1 HISTOIRE DE LA VALEUR EN FINANCE D'ENTREPRISE Gérard HIRIGOYEN et Jérôme CABY

1 HISTOIRE DE LA VALEUR EN FINANCE D'ENTREPRISE Gérard HIRIGOYEN et Jérôme CABY Résumé : Cette recension est destinée, d'une part, à brosser une histoire de la valeur depuis l'apparition de cette notion dans les travaux de sciences économiques jusqu'à son appropriation actuelle par la finance d'entreprise et, d'autre part, à envisager les voies futures de développement de ce concept. Abstract : This survey is devoted, on one hand, to the analysis of the history of value from the very first works in economics to the current concept in corporate finance and, on the other hand, to sketch the potential future of that orientation. "Heureusement, il n'y a rien dans les lois sur la valeur qui reste à clarifier pour un auteur actuel ou futur : la théorie est complète" J. St. Mill (1848) Introduction La question de la valeur, de sa création comme de son estimation, a toujours suscité réflexion et controverses dont l'intensité trahit l'importance de l'enjeu : le statut scientifique de la finance. La découverte du principe caché qui régit les rapports d'échange permet en effet de passer du stade d'une finance descriptive à celui d'une véritable discipline scientifique. La maîtrise de l'enjeu de la valeur représente une rupture épistémologique : l'élaboration d'une théorie de la valeur a rendu ainsi possible la détermination des modèles de la structure financière des firmes ou l'établissement d'une relation entre la rentabilité et le risque d'une entreprise. Jusque vers 1950, les responsables financiers des entreprises ne disposaient pas de théorie à proprement parler. Ils pouvaient avoir recours à la science économique pour comprendre l'évolution de l'environnement de l'entreprise et utilisaient les techniques comptables pour effectuer les mesures financières mais aucune mesure rationnelle ne pouvait les aider à la prise de décisions. La méthodologie de la théorie financière a largement emprunté à la théorie néoclassique de la firme. En effet, l'un des modèles les plus connus de la théorie néoclassique suppose que la firme maximise son profit en étant soumise à la contrainte d'une fonction de production. La théorie financière utilisera des modèles de la même forme : maximiser une fonction objectif soumise à des contraintes non pas pour effectuer des prédictions, mais pour en tirer des règles de conduite. Etant 2 donné les hypothèses qu'on se fixe et qui comprennent la fonction objectif à maximiser, le modèle dira quelles sont les décisions à prendre. La notion de profit de la théorie néoclassique ayant suscité nombres de réserves1, elle est délaissée par la théorie financière qui retient la notion de richesse des actionnaires entendue comme la valeur boursière de l'ensemble des actions de la firme, c'est-à-dire sa capitalisation boursière. Ainsi, dès le départ, le concept de valeur a été intégré dans l'objectif assigné à la firme par la théorie financière. Sous les hypothèses de forme forte de l'efficience, de rationalité et de symétrie de l'information, cette richesse est aussi égale à la valeur actuelle de l'ensemble des dividendes que les actionnaires recevront dans le futur. Sous ces mêmes hypothèses, la maximisation de la valeur fondamentale de la firme pour les actionnaires correspond à la maximisation de la valeur des actions de l'entreprise. En maximisant la richesse des actionnaires, la théorie financière maintient les justifications macro-économiques accordées au profit tout en éliminant les problèmes liés aux conventions comptables, au temps et au risque. Il peut être certes difficile de déterminer la forme de la fonction "richesse des actionnaires", mais il est relativement aisé de la mesurer à un moment donné. A l'heure actuelle, de nouvelles théories contestent la notion selon laquelle les entreprises doivent être gérées dans l'objectif de maximiser la valeur actuelle des actions. Elles prônent la maximisation de la valeur totale de l'entreprise. Au primat des seuls actionnaires serait substitué celui de l'ensemble des partenaires de la firme retenant ainsi la vision d'une firme plurale. Le balancier de l'histoire se remettrait-il en marche ? Après être passé de la maximisation du profit de la firme conçue comme une "boîte noire" à la maximisation de la valeur actionnariale de la firme contractuelle, assisterions-nous aux prémisses d'un nouveau déplacement théorique vers la maximisation de la valeur totale de la firme partenariale ? L'histoire de la valeur en finance suivant ainsi l'évolution de la perception et de la définition de la firme. Après avoir retracé la genèse de l'histoire de la valeur ou l'histoire de sa longue marche (première partie), la question sera celle de savoir si nous assistons aujourd'hui à la fin de l'histoire ou au contraire à une histoire en marche. (deuxième partie). 