95 La notion de la dérogation en urbanisme et l’expérience internationale : Ess
95 La notion de la dérogation en urbanisme et l’expérience internationale : Essai d’une construction doctrinale ES-SALLAK NADA, Architecte - Docteur en Urbanisme et Aménagement du territoire, Professeure à l’École Nationale d’Architecture de Fès, Maroc Résumé : Le justificatif de la pratique de la dérogation en urbanisme était souvent lié au caractère rigoureux, voire contraignant, du dispositif juridique et technique de la planification urbaine. Ainsi, la dérogation demeure une possibilité de flexibilité dans la gestion des imprévus et une mesure exceptionnelle qui ne pourrait en aucun cas l’emporter sur la règle générale. Dans cette optique, trois expériences seront étudiées : française, canadienne et allemande, afin d’illustrer : - La dérogation entre notion d’intérêt général et appréciation de l’administration ; - La dérogation entre règlement et gestion concertée ; - La dérogation, une souplesse fondamentalement conditionnée par la loi. Mots clés : Urbanisme, planification, règle générale, dérogation, intérêt général, pouvoirs, gestion... The concept of the urban planning exemption and international experience: Test of a doctrinal construction Abstract: The justification for the practice of planning derogation was often linked to the rigorous, even binding, nature of the legal and technical system of urban planning. Thus, the derogation remains a possibility of flexibility in the management of unforeseen events and an exceptional measure which could in no case prevail over the general rule. In this perspective, three experiences will be studied: French, Canadian and German, in order to illustrate: - The derogation between the concept of general interest and appreciation of the administration; - The derogation between regulation and concerted management; - The derogation, flexibility fundamentally conditioned by law. Keywords: Town planning, planning, general rule, derogation, general interest, powers, management, etc. Introduction En matière de gestion urbaine, le recours à la dérogation serait principalement dû aux difficultés rencontrées par les documents d’urbanisme à faire face aux différents scénarios de la fabrication urbaine et à leurs aléas, en termes de prise de décision, de multiplicité des intervenants, de réalités complexes des terrains, et même de divergences d’interprétations des textes juridiques. Ces documents, régissant l’occupation des sols, « véhiculent une vision de l’urbanisme comme 96 science des savoirs experts, de la prévision, d’un urbanisme de la table rase peu soucieux de la ville existante »(LE GALES, 2004 : 202). Cette image est d’autant plus présente que le recours aux principes d’adaptation et d’assouplissement remplace le respect des règlements faisant ainsi de l’urbanisme le pivot des intérêts économiques, porteurs des projets d’investissement, avant toute autre considération. Et c’est justement, dans ce contexte où le mode planifié se remet en question que la notion de dérogation en urbanisme puise toute sa force. En effet, il semble que la lourdeur des procédures administratives et la rigueur qu’imposent les textes juridiques ne facilitent pas l’actualisation régulière de la règle de droit, en fonction de l’évolution du milieu dans lequel elle s’applique. Cette situation diminue les chances de son acceptation, surtout que, d’une manière générale, les effets de cette règle ne garantissent pas forcement la convergence des différents intérêts au sein de ce milieu. Ces difficultés ont favorisé l’apparition de nouvelles façons de faire, basées sur des systèmes de règles informelles et des modes de régulation (BOUMAZA, 2006 : 31-32), tendant à faire prévaloir la dérogation et l’accord négocié. Cela veut dire que tout système, en l’occurrence urbain, ne peut pas être régi que par la règle, qui par définition renvoie au formel et à l’officiel, mais aussi à des modes d’action informels. Ces modes d’action se nourrissent principalement de relations d’arrangement entretenues entre les différents acteurs de la ville, avec le cas échéant, des tentatives tardives de régularisation officielle de leurs actes informels. Ainsi, entre un formel affiché et contraignant et un informel discret, assouplissant et concurrent le premier, comment peut-on positionner la dérogation en urbanisme ? Afin de répondre à cette question, nous essayons, dans cet article, d’aborder le fondement théorique de la dérogation en urbanisme, sur le plan conceptuel et administratif (1), ensuite d’illustrer son évolution à travers l’analyse d’autres expériences étrangères (2). 