22 Finances & Développement Décembre 2012 Graphique 1 Bon marché Entre 1987 et

22 Finances & Développement Décembre 2012 Graphique 1 Bon marché Entre 1987 et 2007, la Chine était à l’origine de la quasi-totalité de la forte progression des importations américaines et européennes en provenance de pays à bas salaires. (part des importations européennes et américaines, en pourcentage) Source : calculs des auteurs. Note : Les pays à bas salaires sont ceux dont le PIB par habitant était inférieur à 5 % de celui des États-Unis entre 1972 et 2001. Ensemble des pays à bas salaires Chine 0 5 10 15 20 1980 82 84 86 88 90 92 94 96 98 2000 02 04 06 Nick Bloom, Mirko Draca et John Van Reenen Magasin Apple à New York. L ORSQUE la société «high-tech» californienne Eye-Fi a lancé en 2005 une nouvelle puce à mémoire incluant une capacité wi-fi, elle s’est heurtée à un problème que partagent beaucoup de firmes technologiques : comment transformer un prototype porteur en un produit de masse bon marché — et le commercialiser avant ses concurrents. La solution pour Eye-Fi : suivre la voie que les entreprises occidentales sont de plus en plus nombreuses à choisir face à l’ascension de la Chine au rang de superpuissance manufacturière. Elle s’est adressée à un petit fabriquant local pour le dévelop- pement de prototypes, que les ingénieurs de Eye-Fi affinaient presque de jour en jour. Une fois que la demande a décollé et que le marché a pris de l’extension, Eye-Fi a abandonné la pro- duction en petite quantité aux États-Unis pour la production de gros volumes à bas prix en Chine. L’innovation et la phase de développement à haute technicité ont eu lieu aux États-Unis, mais la production de masse à faible technicité a été délocalisée. Comme l’industrie manufacturière chinoise domine de plus en plus la production de masse mondiale, l’histoire se répète aux États-Unis, en Europe et au Japon. Le parcours a été le même pour iPhone et iPad de Apple. Conception et prototypes en Californie, puis production en Chine. La concurrence chinoise annexe une part croissante de la production manufacturière à faible technicité, tout en alimentant l’innovation «high-tech» en Occident. C’est ainsi que de nombreuses entreprises occidentales réus- sissent à tirer parti de la puissance économique croissante de la Chine. Le décuplement de la part des produits importés de Chine par les États-Unis et l’Europe entre 1987 et 2007 a sans doute coûté leurs emplois à un grand nombre de travailleurs peu qualifiés (graphique 1). C’est la mauvaise nouvelle. Mais, comme l’illustre l’exemple de Eye-Fi, le déferlement des exportations chinoises en Europe et aux États-Unis est une bonne nouvelle pour l’avenir économique de l’Occident, qui doit reposer sur l’innovation. Les exportations chinoises ont poussé les entreprises de pointe des pays avancés à se surpasser, stimulant les innova- tions qui assureront la croissance future. Bien entendu, il n’y a pas que des gagnants — les travailleurs peu qualifiés d’Europe et des États-Unis sont à la peine, car leurs patrons embauchent du personnel plus qualifié. Prenons l’industrie de la chaussure, exemple type d’un secteur à faible technicité. Le bon sens voudrait que la production soit La Chine, atout de créativité pour l’Ouest Les exportateurs chinois dominent la production manufacturière à faible technicité, tout en dopant l’innovation «high-tech» en Occident Finances & Développement Décembre 2012 23 délocalisée dans un pays à bas coût tel que la Chine ou le Viet Nam. De fait, beaucoup de fabricants américains ou européens ont disparu. Mais certains chausseurs lancent des produits innovants qui réussissent sur des marchés où la Chine est moins concurrentielle. Ainsi, la société Masai Barefoot Technology (MBT), qui fabrique des chaussures orthopédiques, est née lorsque Karl Müller, un ingénieur suisse qui souffrait du dos, a trouvé le remède à ses douleurs en marchant pieds nus sur les gazons coréens. Il a breveté un modèle de chaussure reproduisant cet effet, qui connaît un succès fou et a aujourd’hui beaucoup d’imitateurs. Beaucoup d’entreprises, à l’instar de MBT et Eye-Fi, ont fait front aux éventuelles incursions des fabricants chinois en inves- tissant dans les nouvelles technologies et le capital humain et en innovant avec des modèles très personnalisés. Il y avait bien moins d’entreprises innovant ainsi avant l’intégration du commerce avec la Chine parce qu’il est beaucoup plus facile de continuer à travailler comme on l’a toujours fait. Mais un gros choc, tel que la concurrence de l’industrie manufacturière chinoise, réduit le coût d’opportunité de l’innovation et dissuade les entreprises de se laisser aller au train-train habituel. Adhésion de la Chine à l’OMC Le bouleversement majeur pour les entreprises des pays avancés a été l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre 2001 et, au cours des quatre années