ANAMORPHOSIS – Revista Internacional de Direito e Literatura v. 3, n. 1, janeir
ANAMORPHOSIS – Revista Internacional de Direito e Literatura v. 3, n. 1, janeiro-junho 2017 © 2017 by RDL – doi: 10.21119/anamps.31.259-274 259 ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS OST DROIT ET LITTÉRATURE : LES DEUX FACES DU MIROIR PAR DIETER AXT1 La SEÇÃO ENTREVISTAS a été conçue dans de but de créer un espace d’interlocution avec des chercheurs reconnus dans le domaine des études en Droit et Littérature, afin de promouvoir l’échange permanent d’idées et l’interaction de points de vue en rapprochant les chercheurs et les lecteurs. Dans la présente édition d’Anamorphosis, nous avons le plaisir d'interviewer François Ost, l’un des pionniers et des principaux chercheurs de l’actualité en droit et littérature. Né à Bruxelles en 1952, François Ost a une carrière solide et reconnue de juriste et de philosophe du droit. En 2001, il a reçu de l’Université de Nantes (France) le titre de Docteur honoris causa. En 2004, il a été élu membre de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. En 2006, son ouvrage Raconter la loi a obtenu le Prix quinquennal de l’essai de la Communauté française de Belgique. En 2010, il a reçu le Grand prix de la Fondation Prince Louis de Polignac pour l’ensemble de son œuvre. Outre ses recherches au sein de l’Académie, François Ost est l’auteur de trois pièces de théâtre : Antigone voilée (Bruxelles, Larcier, 2004), La nuit la plus longue; Sade et Portalis au pied de l’échafaud (Bruxelles, Anthémis, 2008) et Camille (Carnières/Morlanwelz, Lansman, 2011). 1 Étudiant de master en droit public à l’Universidade do Vale do Rio dos Sinos (UNISINOS). Licencié en droit à l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul (UFRGS). Scénariste de l’émission télévisée Direito & Literatura (TV Justiça). Membre de la Rede Brasileira Direito e Literatura (RDL). Assistant d’édition d’Anamorphosis - Revista Internacional de Direito e Literatura. Écrivain et éditeur de la maison d’édition Le Chien. Porto Alegre, RS, Brasil. CV Lattes: http://lattes.cnpq.br/1582390811392545. E-mail: dieter@rdl.org.br ANAMORPHOSIS – Revista Internacional de Direito e Literatura, v. 3, n. 1, p. 259-274 260 Vice-recteur et professeur titulaire à l’Université Saint-Louis (Belgique), il est professeur titulaire à l’Université de Genève (Suisse) et à l’Université Catholique de Bruxelles (Belgique). Il a été professeur invité dans les universités de Louvain, de Buenos Aires, de São Paulo, de Macerata, de Paris-Nanterre et, de même, au Collège Belgique (Bruxelles), au Collège International de Philosophie (Paris), à l’École Nationale de la Magistrature (Bordeaux) et à l’Institute Universitaire Européen (Florence). François Ost est, entre autres, co-directeur de l’Académie européenne de Théorie du Droit (Bruxelles), co-président de l’Association européenne pour l'enseignement de la Théorie du Droit (Bruxelles), président de la Fondation pour les Générations futures (Namur), membre-fondateur de l’Institut d'études sur la justice (Bruxelles). Quelques-uns des ouvrages de son importante production bibliographique sont Le temps du droit (1999), Raconter la loi ; Aux sources de l’imaginaire juridique (2004), Sade et la loi (2005), Dire le droit, faire justice (2007), La nature hors la loi. L'écologie à l'épreuve du droit (1995), Traduire; Défense et illustration du multilinguisme (2009), et Furetière, La démocratisation de la langue (2008). Certains de ses ouvrages ont été traduits en portugais : A natureza à margem da lei (Piaget, Lisboa), O tempo do direito (EDUSC, Bauru) e Contar a lei; as fontes do imaginário jurídico (UNISINOS, São Leopoldo). Dieter Axt – Vous êtes l’un des pionniers et l’un des principaux représentants en ce qui concerne l’étude des relations entre le droit et la littérature. Qu’est-ce qui vous a motivé à débuter des études dans ce domaine et de quelle façon le droit et la littérature peuvent-ils converger ? Je faisais des cours, depuis longtemps, dans le domaine de la philosophie du droit. Je me suis aperçu que, bien souvent, j’introduisais l’exposé d’une question par un récit littéraire. Je pense par exemple à la question de la résistance à l’oppression et de la désobéissance civile que je mettais en rapport avec la tragédie d’Antigone de Sophocle. Mais les exemples sont nombreux : Faust et le contrat, Robinson Crusoë et la propriété privée, Richard II de Shakespeare et la doctrine « des deux corps du roi », Dickens et les juges iniques… ENTREVISTA com François Ost 261 A un certain moment je me suis persuadé que ces rapprochements ne résultaient pas du hasard, et je me suis mis à considérer sérieusement cette production artistique et littéraire. L’enjeu, au moment d’opérer ce basculement, est de ne pas se contenter de considérer la littérature comme