Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet
Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Pétrole russe : un arbitre au-dessus de tout soupçon Par Martine Orange Article publié le lundi 21 février 2011 Le 6 janvier 2011 est un jour faste pour Jean-Pierre Mattei. La Cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente dans le diffé- rend qui l’oppose à Total, ce dernier contestant les conditions de sa nomination comme arbitre de l’ancienne filiale du groupe pé- trolier, Elf NeftGaz. Le tribunal arbitral, placé sous l’autorité de la cour d’arbitrage de Stockholm, va donc pouvoir statuer sur le contrat de pétrole russe signé par Elf en 1992. Les régions russes, s’estimant lésées par la non-exécution du contrat, réclament 170 milliards de dollars au titre de la réparation de leur manque à ga- gner. Bien que cette affaire n’ait pas fait grand bruit, dans les milieux judiciaires, elle frappe beaucoup les esprits. Certains s’étonnent de la décision de la 1re chambre civile de la cour d’appel. Alors qu’il y a eu tant de faits contestables dans ce dossier et dans le processus de nomination de Jean-Pierre Mattei, pourquoi a-t-elle décidé de fermer les yeux ? «Il y a tant d’intérêts dans les dossiers d’arbitrage. Les juges ne veulent pas se mettre les cours d’arbi- trage à dos, surtout depuis qu’ils ont le droit, en tant que magis- trats, de siéger dans ces tribunaux» , confie, sibyllin, un avocat. D’autres s’interrogent sur l’entêtement de Jean-Pierre Mattei à vouloir rester envers et contre tout l’arbitre d’Elf Neftgaz, après avoir été nommé dans des conditions si douteuses. Bien sûr, il y a l’argent. Etre arbitre est très rémunérateur : entre 300.000 et 500.000 euros par juge, en moyenne dans les dossiers impor- tants, les tarifs d’arbitrage étant fixés librement par les arbitres eux-mêmes, en fonction officiellement du temps passé et des frais engagés, à la fin de la procédure. Dans le cas d’un dossier aussi lourd que celui d’Elf, cela peut monter beaucoup plus haut : plus d’un million d’euros, murmurent certains. Mais même si l’appât du gain est réel, cela justifie-t-il de couvrir les sombres manœuvres qui ont permis sa nomination ? A la fa- veur de cette affaire, de vieux souvenirs resurgissent. Car la prési- dence de Jean-Pierre Mattei au tribunal de commerce de Paris n’a pas été exempte de critiques. Lors de l’enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce en 1998, le président de la commission parlementaire, François Colcombet et le rapporteur, Arnaud Mon- tebourg, avaient saisi la justice de certains faits. Les conditions de la reprise du Royal Monceau par l’homme d’affaires syrien Os- mane Aïdi les avaient si intrigués ? Jean-Pierre Mattei avait été soupçonné de partialité dans ce dossier ? qu’ils avaient saisi la justice. La brigade financière avait enquêté, puis tout avait été en- terré sur « ordre politique » . Depuis, Jean-Pierre Mattei s’est fait oublier et le monde des af- faires a la mémoire courte. Il a une société de conseil, Fimopar ; il conseille le fonds d’investissement Sagard constitué par de très grandes fortunes ; il siège à plusieurs conseils d’administration dont celui de Theolia à côté de son ami, le sénateur Philippe Do- minati. Il est arbitre et préside le collège européen de résolution des conflits. De temps en temps, son nom émerge de quelque dos- sier compliqué, comme l’affaire immobilière Orco. Mais pour Elf NeftGaz, l’affaire est beaucoup plus grave à en croire certains témoins : contrairement à ce qu’imposent les règles internationales d’arbitrage, Jean-Pierre Mattei est tout sauf un arbitre indépendant. Il aurait même partie liée de longue date avec André Guelfi, surnommé «Dédé la sardine» en raison d’une fortune engrangée dans une conserverie de poissons au Maroc. «Jean-Pierre Mattei et André Guelfise connaissent de très longue date. Ils ont chacun une villa en Corse, pas très éloignées l’une de l’autre à Ajaccio. Ils ont fait des affaires ensemble, dans les par- kings entre autres» , raconte un connaisseur de ce petit monde, qui refuse de témoigner publiquement. Quand Mattei aide Guelfià aller en Ukraine Mais il y a un témoin qui accepte de parler à visage découvert : Omar Harfouch, millionnaire libanais, très connu dans le monde jet-set, surtout depuis qu’il a été dans la reprise de l’agence de mannequins Elite et implanté de longue date en Ukraine. «Au- jourd’hui, Omar Harfouch figure plutôt dans les chroniques de Voici ou de Choc. Mais au moment de l’éclatement de l’URSS, c’était un homme très introduit dans les pays de l’Est, surtout en Ukraine où son frère et lui possèdent un groupe de médias. Il était très proche des milieux russes en Ukraine. Il faisait très forte im- pression à Paris» , se rappelle