suivantes, la disparition de beaucoup des obstacles aux produits chinois, en particulier dans le textile. Il s’ensuivit une énorme percée des exportations chinoises et une guerre entre les détaillants en quête de produits bon marché et les producteurs nationaux soucieux de préserver leurs marchés. Ces derniers ont en fait partiellement réussi à faire rétablir des quotas d’importations. Des caisses et des caisses d’articles d’habillement de fabrication chinoise, en particulier des sous-vêtements féminins, se sont accumulées dans les ports jusqu’à ce que l’Union européenne et la Chine trouvent un compromis pour mettre fin à la «guerre des soutiens-gorge». Des événements tels que l’adhésion de la Chine à l’OMC sont des expériences naturelles qui permettent d’examiner les effets de la concurrence des pays à bas salaires, et nous en avons tiré parti dans nos travaux. Dans la plus vaste étude jamais réalisée sur l’impact de la Chine sur les progrès technologiques en Occident, nous avons retracé les performances de près d’un demi-million d’entreprises manufacturières de douze pays européens au cours des dix dernières années (Bloom, Draca et Van Reenen, 2011). Nous avons analysé en détail l’investissement dans les techno- logies de l’information (TI), les dépôts de brevets, les dépenses de recherche–développement (R–D), les méthodes de gestion et l’évolution globale de la productivité. Nous avons ensuite quan- tifié l’expérience naturelle que constituait l’entrée de la Chine à l’OMC à l’aide des quotas d’importations européens pour les textiles, l’habillement et les chaussures. Incidence de la Chine sur la technologie et l’emploi Nous avons été surpris de constater qu’environ 15 % des progrès techniques accomplis en Europe au cours de la dernière décennie sont attribuables à la concurrence des produits chinois, ce qui représente un bénéfice annuel de près de 10 milliards d’euros pour les pays européens. Les entreprises ont réagi à la menace chinoise en adoptant des TI plus performantes, en augmentant leurs dépenses de R–D et en multipliant les dépôts de brevets, ce qui, bien sûr, a rehaussé leur productivité. Notre étude confirme que la concurrence chinoise incite à innover du fait d’un facteur «captif» (Bloom et al., 2012). Ce modèle repose sur l’idée qu’il est coûteux de transférer certains facteurs de production d’une entreprise à une autre, en raison des coûts d’ajustement et des investissements à fonds perdus, c’est-à-dire en partie irréversibles (par exemple dans des tech- niques qu’aucune autre entreprise n’utilise). Bien que, face aux importations chinoises, les entreprises qui fabriquent des produits à faible technicité voient leur rentabilité relative diminuer, elles ne peuvent pas se débarrasser de leurs facteurs de production «captifs» — main-d’œuvre et capital. De ce fait, le coût d’oppor- tunité de l’innovation et de la création d’un bien inédit diminue. Autrement dit, parce que le commerce avec la Chine fait baisser la rentabilité des produits à faible technicité, il réduit aussi le coût de l’innovation, ce qui libère des facteurs pour créer de nouveaux produits et moderniser les méthodes de production. Nous nous sommes récemment rendus dans une entreprise américaine de pièces mécaniques, qui donne une bonne illus- tration du facteur captif. Jusqu’au début des années 2000, elle produisait une large gamme d’articles. Mais les concurrents chinois ont conquis son marché en proposant sur catalogue des prix près de moitié inférieurs. L’entreprise a donc battu en retraite. Elle a dû réduire la voilure — les ouvriers peu qualifiés ont été licenciés et certaines des chaînes de production ont été stoppées. Mais, en même temps, elle a découvert qu’elle pouvait couvrir de nouveaux marchés : la production rapide, en petites quantités, de pièces requises «du jour au lendemain», les clients «sensibles» (prototypes militaires ou commerciaux), et la fabrication sur mesure (un peu comme aux débuts de la société Eye-Fi). L’entreprise est donc devenue plus innovante, elle a engagé davantage d’ingénieurs et diminué ses effectifs d’ouvriers peu qualifiés. Il a aussi fallu améliorer sensiblement les méthodes de gestion pour élargir la gamme de produits et réduire les délais de production. Au bout du compte, l’entreprise a quitté un marché de masse pour un créneau technologique, en devenant plus créative et en investissant dans les TI. Nous avons trouvé des preuves statistiques rigoureuses de cet effet du facteur captif. L’augmentation sensible de la menace de la concurrence chinoise a en moyenne stimulé l’évolution technique, mais ses effets ont été beaucoup plus puissants en présence d’un niveau plus élevé de capital propre uploads/Finance/ creativite-chine.pdf

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  • Publié le Nov 26, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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