Sur les rapports entre le Conseil constitutionnel et les diverses branches du d

Sur les rapports entre le Conseil constitutionnel et les diverses branches du droit Denys de BECHILLON - Professeur à l'Université de Pau Nicolas MOLFESSIS - Professeur à l'Université de Pau CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 16 (DOSSIER : LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES DIVERSES BRANCHES DU DROIT) - JUIN 2004 Le thème des relations entre le droit constitutionnel et les autres « branches » du droit peut et doit entrer dans une nouvelle ère. La phase de croissance du Conseil constitutionnel est sans doute derrière nous et avec elle, il faut l'espérer, les logiques d'affrontement disciplinaire que cette zone frontalière du droit a pu connaître. La question de l'insertion du droit constitutionnel dans notre système juridique devrait désormais être traitée avec moins de passion et plus de technique, le temps des craintes et de l'inconnu étant, sans nul doute, révolu. Ce n'est pas dire que l'essor des droits fondamentaux sur lequel repose le contentieux constitutionnel doive nécessairement rallier les esprits : la fondamentalisation du droit comme sa subjectivisation font l'objet de critiques qui ne doivent pas être négligées. Toutefois, la présence du Conseil constitutionnel dans notre système juridique ne devrait plus soulever les querelles de clochers que, nouveau venu, il avait pu provoquer entre publicistes et privatistes voire en leur sein. Aussi, les juristes de droit privé comme de droit public doivent à présent réfléchir aux particularités, aux éventuelles incohérences et imperfections qui marquent notre contrôle de constitutionnalité des lois. L'essentiel, pour l'heure, est donc de comprendre le point où nous en sommes arrivés. Libre à chacun, ensuite, de prôner telle ou telle évolution. C'est l'objet du présent dossier que de porter un regard sur différents domaines dans lesquels le droit constitutionnel a pu souffler, avec plus ou moins d'efficacité et de retentissement. En guise d'introduction, qu'il soit ainsi permis de pointer quelques problèmes actuels. I. Hiérarchie des normes et e&ectivité des normes constitutionnelles L'autorité de principe de la Constitution sur toutes les autres catégories de règles juridiques nationales, sans considération pour le domaine dans lequel elles portent leurs effets, ne fait plus débat. Ce n'est pas que la doctrine kelsenienne ait triomphé comme telle dans la communauté universitaire française - il s'en faut même de beaucoup - mais, tout simplement, que chacun peut désormais partager avec elle un constat : les systèmes de droit moderne ne se conçoivent pas sans référence à une hiérarchie des normes, et la Constitution se voit conférer le sommet de cette hiérarchie-là. Mais cette seule affirmation est insuffisante pour saisir les complexités à l'oeuvre. Une chose est de comprendre l'utilité d'une vision hiérarchique des normes juridiques, une autre est d'observer sa réalisation concrète dans l'ordre juridique. La coexistence d'un ordre national et d'un ordre européen, si tant est que l'on puisse admettre que les deux ne s'interpénètrent pas purement et simplement, brouille les données. La suprématie de la Constitution vaut dans l'ordre interne affirment le Conseil d'État et la Cour de cassation, mais ce constat, cohérent dans sa logique propre, peut, tout autant, n'être pas partagé par les juridictions internationales. On sait que les juridictions européennes ne rechignent pas à sanctionner des solutions internes pourtant conformes à la Constitution. Les juges nationaux, en outre, pratiquent bien davantage les normes européennes que constitutionnelles. C'est d'ailleurs là un handicap notable dont souffre la Constitution : réputée supérieure, elle est d'un commerce juridique peu aisé et donc finalement assez restreint. À l'évidence, les avocats peuvent ne pas bien voir le profit qu'ils pourraient tirer des principes et règles constitutionnelles, dès lors que le juge se refuse à déduire de leur suprématie le droit d'écarter la règle législative contraire. Sous cet aspect, les principes européens dominent sans partage et le contrôle de constitutionnalité peut s'opérer sous forme de contrôle de conventionnalité sans que la séparation des pouvoirs ne soit invoquée pour faire prévaloir la loi. Redisons une nouvelle fois que, puisqu'il existe, grossièrement, au moins un équivalent international ou européen à chacune de nos règles constitutionnelles de fond, le contrôle de conventionnalité de la loi par les juges administratifs, judiciaires, mais aussi européens, revient, matériellement parlant, à un contrôle de sa constitutionnalité. Ce qui a été jugé par le Conseil constitutionnel sur le fond peut donc être rejugé par d'autres. La fiction d'une absence d'identité de causes juridiques - constitutionnalité ici et conventionnalité là - ne sauve plus guère que ce qu'elle peut sauver, c'est-à-dire les apparences. (1) Source : Conseil constitutionnel (Re)jugement de la loi il peut parfaitement y avoir, devant les