un autre témoin. Dans le cadre d’un reportage sur les oligarques, qui ont capté des milliards au moment de l’éclatement de l’URSS, Omar Harfouch décrit cette atmosphère de déliquescence de l’époque. Il y raconte aussi un étrange voyage en Ukraine, le 24 février 1999, qu’il a or- ganisé, en tant qu’intermédiaire pour André Guelfiet Jean-Pierre Mattei, afin de leur permettre de rencontrer les autorités ukrai- niennes et de parler de la reprise d’Antonov. Voyage et projet qu’évoquera André Guelfidans un entretien à Marianne du 8 mars 1999. «Je viens de rendre visite au président ukrainien Leo- nid Koutchma qui m’a confié un dossier prioritaire : trouver des débouchés au célèbre industriel aéronautique Antonov», déclare- t-il alors. (La seconde partie de cet entretien est consultable ici ) L’histoire que raconte Omar Harfouch dans la vidéo est un peu différente. Une tranche de vie des affaires, à la mode Guelfiet comparses. «A l’époque, j’ai organisé, en tant qu’intermédiaire, un voyage en Ukraine avec André Guelfipour rencontrer le pré- sident ukrainien Leonid Koutchma. André Guelfidisait vouloir ai- der l’Etat ukrainien à trouver des investisseurs pour financer sa compagnie aéronautique Antonov que l’Ukraine n’arrivait plus 1 Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet à financer» , explique-t-il en substance devant la caméra. Des réunions préparatoires sont organisées à l’ambassade d’Ukraine à Paris en présence d’André Guelfiet Jean-Pierre Mattei. «Avoir le président du tribunal de commerce, c’était avoir la certitude qu’en cas de litige, tout se passerait bien» , explique-t-il. «La veille du voyage, Jean-Pierre Mattei, qui m’avait demandé d’or- ganiser ce voyage, m’a prévenu qu’il ne partait plus avec nous. » «J’ai compris plus tard que Jean-Pierre Mattei n’était pas venu car il avait obtenu ce qu’il voulait d’André Guelfi. A l’époque, il cherchait de l’argent pour ses parkings» , poursuit-il. « En fait, ce voyage était un pur prétexte pour André Guelfi. A l’époque, il venait de publier un livre de mémoire. Il voulait faire sa promotion. Il avait emmené des journalistes avec lui. Tout ce qui l’intéressait était que les journalistes prennent des photos de lui avec le président ukrainien pour montrer son influence, alors qu’il ne le connaissait pas. Antonov ne l’intéressait pas du tout» , dit-il. «Quand j’ai compris cela, j’ai été très en colère. Car j’avais mis en jeu mes réseaux, mon influence pour ce voyage.» Les échanges tourneront à l’aigre au retour, Guelfirefusant de lui payer la commission promise. Très en colère, Omar Harfouch en- registrera la conversation d’explication avec André Guelfiet la transmettra à l’ambassadeur d’Ukraine à Paris pour prouver sa bonne foi dans cette affaire. «J’ai fait ce que j’avais promis de faire» Interrogé par Mediapart sur cette vidéo, Omar Harfouch se fait beaucoup plus précis. «Je connais Jean-Pierre Mattei de longue date», dit-il. «Des relations personnelles» sur lesquelles il refuse de s’étendre. «Je l’avais emmené déjà en Ukraine. Car il cher- chait des investisseurs pour financer ses parkings. De mémoire, il cherchait 8 millions de francs à l’époque» , explique-t-il. «C’est lui qui m’a transmis le dossier de reprise de la société aéronau- tique Antonov, qui à l’époque avait de grandes difficultés finan- cières, pour le compte de Guelfi. Le dossier me paraissait sérieux. Il y avait des noms d’investisseurs et de compagnies aériennes eu- ropéennes. J’ai donc œuvré pour organiser ce voyage avec Jean- Pierre Mattei et André Guelfi, afin de leur permettre de rencontrer le président ukrainien et parler de l’aide qu’ils pourraient appor- ter à Antonov» , raconte-t-il. «La veille du voyage, j’ai reçu un appel de Jean-Pierre Mattei, m’informant qu’il ne participerait pas au voyage du lendemain. J’ai protesté en disant que si les autorités ukrainiennes avaient accepté de rencontrer André Guelfi, c’était aussi parce qu’il était là. En tant que président du tribunal de commerce de Paris, il re- présentait les autorités françaises. Nous avons discuté. Et il a eu cette phrase à un moment : ?Que dirait-on si on me voyait, moi, président du tribunal de commerce aux côtés d’André Guelfi? ? J’étais très en colère de ce désistement de dernière minute », raconte-t-il. «De retour à Paris, j’avais compris que Guelfine voulait rien pour Antonov. Il voulait prouver qu’il était un personnage influent dans toute l’Europe de l’Est. Lorsque nous nous sommes disputés au sujet de ma commission, André Guelfia dit à Jean-Pierre Mat- uploads/Finance/ 07-fevrier-2011-petrole-russe-un-arbitre-au-dessus-de-tout-soupcon.pdf
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- Publié le Mai 25, 2021
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