Revue Région et Développement n° 19-2004 LES EFFETS DES TECHNOLOGIES DE L'INFOR

Revue Région et Développement n° 19-2004 LES EFFETS DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION SUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE : LE CAS DE LA TUNISIE Adel BEN YOUSSEF* et Hatem M'HENNI** Résumé - Cet article examine l'impact des technologies de l'information et de la communication (TIC) sur la croissance des pays en développement en général et sur l'économie tunisienne en particulier. Dans une première partie, nous discutons du rapport de causalité entre TIC et croissance. Cinq types de canaux par lesquels les TIC peuvent agir sur la croissance sont identifiés : l'effet multiplicateur d'investissement en TIC, "l'effet déflateur" qui traduit la baisse des prix dans le secteur des TIC, "l'effet capital deepening" qui concerne la substitution capital/travail suite aux investissements en TIC, "l'effet productivité globale des facteurs" et "l'effet qualité" qui traduit l'amélioration de la qualité et la variété des produits. Dans une seconde partie, nous tentons d'estimer la contribution à la croissance de la diffusion des TIC en Tunisie. Dans une troisième partie, nous montrons qu'actuellement seul l'effet multiplicateur d'investissement en TIC semble jouer. Une accélération de la croissance et des performances de l'économie tunisienne fondée sur les TIC peut passer à court terme par une meilleure prise en compte de l'effet déflateur. Mots-clés : CROISSANCE ÉCONOMIQUE, TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION, PRODUCTIVITÉ GLOBALE DES FACTEURS. Classification du JEL : L15, L16, O31. Nous tenons à remercier Bertrand Bellon, Maurice Catin, Patrick Musso, Ludovic Ragni, Alain Rallet et Fabrice Rochelandet pour leurs commentaires et suggestions. Toutes les erreurs ou omissions sont de la seule responsabilité des auteurs. Ce travail a bénéficié du soutien financier du programme CMCU (accord de coopération franco-tunisien) et de la Commission européenne à travers le programme FEMISE. * ADIS, Faculté Jean Monnet, Université de Paris Sud, 54 bd Desgranges, 92331 Sceaux cedex et EDHEC Business School. adel.ben-youssef@jm.u-psud.fr. ** ADIS et École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales, 4 rue Abouzakaria el Hafsi, 1028 Montfleury, Tunis. hatem.mhenni@essec.rnu.tn. 132 Adel Ben Youssef et Hatem M'Henni INTRODUCTION Les effets macro-économiques des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC), notamment sur la productivité et le rythme de croissance, ont suscité un large débat en sciences économiques durant la dernière décennie, comme en témoignent les prises de position sur le paradoxe de la productivité1. Du point de vue de l'analyse économique on peut distinguer trois positions. La première consiste à affirmer, sur la base des constatations établies aux États-Unis et dans certains pays de l'OCDE (Australie, Nouvelle Zélande, Canada), que les TIC jouent un rôle majeur dans l'accélération du potentiel de croissance économique des pays (Boudchon, 2002 ; Jorgensen et Stiroh, 2001 ; Jorgensen, 2001 ; Colecchia et Schreyer, 2001 ; Cette, Mairesse et Kocuglu, 2000 a, b et 2003 ; Oliner et Sichel, 2000 ; Gordon, 2002 ; Petit, 2003). La seconde position, qualifiée de "réservée", attribue davantage l'explication d'un supplément de croissance constaté dans certains pays de l'OCDE à la conjonction de nombreux facteurs qui prennent leur origine au début des années 80 : déréglementation des marchés, politique de stabilisation macro-économique efficace, maîtrise de l'inflation par les interventions des banques centrales, existence d'un marché du travail et de marchés de capitaux dynamiques, internationalisation des stratégies des firmes et mondialisation de l'économie… Les TIC seraient surestimés du point de vue de leur apport à la croissance (Bailey, 2002 ; Boyer, 2002 ; Gilles et L'horty, 2003 ; Gordon, 2003). Enfin, la troisième position part du constat que les effets macro-économiques des TIC sont tributaires de l'adoption d'actifs complémentaires tels que les innovations organisationnelles (Brynjolfsson et 1 Le paradoxe de la productivité concerne la non-manifestation de gains de productivité au sein des économies modernes, alors même que l'adoption des ordinateurs n'a cessé d'augmenter (Solow, 1987). Diverses interprétations ont été suggérées pour l'expliquer. Pour certains ce paradoxe est lié à l'incapacité du système statistique à le cerner (Mairesse, 2003). Dès lors que des efforts substantiels ont été faits, des gains de productivité ont pu être observés, notamment aux États-Unis. Pour d'autres auteurs, le paradoxe de la productivité est lié à la non-adoption d'innovations complémentaires (Askenazy et Gianella, 2000 ; Greenan, L'horty et Mairesse, 2002). Dès lors que les firmes américaines ont modifié leurs pratiques organisationnelles, on a observé des gains de productivité importants. D'autres, encore affirment l'existence d'effets de seuil : il est nécessaire d'accumuler du capital TIC jusqu'à un certain seuil avant que les effets macro-économiques ne se manifestent. Pour un auteur comme Boyer (2002), l'accélération de la productivité, après une phase longue de ralentissement, prend son