juridictions ordinaires françaises comme devant les Cours européennes , sur des bases juridiques intimement comparables, et avec des résultats potentiellement discordants. En tant que de besoin, la célèbre affaire Zielinski- Pradal est là pour apporter confirmation de ce que cette perspective n'est pas une vue de l'esprit. Ainsi, si la Cour de cassation était logique avec elle-même et en conformité avec la conclusion de sa jurisprudence Fraisse du 2 juin 2000 - la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle -, elle devrait refuser de contrôler la conventionnalité d'une disposition de loi reconnue conforme à la Constitution. Poussons les choses à leur terme : il faut, à peu de choses près, dresser le constat de décès du Considérant central de la décision IVG. Même si le Conseil constitutionnel revenait sur sa jurisprudence, l'idée selon laquelle le contrôle de constitutionnalité des lois est « absolu et définitif » est purement et simplement révolue en ce qui concerne les lois déclarées conformes à la Constitution. Rien n'est définitif puisque tout - mis à part la procédure législative - est réexaminable. Et rien n'est absolu puisque le Conseil constitutionnel ne dispose d'aucun moyen coercitif ou disciplinaire pour empêcher les juges qui statuent après lui de se prononcer autrement que lui sur cette « même » question de l'orthodoxie matérielle de la loi . Sous ce rapport, l'histoire est ironique. Car les arrêts Jacques Vabre et Nicolo, dont on sait qu'ils ont été largement voulus par le Conseil constitutionnel, sont peut-être ceux qui contribuent le plus à restreindre sa souveraineté. On ne saurait donc se contenter de l'image officielle d'une supériorité de la Constitution, et refuser de s'ouvrir à d'autres regards, différemment orientés, sur ce même objet. Il faut admettre - sans nécessairement s'y résoudre - que la Constitution prévaut uniquement dans certains contentieux. Les décisions éparses des juridictions ordinaires qui lui font jouer un rôle ne suffisent pas à infléchir l'idée d'un caractère faiblement opératoire des normes constitutionnelles dans les litiges ordinaires en l'état actuel du fonctionnement de notre système juridique. La question revient alors à savoir si la norme constitutionnelle doit être, à peu de choses près, réservée au seul contentieux qui se noue devant le Conseil constitutionnel ou s'il ne vaudrait mieux pas qu'elle soit pleinement applicable pour ce qu'elle est - c'est-à-dire une norme supralégislative - devant tous les juges nationaux. Le débat se renoue ainsi immanquablement autour de l'instauration d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori. C'est-à-dire autour de l'impasse que l'on sait. II. Autorité des décisions du Conseil constitutionnel et in+uence de sa jurisprudence Il n'y a plus vraiment à s'interroger sur la possibilité que le Conseil constitutionnel influe sur le contenu des divers domaines de notre droit. Il n'était, à vrai dire, pas concevable qu'il en aille autrement, dès lors la Constitution est porteuse, dorénavant, d'un catalogue étendu de droits matériels et procéduraux, virtuellement applicable à tous les registres de la vie juridique. La cause est donc entendue : la jurisprudence du Conseil constitutionnel a vocation à modifier, parfois de manière très sensible, la teneur du droit applicable. Sur le principe, on voit mal qu'il y ait encore matière à ferrailler sur ce sujet de part et d'autre du Rubicon disciplinaire. Et c'est tant mieux ainsi. D'autant plus que, à bien y réfléchir, l'existence d'un assez large consensus à ce propos libère la place utile pour réfléchir au fait que le Conseil constitutionnel, là aussi comme la CEDH ou la CJCE, mais peut-être d'une manière plus fine ou plus systématiquement instruite, prend en compte d'importantes spécificités de nature ou de régime propres à certaines institutions du droit privé ou du droit public français . Et qu'il contribue ainsi à asseoir ou à consacrer certaines spécificités propres à l'une ou à l'autre de ces branches du droit. Mais une fois reconnue l'influence du Conseil constitutionnel sur les diverses branches du droit, à des degrés divers dont on aura un aperçu particulièrement probant dans le présent dossier, il reste à comprendre comment s'opère le passage de la phase du contrôle de constitutionnalité a priori à celle de l'application de la loi devant les juges ordinaires. Pour le privatiste, c'est l'interrogation essentielle. Si la jurisprudence du Conseil constitutionnel devait être oubliée une fois la loi entrée en vigueur, elle n'aurait jamais vocation qu'à influer sur l'élaboration des textes, sans pouvoir prétendre à une quelconque influence dans les relations de droit privé elles-mêmes. Sous cet aspect, de deux choses l'une : soit la loi en cause a fait uploads/S4/ sur-les-rapports-entre-le-conseil-constitutionnel-et-les-diverses-branches-du-droit.pdf

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  • Publié le Mai 31, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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