Christoph Eberhard 14 août 2006 E-mail : eberhard@fusl.ac.be La responsabilité

Christoph Eberhard 14 août 2006 E-mail : eberhard@fusl.ac.be La responsabilité (Version enrichie de la présentation présentée lors de la rencontre du groupe de recherche interculturel sur la responsabilité, Château de Dravert, La Guiche, France, 29/06 – 3/07/2006) et version provisoire de : Christoph Eberhard, "La responsabilité en France: Une approche juridique face à la complexité du monde" in Edith Sizoo (dir), 2008, "Ethiques de la responsabilite - regards culturels croises", Paris, Editions Charles Leopold Mayer, p 153-180 Pour aborder la question de la responsabilité dans l’optique d’un dialogue interculturel, il est important de clarifier d’où l’on parle. J’aborderai la question de la responsabilité en partant d’un enracinement français qui s’inscrit lui-même dans une culture européenne plus large. Il me semble que comme notre dialogue se situe à un niveau très général, puisque nous croisons des points de vue des cinq continents, le plus important est de communiquer une certaine sensibilité quant à la manière dont peuvent se poser les questions d’un contexte à l’autre en les replaçant dans leur environnement culturel, linguistique, social. Il est clair qu’il n’est pas possible de faire un tour exhaustif de la question et que mon enracinement personnel teinte forcément ma perception de la question de ce que pourrait être pour un européen situé plus particulièrement en France, la responsabilité. Cette contribution doit donc se comprendre avant tout comme une invitation au dialogue qui permettra d’approfondir la compréhension de nos présupposés implicites, des horizons invisibles ou « mythes » dans lesquels nous nous enracinons pour reprendre le terme de Raimon Panikkar (voir par exemple 1979). Mais si ce texte invite au dialogue, il résulte déjà de dialogues menés entre les participants à cet ouvrage. Il est donc le fruit de cette dynamique collective qui a suscité certaines interrogations, certains désirs de clarification et a ainsi orienté la réflexion. 1 Pour commencer, j’aimerais raconter une petite histoire. Il en existe un certain nombre de variantes plus ou moins riches en détails. Mais elle est connue dans toute l’Europe et fait partie du patrimoine culturel européen. Elle peut constituer un point de départ – parmi de nombreux autres possibles – pour commencer à réfléchir sur la question de la responsabilité. Il était une fois un géant doué d’une très grande force qui décida de se mettre au service du seigneur le plus puissant de la terre. Après de nombreuses recherches, il lui semblait l’avoir trouvé sous les traits d’un grand roi. Il expliqua sa quête au roi, et celui-ci ne fut que trop heureux de pouvoir le compter parmi ses serviteurs. Un jour, le roi et sa suite rentrèrent au château après une longue excursion. La nuit commença à tomber. Comme le chemin fut encore long, le géant proposa de prendre un raccourci à travers une forêt. Mais le roi refusa. Il avoua avoir peur car on disait que la forêt était habitée par le diable. À ces mots, le géant ne pu s’empêcher de penser « si le roi a peur du diable, celui-ci doit être encore plus puissant que lui ». Il demanda donc la permission au roi de se retirer de son service, puisque c’est le seigneur le plus puissant de la terre qu’il voulait servir. Et il se mit à la recherche du diable. Un jour, il rencontra une cohorte de chevaliers tout vêtus de noir et forts impressionnants. Il leur demanda s’ils ne sauraient pas où il pourrait trouver le diable. Leur chef s’avança et lui dit que c’était lui-même. Le géant présenta donc à nouveau sa requête et fut à nouveau accepté comme serviteur, cette fois-ci du diable. Il resta à ses services pendant un certain temps, jusqu’au jour où, lors d’une excursion, le diable ne voulait pas prendre un certain chemin … c’est qu’il y avait une croix … et le diable du admettre qu’il avait peur de ce Jésus-Christ sur la croix … C’est donc que ce dernier était encore plus puissant que lui. À nouveau le géant quitta son maître et se mit cette fois à la recherche de ce Jésus-Christ. Il chercha pendant longtemps sans succès. Un jour, il arriva dans un village. Ses habitants lui dirent qu’ils ne savaient pas où il pourrait le trouver mais qu’il y avait un ermite non loin qui pourrait peut-être le renseigner. L’ermite lui conseilla la chose suivante : il y avait une grande rivière près du village que les voyageurs avaient beaucoup de mal à traverser. Pourquoi ne s’installerait-il pas au bord de la rivière pour, utilisant sa taille et sa force, porter les voyageurs d’une rive à