origine dans les années 80. Ceci confirme la thèse de l'absence de lien direct et synchrone entre TIC et accroissement de la productivité. Pour un résumé des positions des économistes sur le paradoxe de la productivité, nous invitons le lecteur à se reporter au texte de Triplett (1998). Région et Développement 133 Hitt, 2000 ; Gollac, Greenan et Hamon-Cholet, 2002 ; Bellon, Ben Youssef et Rallet, 2003), la modification du cadre institutionnel et réglementaire (Noll, 2000 ; Nordhaus, 2001), la modification des schémas incitatifs (Feldstein, 2003) ou encore des modes de gouvernance (Von Tunzelman, 2003). Certains pays en voie de développement (PVD) considèrent qu'une adoption massive des TIC peut permettre un rattrapage "accéléré" des pays industrialisés. Les TIC pourraient être à l'origine d'une modification de leur rythme de croissance et d'une meilleure insertion dans la division internationale du travail. L'irruption de nouvelles technologies peut en effet permettre l'ouverture de "fenêtres" de re-spécialisation pour les pays à faible niveau de développement. Des opportunités nouvelles peuvent être saisies comme en témoigne la percée de la Chine dans l'industrie des ordinateurs et de l'Inde en matière des logiciels. Ainsi, certains pays ont entrepris des réformes importantes afin de faciliter la diffusion des TIC dans leur économie. Les institutions multilatérales chargées du développement semblent appuyer fortement ces politiques. Cependant, il nous paraît nécessaire de se poser la question du bien- fondé de ces politiques. En d'autres termes, dans quelle mesure les gains de productivité et de croissance qui peuvent être obtenus dans certains pays de l'OCDE sont-ils généralisables aux PVD ? Dans une première partie, nous discutons du lien de causalité entre TIC et croissance en général et pour le cas des PVD en particulier. Dans une seconde partie, nous tentons d'évaluer la contribution à la croissance de la diffusion des TIC en Tunisie sur la période 1995-1999. Dans une troisième partie, nous montrons qu'actuellement seul l'effet multiplicateur d'investissement en TIC semble jouer en la matière. Une élévation du rythme de croissance de l'économie tunisienne fondée sur les TIC passe surtout par une meilleure prise en compte de l'effet déflateur. 1. LES EFFETS DES TIC SUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE Au risque d'une simplification abusive, la littérature économique identifie cinq canaux de transmission complémentaires des TIC sur la croissance : l'effet multiplicateur dû à l'investissement en TIC, l'effet "déflateur" sur l'inflation suite à la baisse des prix dans le secteur des TIC et leur répercussion dans les autres secteurs, l'effet "capital deepening" traduisant une amélioration du rendement du travail suite à la substitution capital/travail, l'effet "qualité" traduisant l'amélioration des caractéristiques des TIC et, par effet ricochet, l'amélioration de la qualité de nombreux biens et services et enfin, l'effet "productivité globale des facteurs" : une accélération de la productivité suite à l'investissement en TIC. 134 Adel Ben Youssef et Hatem M'Henni 1.1. Les effets multiplicateurs Les outputs du secteur des TIC sont acquis par les entreprises comme des biens d'investissements et/ou comme des biens de consommation intermédiaire, mais également, comme biens de consommation finale. La forte croissance des équipements de la part des entreprises et des consommateurs en biens dérivés des TIC s'est traduite par une augmentation de la croissance économique globale. Le mécanisme principal sur lequel repose l'argument s'apparente à un multiplicateur d'investissement keynésien en ce qui concerne les TIC plus important que le multiplicateur d'investissement en matériel non TIC. Compte tenu de leur caractère générique (Helpman, 1998), les TIC semblent exercer des effets économiques plus importants sur le reste de l'économie. Pohjola (2002) définit un seuil critique du secteur TIC à partir duquel on constate l'apparition d'effets dynamiques et significatifs sur le reste de l'économie. Il pourrait se situer autour de 5 % du PIB. A titre d'exemple, aux États-Unis le secteur des TIC dépasse les 8 % du PIB alors qu'en France il atteint 5 %. 1.2. L'effet déflateur Le second effet concerne l'impact de la baisse des prix propre aux TIC en général, et des prix des ordinateurs en particulier, sur le reste de l'économie. En effet, la baisse continue des prix dans le secteur des TIC et notamment celle liée à la baisse des prix des microprocesseurs a conduit les entreprises à accroître considérablement leur investissement en ce domaine. Derrière l'accélération du rythme de la productivité et de la croissance américaine, on trouve une accélération du rythme de la baisse des prix des ordinateurs et des équipements périphériques durant la période allant de 1996 à 1998. Alors que la baisse des prix s'effectuait à un rythme de 12 % par uploads/Finance/ correction-economie-2012-les-effets-de-la-diffusion-des-technologies-de-linformation-et-de-communication.pdf

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  • Publié le Jul 21, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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