1– Le fondement théorique de la dérogation en urbanisme : La notion de dérogation en urbanisme, que ce soit au niveau théorique ou pratique, n’est pas définitivement identique. D’où l’utilisation, selon les législations, de plusieurs notions dont les finalités se rapprochent, comme « dérogations », « adaptations mineures » et « dérogations mineures », etc. 1.1- Le Cadre conceptuel : Dans une conception de Droit, le terme « dérogation » est utilisé d’une matière conventionnelle pour désigner la stipulation par laquelle les parties écartent l’application d’une loi, qui n’est ni impérative ni d’ordre public. Il signifie l’exclusion du droit commun dans un cas particulier.1 D’une manière plus générale, la dérogation est « l’action de déroger à une loi, à une convention ou à une règle. C’est-à-dire de porter atteinte ou enfreindre aux stipulations d’une loi, d’une convention ou d’une règle »2. Ceci étant, la règle de droit est selon G. CORN : « la norme juridiquement obligatoire, quelle que soit sa source (règle légale, coutumière), son degré de généralité (règle générale, règle spéciale), sa portée (règle absolue, rigide, souple...) » (CORNU, 2000 : 774). De leur côté, Boltanski et Thévenot estiment que : « La règle est une loi scientifique qui s’applique aux personnes comme aux choses » (BOLTANSKI et THÉVENOT, 1991 : 44). Elle 1 Par référence au lexique des termes juridiques Dalloz, op.cit, p. 208. 2 Selon la définition du dictionnaire français Larousse. 97 permet ainsi de dépasser les particularités individuelles des personnes et de constituer les fondements d’un accord, afin d’aboutir à ce que ces auteurs nomment le "Principe supérieur commun". L’imbrication de l’ensemble de ces définitions fait de la règle un corps plutôt compacte que flexible, plutôt stable que variable. Cette portée a poussé l’Administration, en se servant de son pouvoir d’interprétation des textes de lois, à déroger, dans certains cas, à la règle générale pour atténuer sa rigidité et éviter d’éventuelles situations de blocage. Cette disposition fait de la dérogation « une fonction implicite et indispensable d’assouplissement de la norme » (PRATS, 1979 : 13). Elle permet, ainsi, de « donner à l’action administrative une souplesse et une capacité d’adaptation souvent souhaitable » (SAVY, 1981 : 593-594). Ainsi, souvent exprimée par des expressions comme "sauf si…", "à moins que..." ou "à l'exception du cas où...", la dérogation se présente comme étant l’exception apportée à la règle, qu’elle soit d'origine contractuelle, légale ou administrative. Ce mot peut désigner également le document contenant une décision de dérogation. L’analyse de ces différentes définitions permet de montrer que la notion de dérogation ne peut en aucun cas être isolée d’autres notions telles que : la « décision administrative », le « pouvoir discrétionnaire » ou encore ce qu’on peut appeler le « droit exceptionnel ». A travers ce cadrage général, nous proposons dans ce qui suit de distinguer entre deux catégories de définitions autour de la dérogation en urbanisme: - Une première catégorie regroupant les aspects techniques, - Une seconde catégorie regroupant les aspects administratifs et opératoires. a. Définitions de la dérogation en urbanisme sur le plan technique : La dérogation en urbanisme est, selon le dictionnaire de l’urbanisme : « une exception apportée à une règle générale dont pourra bénéficier, à titre individuel, le demandeur d’une autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol » (CHATEAUREYNAUD, 2003 : 198). G. Liet-vaux note que la dérogation est un « droit très exceptionnel sinon insolite de ce genre de procédé (permis de construire)» (LIET-VAUX, 1965 : 640) ; et dans ce sens, R. Savy souligne qu’« un permis de construire est dérogatoire s’il est accordé après que l’autorité compétente décide d’écarter l’application de la règle qui aurait conduit à le refuser ; mais il ne l’est pas si une règle particulière préalablement établie permet de l’accorder par exception à une règle plus générale »(SAVY, 1981 : 593-594). Néanmoins, elle risque d’être perçue comme étant une : « décision unilatérale qui écarte l’application de certaines dispositions (du plan d’urbanisme)» (HEYMANN, cité par PRATS, 1979 : 27)3 et qui porte « atteinte aux règles d’urbanisme justifiées par la volonté de faire prévaloir les caractéristiques propres d’un projet de construction sur les normes générales »(BAGUENARD, cité par PRATS, 1979 : 27)4. 3 A. Heymann, Bulletin de l’institut international d’administration publique, cité par Y. Prats et autres, La dérogation d’urbanisme : le droit et la pratique, 1979, op. cit, p. 27. 4 J. Baguenard, Gazette du Palais, cité par Y. Prats et autres, 1979, idem, p. 27. 98 b. Définition administrative et opératoire de la dérogation en urbanisme : Sur le plan administratif, la dérogation est considérée comme étant « une autorisation administrative de non application des règles d’urbanisme, ou encore atténuation de leurs effets vis- à-vis d’une demande particulière » (CHAPUISAT, cité par PRATS, 1979 : 27)5. C’est « une autorisation particulière donnée à un administré, généralement à l’occasion d’une demande de permis de construire, de ne pas se conformer aux prescriptions d’urbanisme réglementaire » (LAMARQUE, cité par PRATS, 1979 : 27)6. En effet, on considère que la dérogation uploads/S4/1-pb 17 .pdf
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- Publié le Oct 03, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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