un simple réservoir d’exemples en vue d’illustrer telle ou telle thèse de philosophie du droit. Il fallait prendre ces textes au sérieux, pour eux- mêmes et dans leur intertextualité littéraire ; ne pas seulement leur adresser des questions de juristes, mais se laisser aussi décentrer et interpeller par leur imaginaire propre. C’est une condition d’entrée indispensable dans la pratique interdisciplinaire, d’autant plus nécessaire qu’on rapproche ici, plutôt que deux sciences (science du droit et science littéraire), deux imaginaires et deux pratiques (pratique juridique et pratique de l’écriture littéraire ou théâtrale). Droit et littérature convergent de multiples façons. Je me contente, dans cette première question, d’évoquer deux pistes de réponse. D’une part, le fait, avéré, que, dans leur formation et leur carrière, hommes de lettres et hommes de lois ne font souvent qu’un : singulièrement nombreux sont les auteurs ayant suivi une formation juridique (Balzac, Flaubert, Dickens,…), et pas mal d’entre eux ont même travaillé leur vie durant comme juriste (Kafka). L’autre piste consiste à souligner combien le raisonnement juridique, et particulièrement le raisonnement judiciaire, est pétri de narrativité : je pense au récit des faits en justice, mais aussi au récit des « précédents » (on songe à Dworkin et à ses juges, « conteurs moraux de la nation », rendant la justice sur le modèle de l’écriture « d’un roman à la chaîne »), je pense aussi au récit des connotations « encyclopédiques » qui s’attachent aux mots de la loi (cf. U. Eco insistant sur l’importance d’une interprétation basée sur cette histoire « encyclopédique », par opposition à une simple définition analytique « lexicale » de ces termes), je pense enfin au récit pragmatique des péripéties du procès lui-même et des divers avatars de sa procédure. C’est de part en part que la jurisdictio est pénétrée par le récit, qui est reconstruction imaginaire de son contexte et production narrative de son sens. ANAMORPHOSIS – Revista Internacional de Direito e Literatura, v. 3, n. 1, p. 259-274 262 Dieter Axt – No livro Contar a lei – as fontes do imaginário jurídico, o senhor identifica três campos de interação entre Direito e Literatura: o Direito da Literatura, o Direito como Literatura e o Direito na Literatura. O quanto há de interação e o quanto há de confronto entre o Direito e a Literatura? Parlons d’abord des interactions. Comme déjà dit, elles sont nombreuses, ouvrant autant de champs, ou d’axes, dans le vaste domaine « droit et littérature ». Aux trois axes classiques que vous évoquez, j’en ajoute maintenant deux autres. D’une part, le « droit par la littérature » - par quoi je vise les textes littéraires écrits par des juristes ou des politiques en vue de faire avancer une « cause ». On peut citer les pamphlets littéraires de Voltaire en vue de dénoncer les abus de l’ancien régime : arbitraire des lettres de cachet et intolérance religieuse dans les affaires Calas, et du Chevalier de la Barre. On pense aussi aux Lettres persanes de Montesquieu, aux nombreux textes de Victor Hugo luttant pour l’abolition de la peine de mort (Le dernier jour d’un condamné, Claude Gueux). J’ai moi-même écrit, si je peux me permettre, une Antigone voilée pour discuter la question de la légitimité du port du voile islamique dans l’espace public. D’autre part, il y a aussi « la littérature comme droit » - des cas, exceptionnels sans doute, dans lesquels le corpus littéraire est utilisé comme source de droit en vue de résoudre des litiges. J’ai rencontré un exemple pareil à l’Université MacGill au Québec où est organisé, chaque année, un Moot court, procès fictif présenté à un groupe d’étudiants de droit et de lettres, avec pour consigne de discuter l’affaire à l’aide exclusive du corpus représenté par les pièces de Shakespeare. Aussi étonnant que cela paraisse, la formule fonctionne et, d’année en année, se constitue une « jurisprudence shakespearienne » qui, à son tour, vient enrichir le matériau disponible pour les futurs procès. J’en viens maintenant aux confrontations entre droit et littérature . Elles aussi sont innombrables, depuis Les Lois et La République de Platon où dramaturges et poètes se font durement éconduire par les légistes au motif que leur art n’est pas sérieux et potentiellement subversif. Les deux variétés les plus connues d’opposition entre ces deux imaginaires rivaux (le roman politique officiel et la fiction littéraire) sont la censure et l’instrumentalisation ou l’embrigadement. L’artiste et le comédien sont souvent politiquement suspects au regard d’un pouvoir jaloux de ses ENTREVISTA com François Ost 263 prérogatives et méfiant à l’égard du bouffon qui lui rappelle qu’il est uploads/S4/ dieter-axt-entretien-avec-francois 1 .pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.4207MB