Actes de la recherche en sciences sociales Le commerce des monstres Monsieur Ro

Actes de la recherche en sciences sociales Le commerce des monstres Monsieur Robert Bogdan Citer ce document / Cite this document : Bogdan Robert. Le commerce des monstres. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 104, septembre 1994. Le commerce des corps. pp. 34-46; doi : https://doi.org/10.3406/arss.1994.3111 https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1994_num_104_1_3111 Fichier pdf généré le 22/03/2019 Zusammenfassung Das Geschäft mit den Monstern Die Betrachtung der Geschichte des « Monster-Schauspiele » (von Ende des 19- bis Mitte des 20. Jh.) bietet die Möglichkeit, die soziale Konstruktion des Begriffs « Monster » zu verstehen. Die vorliegende Studie befasst sich insbesondere mit der Weise, wie dièse Menschen zur Unterhaltung des Publikums und fur einen lukrativen Zweck zur Schau gestellt worden sind. Die beiden am häufigsten verwendeten Vorführungsarten - der exotische und der adlige Rahmen - erlauben die Beziehungen zu verstehen, in denen dièse Art von Attraktionen mit der Vergnügungs-Kultur, solchen Vorführungen im allgemeinen und den wissenschaftlichen Begriffen der Zeit gestanden haben. Abstract The Trade in Freaks The history of « freak shows » (late 19th-mid 20th century) casts light on the social construction of the notion of the « freak ». This study is particularly concerned with the means used to present human beings so as to entertain an audience and make a profit. The two modes of presentation most often used - the exotic register and the « noble » register - illuminate the relationship of this type of amusement with the culture of entertainment, the ordinary representations and scie-tific notions of the time. Résumé Le commerce des monstres L'histoire des « spectacles de monstres » (fin XIXe-mi-XXe) permet de comprendre comment la notion de « monstre » est socialement construite. Cette étude s'intéresse particulièrement aux manières de mettre en scène des êtres humains pour divertir un public et atteindre un but lucratif. Les deux modes de présentation le plus fréquemment employés - le registre exotique et le registre noble - permettent de saisir les rapports de ce genre d'attraction avec la culture du divertissement, les représentations communes et les notions scientifiques de l'époque. Illustration non autorisée à la diffusion Le Commerce des Monstres Illustration non autorisée à la diffusion Le commerce des monstres 35 es ■• monstres » ont connu leur hcutv de gloire. Les «spectacles de monstres» lurent :'i une période donnée une activité lucrative, populaiiv Hans tous les pays et parfaitement acceptée: on montrait ainsi de façon officielle et organisée des personnes réputées posséder des caractéristiques phvsiques ou mentales étranges, ou encore avoir des comportements présentés comme « hors du commun» ; elles se produisaient dans les cirques, les foires, les fêtes loraines et autres lieux de divertissement, il laut attendre que le xxL" siècle soit bien entamé pour trouver des documents protestant contre le caractère quant de tels spectacles De nos jours, ce sont des phénomènes en marge de la société et que beaucoup considèrent comme une exploitation grossière el indecente, Selon les termes utilisés par un militant pour les droits des handicapes, les «spectacles de monstres- relèvent de la ■•pornographie du handicap1». Si l'on en rencontre encore, qui vont de fête foraine en fête foraine et animent les foires locales ou régionales, il ne faut y voir que le miserable vestige de ce qui fut un spectacle de fête. Etant donné l'intérêt que les sciences sociales portent depuis longtemps à la gestion sociale des différences entre les êtres humains, on pourrait s'attendre à de nombreux écrits consacrés a cette coutume". Pour une part, la réticence des scientifiques à étudier ce phénomène s'explique par son piètre statut social et par le déclin numérique des «montreurs de monstres » ^ De surcroît, "hormis quelques exceptions notoires, les chercheurs en sciences sociales n'ont que fort rarement fait appel au passe pour y trouver des données sur la déviance '. Les La troupe du spectacle Ringling Brothers, Barnum & Bailey, dans les années 30, au Madison Square Garden. Public Library.) Biklen. Cerner on Human Policy, des droits des handicapés, Barbara ce genre d'attractions à la foire de l'Etat de veut »hure abolir définitivement cet retenu l'ai lent ion tics sociologues. La a •■ l'anormal ». Le monde médical utilise La pensée postmoderne est fascinée par étudié les cirques, les fêtes foraines et Fasto. Voir M. Truzzi, /';/ M. Truz/.i, ed.. Knglevvood Cliffs. New Jersey, I 'SA. and the Sideshow», in M. Matlaw, Westport. Connecticut. ISA. Kasto et M. Truzzi. «Towards an Fthnogra- in [ounuil of Popular Culture. V ó, et P. Kasto et M. Truzzi, «The Carnival as in C Bryan!, ed.. Deviant Behavior, 1974. dans les courants dominants des K. Krikson. Wayward Puritans. New York, et |. Schneider, Deviance and Medicaliza- M. SpectoretJ. Kitsuse, Constructing Californie, l'SA, Cummings. 