1. LA GENESE DE L'HISTOIRE OU L'HISTOIRE D'UNE LONGUE MARCHE L'histoire de la valeur en finance est celle d'une longue marche qui a vu progressivement s'affirmer le concept. Durant des siècles, les économistes seuls ont forgé les référentiels théoriques de la valeur qui ont permis de doter l'économie d'un véritable statut scientifique. Les notions dégagées ont une portée générale et alimentent toujours la réflexion sur la valeur. C'est en cherchant à définir la valeur monétaire d'un actif 1 D.M. Kreps (1996), p. 710 et suivante. 3 physique ou financier que l'économiste J.B. Williams, dans la lignée des travaux de I. Fisher, a élaboré les bases de la valeur en finance. Deux séries de fondements de la valeur méritent d'être examinés tour à tour : les fondements économiques (1.1.) et les fondements en finance (1.2.). 1.1. Les fondements économiques de la valeur La valeur est le jugement porté sur l'importance d'un bien au sens large, c'est-à-dire un bien ou un service. Les économistes ont distingué trois couples de notions : • valeur générale ou valeur unitaire : on va parler de valeur générale ou de valeur unitaire selon que l'on considère en abstraction ou en particulier ; • valeur objective ou valeur subjective : la valeur objective est la valeur sociale, c'est l'importance qu'un groupe attribue à un bien en raison de la capacité de ce bien à satisfaire un besoin ressenti par la totalité de la collectivité. La valeur subjective désigne la valeur qu'un individu attribue à un bien selon la capacité de ce bien à satisfaire un besoin ; • valeur d'usage ou valeur d'échange : cette distinction fort ancienne puisque déjà présente chez les grecs repose sur la nature de la satisfaction du besoin suivant qu'elle est directe par usage du bien ou indirecte par échange du bien. La valeur d'usage est celle qui est attribuée à un bien en raison de sa capacité à satisfaire directement besoin. La valeur d'échange va s'exprimer par un rapport entre un certain nombre d'unités des deux biens qui font l'objet de l'échange. La valeur d'usage subjective et générale désigne la valeur utilité. Par valeur d'usage, on entend la valeur d'usage subjective et unitaire. La valeur d'échange exprime la valeur d'échange objective et unitaire. C'est à son sujet que se pose le problème de la valeur. Cette valeur d'échange peut se concevoir alors même que l'échange ne s'effectue pas réellement. Elle est relative à l'aptitude à l'échange : peu importe qu'il soit réalisé ou qu'il demeure potentiel. L'histoire des théories explicatives de la valeur permet de distinguer deux grands courants de pensée qui ont alternativement primé au cours du temps : • un premier courant qui va chercher à expliquer la valeur par des facteurs objectifs. Elle est ramenée à un coût, ce coût étant considéré tantôt comme un coût complexe, tantôt comme un coût simple ; • un second courant qui va chercher le fondement de la valeur dans les facteurs subjectifs ou explique la valeur à partir de l'utilité et de la rareté. 4 On différencie donc les théories de la valeur objective (1.1.1.) et les théories de la valeur subjective (1.1.2.). 1.1.1. Les théories de la valeur objective Elles voient l'explication et le fondement de la valeur dans le coût de production. Deux courants sont à distinguer selon que le coût est retenu comme un coût complexe (A) ou comme un coût simple (B). A. La théorie classique du coût complexe Les concepts de base ont été posés par A. Smith mais c'est surtout à D. Ricardo qu'il faut attribuer la paternité de cette thèse qui sera par la suite enrichie et corrigée par J. St. Mill, J. Cairnes, H. Fawcett et H. Sidgwick. Ces classiques distinguaient valeur d'usage et valeur d'échange mais ils assimilaient valeur d'usage à utilité générale et objective. Quant à la valeur d'échange, ils considéraient qu'elle ne se formait pas de la même façon pour tous les biens suivant que ceux-ci sont ou non reproductibles. Pour les biens non-reproductibles, c'est à dire ceux qui jouissent d'un monopole naturel ou artificiel, la valeur dépend de deux éléments : la rareté du bien et l'intensité du désir ressenti par le sujet économique qui veut les posséder. Pour les biens reproductibles, les classiques distinguent deux valeurs : la valeur du marché ou valeur courante et la valeur normale et naturelle. La valeur normale ou courante d'un bien s'exprime par le prix et est déterminée par le rapport de l'offre et de la demande de ce bien sur uploads/Finance/ histoire-de-la-valeur-en-finance.pdf

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  • Publié le Nov 11, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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