un ouvrage que tout ami du suicide eût dû avoir toujours sous la main. J’ai été arrêté par la conviction que cet ouvrage serait saisi6. » Conviction point dénuée de fondement comme l’ont prouvé nos démêlés avec l’institution judiciaire. Néanmoins, la stratégie de « propagande par le fait accompli7 » que nous avons adoptée, profitant de l’absence d’une législation interdisant à l’époque l’information sur les moyens du suicide, a été couronnée d’un relatif succès : Suicide, mode d’emploi a pu être diffusé neuf années durant. Comme on le verra, nos adversaires ont voulu faire croire que, dans ce livre, seule la liste de médicaments mortels, qui faisait l’objet du dixième et dernier chapitre, heurtait la morale dominante. Ce rideau de fumée n’a guère aveuglé que ceux qui l’entretenaient de leurs appels à l’autodafé. La diffusion des « recettes médicamenteuses », qui suscita tant d’indignation, n’a rien changé aux chiffres du suicide, j’en ai fait la démonstration dans À la vie à la mort.8 Il n’en reste pas moins que c’est sa dimension 1 Titre que l’on trouvera souvent abrégé en SME dans les pages qui suivent. 2 Sur ce procès et les nombreuses procédures qui l’ont précédé et préparé, voir chap. 7. 3 Autre symptôme d’acharnement, dérisoire mais éclairant : par décret du 20 août 1997, M. Chirac, président de la République, refusait à A. Moreau la nomination dans l’ordre de la Légion d’honneur à lui décernée par son prédécesseur Mitterrand, le Conseil de la Légion ayant estimé que « l’édition d’un tel ouvrage constituait un manquement grave au respect dû à la personne humaine et donc un acte attentatoire à l’honneur. » À l’époque, cet organisme ne trouvait rien à redire au maintien dans son grade de M. Papon, responsable de la déportation de personnes juives pendant l’Occupation, puis en 1961 de l’assassinat de manifestants algériens à Paris. Ce n’est que deux ans plus tard, en 1999, que sa décoration était retirée à M. Papon. Mieux vaut donc, du point de vue de l’« honneur », commanditer des meurtres sous tous les régimes, qu’encourager la liberté de disposer de sa propre vie. 4 Crimes écrits, La littérature en procès au XIXe siècle, Plon, 1991, p. 276. 5 On en trouvera le texte en annexe. Sur la genèse de la loi, voir plus loin chap. 7. 6 « La mort de Caton », in Le Treizième César, Gallimard, 1970, pp. 43-44. 7 Au XIXe siècle, dans le mouvement anarchiste, la « propagande par le fait » désigne d’abord toute réalisation pratique ou action d’éclat dont l’exemple peut servir à éclairer la classe ouvrière. Par la suite, elle sera plus étroitement associée aux attentats. 8 À la vie à la mort, Maîtrise de la douleur et droit à la mort, Noésis, 1997. Rappelons ici que le nombre des décès suicidaires a régressé à partir de 1987 jusqu’en 1991 (pour augmenter à nouveau en 1992) alors même que 100 000 exemplaires d’un livre citant des techniques d’intoxication médicamenteuse avaient été 3 pratique qui a fait prendre notre livre au sérieux et donné une nouvelle acuité à une exigence immémoriale de liberté. Il n’est peut- être pas inutile de répéter ici que, ni en 1982 ni aujourd’hui, l’idée absurde de « provoquer » le lecteur au suicide ne nous a effleurés. Rarement lu par ceux qui en réclamaient la destruction, Suicide, mode d’emploi a eu — dépassant les espoirs et les craintes de ses auteurs — une fonction de révélateur des blocages idéologiques et caractériels de la société française. Si nous ne doutions pas que notre livre puisse choquer, nous avons été surpris par l’ampleur et plus encore par la violence et l’irrationalité des réactions qu’il a déclenchées. Suicide, mode d’emploi s’inscrivait, non seulement dans une tradition libertaire — l’anarchiste Paul Robin a publié en 1901 une brochure intitulée Technique du suicide — mais aussi dans la logique des combats menés dans les années 70 du vingtième siècle autour des droits des malades, du droit à disposer et à jouir de son corps, du droit à la contraception et à l’avortement.9 Les bibliothécaires nomment « fantôme » le morceau de bristol qui marque dans les rayonnages l’emplacement d’un livre consulté. Livre mythique, Suicide, mode d’emploi est à sa manière un « livre fantôme », bénéficiant du statut original mais peu enviable de « classique introuvable ». Référence obligée en matière de droit à la mort, il incarne aussi désormais les limites de la tolérance démocratique. S’il a donné lieu à de multiples textes et ouvrages de controverse et à quelques ersatz, Suicide, mode d’emploi n’a pas — quant aux informations historiques et juridiques qu’il contient — d’équivalent en français10. Son absence des librairies, comme de la plupart des bibliothèques, permettra longtemps encore aux truqueurs de toute espèce de mentir sur son contenu et sur les intentions de ses auteurs. Au moins était-il possible d’offrir au public d’aujourd’hui un ensemble d’informations et de documents jamais réunis à ce jour, dont beaucoup figuraient dans des dossiers judiciaires ou dans des revues professionnelles (médicales, juridiques, etc.) difficilement accessibles. Les lectrices et les lecteurs qui ont eu la chance de se procurer ce livre « interdit », à l’époque de sa libre diffusion ou ultérieurement, et pareillement ceux et celles qui, du fait de leur âge, n’en connaissent qu’une image partielle et déformée par la rumeur, tous ont le droit de connaître les pièces de ce dossier et de savoir sur quel argumentaire moral et juridique on a condamné un livre au néant. Le combat pour le droit de chacun à décider de sa vie et de sa mort, dont l’affaire Suicide, mode d’emploi aura été une importante étape, se poursuit11 et se poursuivra, malgré et uploads/S4/ suicide-mode-d-x27-emploi-histoire-technique-actualite-claude-guillon-ed-1982.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 22, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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