19^7. ainsi la folie, Paris, Pion. 19(>1 ; M. Foucault. Sur- 197S. L'hétérogénéité humaine est un c'est à eile que s'intéresse cet article. Sekula, «The Body and the Archive». in of Meaning, Boston, Massachusetts, l SA. ric Expressions: The Photographs ol 1). Younger, ed., Multiple l'ieirs. Albu- 1991 ; S. Oilman, Disease and l'niversity Press, 1988, et J. Tagg, The Massachusetts., l 'SA. l'niversity ol 46 Robert Bogdan aux « monstres » le rôle de spécimens, d'êtres inférieurs et de créatures méprisables. Ces «monstres» développaient et confortaient l'association des différences humaines avec le danger, les sous-hommes, les animaux et l'infériorité (sans parler de leur impact en tant qu'images des minorités raciales et des peuples du tiers monde). Le lien entre handicap et danger qui domine tant dans les films d'horreur, d'aventure et de gangsters 28 s'ancre dans les « spectacles de monstres » ; il est peut-être aussi à l'origine, comme le pense Wolfensberger29, de la construction sans précédent de ces immenses bâtisses conçues pour surveiller plutôt que soigner. Qu'en est-il du mode noble? À première vue, les images utilisées étaient positives. On admirait les « monstres » pour ce qu'ils savaient faire, pour leurs exploits, et pour leur normalité ou leur supériorité, mise à part leur anomalie physique. Une question devait se présenter à l'esprit des visiteurs : « S'ils savent tant de choses, pourquoi ont-ils besoin pour vivre de nos billets d'entrée? » Dans les bons cirques, les musées à dix sous et les parcs d'attractions, les salaires et les conditions de vie étaient confortables. Certains choisissaient cette carrière à cause de l'argent et de la gloire qu'elle rapportait. Mais la majorité, ceux qui travaillaient dans des établissements de seconde zone ou pire, avaient les conditions de vie précaires des marginaux. Dans ce cas, les « monstres » choisissaient ce mode de vie, non à cause de ce qu'il leur procurait, mais à cause de ce à quoi il leur permettait d'échapper. Dans ur> pays en pleine urbanisation, sans sécurité au niveau social, où la discrimination filtrait toute embauche, où l'architecture créait des barrières, où les relations humaines étaient tendues, l'être atteint d'une anomalie trouvait un refuge à vivre parmi d'autres comme lui. S'il ne décrochait ni la fortune ni la gloire, il rencontrait néanmoins la tolérance et plus de liberté que dans aucune autre institution ou dans la société ordinaire. Toutefois, si positive qu'ait été la représentation sur le «mode noble», le seul fait d'être sur une scène, de faire partie des divertissements, domaine désormais pollué aux yeux du public, donnait à penser que « le monstre » appartenait au « monde des monstres » et qu'il n'avait pas les capacités pour réussir dans le monde ordinaire. Certains trouvent le terme « monstre » choquant. Ce fut le terme préféré de l'industrie du spectacle, expositions comprises, jusqu'à la fin des années trente au moins 30. Ceux qui se trouvaient ainsi exposés comme des objets ne s'en offensaient pas, parce qu'ils ne prenaient pas au sérieux les termes qu'on leur appliquait. Ce qu'ils voulaient, c'était faire de l'argent. Toute étiquette susceptible d'accroître les bénéfices leur agréait. Pendant qu'ils étaient assis sur la scène, la plupart d'entre eux jetaient un regard méprisant sur le public - non parce qu'ils étaient en colère de se voir observer ainsi ou de se faire appeler « monstre » , mais uniquement parce que le monde du spectacle méprisait globalement ceux qu'il appelait les « gogos » . Leur mépris était celui des initiés pour les non-initiés. Nous n'avons pas ici utilisé le terme «monstre» pour désigner une caractéristique physique. Le terme de «monstre» recouvre un état d'esprit, un ensemble de pratiques, une façon de penser les autres et de les représenter, c'est la mise en pratique d'une tradition, la mise en scène d'une représentation conventionnelle - pas d'une personne. Chaque fois que l'on étudie la déviance, il faut considérer ceux qui ont la charge - officielle ou non - de nous dire qui sont les déviants et ce qu'ils sont. Leur version de la réalité est une représentation, ce sont des gens vus à travers des histoires et des conceptions du monde. La notion de «monstre» a vécu. Les différences humaines entrent dans des cadres différents, sont vues sous un jour différent et par des institutions différentes. Pour ceux qui participaient à des attractions, la uploads/Finance/ le-commerce-des-monstres-bogdan-robert.pdf

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  • Publié le Sep 16, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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