Le kantisme a les mains pures mais il n’a pas de mains. Péguy. Posted By Simone
Le kantisme a les mains pures mais il n’a pas de mains. Péguy. Posted By Simone MANON On 5 novembre 2011 @ 10 h 10 min In Chapitre V - Bonheur et moralité.,Textes | 13 Comments « Je compte, Halévy, que vous ne réglerez point ces débats par les méthodes kantiennes, par la philosophie kantienne, par la morale kantienne. Le kantisme a les mains pures, MAIS IL N’A PAS DE MAINS. Et nous, nos mains calleuses, nos mains noueuses, nos mains pécheresses nous avons quelquefois les mains pleines *1 – Agis, dit Fouillée, comme si tu étais législateur en même temps que sujet dans la république des volontés libres et raisonnables. C’était une fois un fonctionnaire qui a eu du génie, du plus grand. Mais il était fonctionnaire, une fois fonctionnaire: il était célibataire, deux fois fonctionnaire ; il était professeur, trois fois fonctionnaire ; il était professeur de philosophie, quatre fois fonctionnaire; il était fonctionnaire prussien, cinq et septante fois fonctionnaire. Il n’a pu avoir qu’un (très grand) génie de fonctionnaire. (Et de célibataire.) Hélas législateur en même temps que sujet. Hélas la république des volontés libres et raisonnables. – Agis de telle sorte, continue Fouillée, agis de telle sorte que la raison de ton action puisse être érigée en une loi universelle*2. Agis de telle sorte que l’action de Fouillée puisse être érigée en une loi universelle. Et même l’action de Kant. Alors, pour commencer, il n’y aurait plus d’enfants. Ça ferait un beau commencement. Tout devient si simple, dès qu’il n’y a plus d’enfant. SICH ZUR ALLGEMEINEN GESETZGEBUNG SCHICKEN*3. Hélas combien de nos actions pourront être érigées en une loi universelle. Et combien de raison de nos actions. Zur allgemeinen Gesetzgebung. Et cela ne nous est-il pas tellement égal. Cela ne nous est-il pas tellement étranger. N’avons-nous point d’autres inquiétudes, d’infiniment autres profondeurs. D’infiniment autres soucis. D’infiniment autres détresses. Combien de nos actions ne pourraient point être érigées, geschickt, en loi universelle, pour qui cet envoi ne présente même aucun sens; et ce sont celles à qui nous tenons le plus, les seules à qui nous tenions sans doute ; actions de tremblement, actions de fièvre et de frémissement, nullement kantiennes, actions d’une mortelle inquiétude; nos seules bonnes actions peut-être; nullement planes, nullement quiètes, nullement calmes, nullement horizontales; nullement législatives; nullement tranquilles, sûres de soi; nullement dans la sécurité; nullement sans remords, nullement sans regrets; des actions sans cesse combattues, sans cesse intérieurement rongées, nos seules bonnes actions, les moins mauvaises enfin, les seules qui compteront peut-être pour notre salut. Nos pauvres bonnes actions. Les seules, et ce sera si petit, que nous pourrons présenter dans le creux de la main. Also kann ein vernünftiges Wesen sich seine subjectiv-praktichen Principien, d.i.Maximen, entweder gar nicht, zugleich als allgemeinen Gesetze denhen, oder es mues a nnehmen, dass die blosse Form derselben, nach der jene sich zur allgemeinen Gesetzgebung schicken, sie für sich allein zum praktischen Gesetze mache*4. Elle est loin, l’allgemeine Gesetzgebung» Victor-Marie, comte Hugo, (octobre 1910) La Pléiade, t. III, p. 331.332. *1 : Un proverbe affirme, traduisant le Fortuna favet stultis latin : « Aux innocents les mains pleines ». *2 : Les deux phrases citées se trouvent à la page 411 de l’Histoire de la philosophie [1] d’Alfred Fouillée. Delagrave, 6° édition, 1991. *3 : « propre à une législation universelle » *4 : « En conséquence, un être raisonnable ou bien ne peut pas du tout concevoir ses principes subjectifs pratiques, c’est-à-dire ses maximes, comme étant en même