Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. Antoine de Saint-Exupéry Ce

Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. Antoine de Saint-Exupéry Ce qui me surprend le plus chez l’homme occidental, c’est qu’il perd la santé pour gagner de l’argent, et il perd ensuite son argent pour récupérer la santé. À force de penser au futur, il ne vit pas au présent et il ne vit donc ni le présent ni le futur. Il vit comme s’il ne devait jamais mourir, et il meurt comme s’il n’avait jamais vécu. Le Dalaï-Lama Je m’appelle Louane, j’ai dix-huit ans. Ma vie est facile, enfin, je l’ai cru ; je ne me suis jamais vraiment posé la question. Jusqu’au jour où… Je m’appelle Laurene, j’ai trente-neuf ans. J’ai cherché le bonheur et, en même temps, je l’ai fui dès qu’il s’approchait. Jusqu’au jour où… Je m’appelle Louise, j’ai soixante-dix-sept ans. Mon existence m’a comblée et a été d’une parfaite tranquillité. Jusqu’au jour où… Nous ne nous connaissions pas. Rien ne laissait prévoir l’aventure que nous allions partager. Nos vies allaient en être bouleversées. C’était le début de l’été… – 1 – Luisa, l’oubli des souvenirs Lorsque les souvenirs ne frapperont plus à notre porte, que restera-t-il de cette vie passée ? Lorsque la nuit deviendra notre seule compagne, serons-nous condamnés à l’absence et au vide ? Lorsque les visages se feront transparents, garderons- nous une image à chérir ? Lorsque notre propre reflet s’estompera, qu’y aura-t-il à sauver, sinon le néant ? * * * Il n’y avait pas beaucoup de monde, cela fit sourire Louise. Non que la situation se prêtât à la bonne humeur, loin de là ! Mais elle pensait tellement fort à son André et à ses avis souvent bien tranchés… Aujourd’hui, elle en était sûre, s’il était encore là, il lui aurait dit : – Tu vois ma Louise, il suffit de peu de chose pour que les amis restent ou s’enfuient en courant : juste passer de la position debout à couchée. Et elle lui aurait répondu comme à chaque fois : – Arrête donc vieux grincheux ! Tu sais, les gens ne sont pas tous comme ça. Tu exagères toujours. Louise imaginait encore André à ses côtés, la rassurant de sa voix rauque abîmée par l’excès de cigarettes et les arrêts trop répétitifs au bar du coin avec les copains. C’était une habitude qu’il avait conservée, même après son départ à la retraite. C’est qu’il avait toujours travaillé dur, son André. L ’usine et les cadences infernales sur les lignes de production, ça vous démolit un bonhomme plus tôt que prévu. Alors comment aurait-elle pu lui en vouloir de refaire le monde dans l’ambiance enfumée et anisée d’un troquet à la façade aussi déprimante que la devanture de l’usine Mechanil-Pro ? André s’y était cassé le dos depuis l’âge de dix-sept ans à fabriquer, soulever, déplacer et ranger dans d’immenses hangars, ni chauffés ni climatisés, des pièces détachées pour l’usine d’assemblage automobile située dans la même zone industrielle. Bien sûr, avec le temps les machines avaient grandement simplifié le travail des hommes… en théorie, mais ça n’avait pas duré. C’était compter sans les idées des financiers qui investissaient dans les usines en déclin à coups de millions d’euros. Ils apportaient des liasses de billets en contrepartie de plus de productivité. Le chantage était souriant, poli, cravaté et parfaitement huilé. La modernisation n’avait pas servi à soulager le labeur des hommes, car en retour, on leur demandait d’accélérer encore et toujours les cadences. Si les ouvriers n’étaient pas d’accord, ce n’était pas un problème, la porte de sortie de l’usine leur était grande ouverte. Alors, André et ses collègues, ils avaient mal partout, mais ils ne disaient rien, ils subissaient. Quarante-quatre ans de travail et à peine quatorze ans pour profiter de sa retraite. Certains des ouvriers avaient bien tenté de s’opposer au groupe Mechanil-Pro pour qu’ils augmentent leurs maigres salaires qui frôlaient le ridicule. André n’avait jamais voulu s’associer à leur démarche : « Que des conneries », disait-il. Là aussi, il avait bien raison. Tous avaient été déboutés de leurs demandes. * * * C’était la fin du mois d’avril, la journée était brumeuse, comme souvent dans les plaines d’Alsace lorsque l’hiver tire à sa fin et que le printemps hésite encore à offrir ses premiers rayons de soleil. Il fallut près de deux heures de voiture pour rejoindre Belkangffolsheim, le village où André avait passé son enfance, à une trentaine de kilomètres de Strasbourg. Le petit Alsacien n’avait pas eu l’opportunité de trouver du travail dans sa région, alors il s’était exilé à Sochaux, là où les ancêtres de Mechanil-Pro avaient accepté de l’embaucher comme