l’autre ? Ainsi, il se rendrait utile et il pourrait en profiter pour questionner les voyageurs sur sa quête. Le géant suivit le conseil. Pendant des années, il prit des voyageurs sur ses épaules et appuyé sur son grand bâton les porta d’une rive à l’autre. Une nuit, alors qu’il y 2 avait un orage, il entendait quelqu’un l’appeler. À chaque fois qu’il sortit de sa cabane il ne vit personne. Ce n’est qu’à la troisième fois qu’il aperçut un petit enfant qui insista pour qu’il le porte de l’autre côté. Finalement le géant accepta. Il prit l’enfant sur ses épaules et entra dans la rivière. À chaque pas la tempête s’intensifiait, les flots de la rivière gonflèrent … et l’enfant lui sembla de plus en plus lourd. Le géant lutta de toutes ses forces et se voyait déjà englouti dans les flots avec l’enfant. Mais finalement il réussit à atteindre l’autre rive. Il déposa l’enfant et lui dit. « Je suis content que nous soyons arrivés. Je n’étais pas sûr d’y arriver. J’avais l’impression de porter le monde entier sur mes épaules ». « Tu le portais », dis l’enfant. « Je suis le Christ que tu cherchais ». À partir de maintenant, on t’appellera Christophorus, « celui qui porte le Christ ». Et il planta le bâton du géant dans la terre où celui-ci prit racine et devint à nouveau un arbre. Voici donc la légende de Saint Christophe, qui est le patron des voyageurs et des jardiniers. Sans épuiser toute la richesse de cette légende, elle semble appropriée à plusieurs niveaux comme point de départ d’un dialogue interculturel sur la responsabilité. D’abord en tant que patron des voyageurs, Saint Christophe n’est-il pas celui qui favorise la rencontre, les échanges ? N’apparaît-il pas comme un passeur entre les rives et les mondes ? Par ailleurs, comme patron des jardiniers, n’est-il pas celui qui permet à travers ses passages l’éclosion, la croissance des graines que transportent les uns et les autres ? Puis comme l’ont révélé de nombreuses discussions, dans de nombreuses cultures, la responsabilité est liée à l’idée d’une charge à porter, de fardeau qu’on prend sur ses épaules. Mais la légende illustre aussi un autre aspect profondément européen au vue des diverses discussions et confrontation avec d’autres visions culturelles. Saint Christophe n’est pas né « passeur ». Il n’a pas uniquement rempli une responsabilité liée à un statut hérité par sa naissance. Si, une fois qu’il s’est mis au service d’un seigneur, il en a ensuite assumé les conséquences, il a cependant à chaque fois librement choisi qui il décidait de servir ... et quand il devait changer d’orientation. Son histoire révèle ainsi une certaine notion d’autonomie de la volonté. Ses choix étaient libres. C’était à lui d’en porter les conséquences. Et ce qu’il apprît à travers ses différentes expériences et les responsabilités qui y étaient afférentes, lui permit d’élargir son point de vue en lui donnant de nouveaux critères de jugement qui l’obligeaient de revoir son sens des responsabilités. 3 Son cheminement fait écho à l’évolution historique de la notion de responsabilité en Europe. En effet, à la différence d’autres cultures présentées dans cet ouvrage, les Européens ont une vision « progressiste » du temps : l’histoire a un sens. À travers les nouveaux défis qu’elle nous présente sans cesse, elle nous oblige de nous adapter, de revoir nos acquis. Elle n’est pas que mémoire (et pardon) mais aussi promesse et remise en question (voir Ost 1999) … et si elle était vue pendant longtemps comme processus d’évolution vers des formes de plus en plus civilisées de vie humaine et quête vers un âge d’or futur, elle apparaît aujourd’hui plus menaçante et nous fait prendre conscience de notre fragilité et de notre responsabilité (voir par exemple Jonas 1984, Dupuy 2002). Guillaume de Stexhe éclaire cette affirmation et la précise. Pour cet auteur, « (…) la modernité est animée par l’élan d’une rationalité originale, qui se déploie dans ce qu’il faut appeler désormais les techno-sciences, et qui est d’ordre opératoire, et non pas représentatif. En un sens, c’est la même idée de capacité qui anime chacune de ces deux dimensions de notre aventure : comme liberté d’un côté, et de l’autre comme prise théorico-pratique sur le monde. Cette imbrication du développement de nos pouvoirs techniques et de l’auto-affirmation de la liberté s’est progressivement nouée dans une dynamique d’appropriation de notre avenir par nous- mêmes. En ce sens, on uploads/S4/10-articulo-eberhard-la-responsabilite.pdf

  • 42
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Apv 19, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1881MB