apprenti. Les premières années, il avait cherché à revenir en Alsace, mais les copains puis la rencontre avec Louise et la naissance de Marie et Paul, leurs enfants, l’avaient convaincu que la vie était douce, quel que soit l’endroit, pourvu que l’on soit entouré de ceux que l’on aime. Louise grelottait dans le petit cimetière de Belkangffolsheim. Elle n’était jamais parvenue à prononcer ce nom correctement. À chaque fois, ça faisait rigoler André. Elle le soupçonnait de le lui faire répéter exprès, juste pour s’amuser. Marie et Paul se tenaient aux côtés de leur mère. Le cercueil venait de tomber lourdement au fond du caveau dans un claquement sourd. L ’employé des pompes funèbres les invita à s’avancer pour une prière, déposer une rose ou jeter une poignée de cette terre qu’André aimait tant. Ce fut d’abord le tour de Louise. – Madame Dupré, je vous en prie, dit l’employé à voix basse, accompagnant son invitation d’un geste de la main. Louise était une femme de petite taille, la tristesse lui faisait courber le dos plus que d’habitude. Telle une enfant, elle s’approcha à petits pas. Elle ne pouvait imaginer son homme à travers cette infâme caisse de bois. Les cercueils c’est comme les gens, les couches de vernis peuvent être le plus épaisses possible ça ne change rien, si c’est laid, ça reste laid ! Ça aussi, c’était une expression d’André. Chaque fois qu’il disait cela, Louise pestait. Elle lui répondait que ce n’était pas gentil et que chacun faisait ce qu’il pouvait. Il rigolait, sûr de son fait. * * * Aujourd’hui Louise aimerait tant qu’il lui raconte encore ses bêtises. Elle apprécierait tellement de râler en tenant son bras et en tapotant son épaule en signe de désapprobation. À cet instant, elle tenait le bras de Paul, qui était très affecté. Il n’arrêtait pas de pleurer depuis qu’il avait appris que son père s’était écroulé juste devant son domicile en rentrant du marché. Il n’avait pas souffert, c’était déjà ça. Le marché, c’était une de leurs habitudes du week- end, mais Louise était « fatiguée », comme disait André. Elle ne l’avait pas accompagné et avait préféré rester assise dans le salon à faire travailler ses neurones sur une grille de mots croisés. C’était sa façon d’espérer que ça ne s’aggraverait pas. Même si ce n’était que le tout début, même si le médecin hésitait entre cette saloperie de maladie d’Alzheimer débutante et un problème de circulation sanguine. Louise, elle, savait. Personne n’oublie le prénom de ses enfants à cause de problèmes circulatoires. André faisait tout pour lui faciliter la vie. Personne n’était au courant, à part eux. Louise avait ressenti les premiers symptômes six mois plus tôt. Elle était en train de feuilleter des albums de famille et là, tout à coup, le black-out. Elle ne reconnaissait plus personne. « La fatigue sans doute », avait-elle pensé. Mais « la fatigue » se renouvela à intervalles réguliers, pas longtemps, quelques secondes, quelques minutes tout au plus. C’est alors qu’André l’incita à consulter. Louise était ressortie du cabinet médical totalement déprimée. Non que le diagnostic fût certain, mais elle avait eu l’impression d’être considérée comme un enfant de trois ans auquel on apprenait les couleurs ou à compter jusqu’à dix sans se tromper. Les tests pour détecter les problèmes de dégénérescence neurologique ressemblent à un concours d’entrée en classe de maternelle, c’est effrayant ! Avec André elle menait une vie paisible, tranquille, sans à-coups. C’était des gens simples, de ceux qui se réjouissent des petits bonheurs de la vie. Leur cercle d’amis était restreint. D’ailleurs, peu de gens avaient fait le déplacement jusqu’au cimetière, mais c’était sans importance ; c’était très bien ainsi. L ’enterrement d’André ressemblait à la vie qu’il avait eue : calme et discrète. André était fils unique et ses parents étaient décédés. Il n’avait ni oncle ni tante. C’est dans ces moments-là que l’on se rend compte de l’importance d’une famille, celle que l’on a construite… quand celle qui vous a donné la vie n’existe plus. * * * Louise était une fille du sud, le vrai sud, pas celui de la France, non, celui de l’Europe : l’Andalousie. Ses grands-parents maternels, Maria et Octavio, possédaient un moulin non loin de Valdehijos, à quelques kilomètres de Séville. Ils exploitaient cinq hectares d’oliviers et extrayaient l’huile de leurs fruits. Les rendements uploads/Finance/ je-ne-cours-plus-quapres-mes-reves-by-bruno-combes-bruno-combes 1 .pdf

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  • Publié le Sep 28, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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