temps des lois universelles ou bien il doit nécessairement admettre que c’est seulement leur forme qui, les rendant propres à une législation universelle, en fait par elle seule des lois pratiques » Kant, Critique de la raison pratique, 1ère partie, Livre 1, §1, théorème III, trad. Jean Gibelin, Vrin, 1944, p. 38. Les mots soulignés dans le texte le sont par Péguy lui-même. Péguy lisait couramment l’allemand. « Etant respectueux de la pensée, ils sont naturellement respectueux des personnes. Ils seraient volontiers kantiens sur ce point, bien qu’ils n’aiment pas Kant. Ou plutôt ils aimeraient bien Kant. Mais c’est lui qui ne se laisse pas aimer. Et puis Kœnigsberg est bien loin. Regis mons*1. Et puis Kœnigsberg est bien dur. Si encore il était né à Weimar*2. Ils ont aussi cette idée que Kant il ne savait pas. Que c’est entendu, qu’il s’est bien appliqué. Mais que tout de même il manquait par trop de ce qu’il faut, d’un certain temporel, d’une vie, et de cette fortune et de cette grâce qui consiste à être malheureux d’une certaine sorte inexpiable. Ils ont cette idée que Kant c’est très bien fait mais que précisément les grandes choses du monde n’ont pas été des choses très bien faites. Que les hautes fortunes n’ont jamais couronné les parfaits appareils de mécanismes. Que les réussites inoubliables ne sont jamais tombées sur les impeccables serrureries. Que quand c’est si bien fait que ça ça ne réussit jamais, ça ne reçoit jamais ce gratuit accomplissement, ce gracieux couronnement d’une haute fortune. Que quand c’est si bien fait que ça il manque justement de ne manquer de rien, ce on ne sait quoi, cette ouverture laissée au destin, ce jeu, cette ouverture laissée à la grâce, ce désistement de soi, cet abandonnement au fil de l’eau, cette ouverture laissée à l’abandonnement d’une haute fortune, ce manque de surveillance au fond, ce parfait renseignement, cette parfaite connaissance de ce que l’on n’est rien, cette remise et cette abdication qui est au fond de tout véritablement grand homme. Cette remise aux mains d’un autre, ce laissons aller, ce et puis je ne m’en occupe plus qui est au creux des plus hautes fortunes. Kant s’en occupe tout le temps. Du kantisme. Ce n’est pas la manière de réussir dans le monde. Les vers les plus beaux ne sont pas ceux dont on s’est occupé tout le temps. Ce sont ceux qui sont venus tout seuls. C’est-à-dire, en définitive, ceux qui ont été abandonnés. A la fortune. » Note conjointe sur M. Descartes. (juillet 1914) La Pléiade, t. III, p 1286. *1 : Traduction latine du nom allemand. *2 : Mme de Staël avait appelé Weimar « l’Athènes de l’Allemagne » dans De l’Allemagne, I, §XV, Flammarion, t.1, 1908, p. 91. Goethe y avait vécu à partir de 1775 et y était mort en 1832 après son ami Schiller en 1805. Nietzsche y était mort le 25 août 1900. « […] On est toujours pesable. On n’est pas toujours pénétrable. De là viennent tant de manques, (car les manques eux-mêmes sont causés et viennent), de là viennent tant de manques que nous constatons dans l’efficacité de la grâce, et que remportant des victoires inespérées dans l’âme des plus grands pécheurs elle reste souvent inopérante auprès des plus honnêtes gens, sur les plus honnêtes gens. C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu’on nomme tels, et qui aiment à se nommer tels, n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale constamment intacte leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invisible arrière-anxiété, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué, une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent point cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui n’a pas des plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé. Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce. C’est une question de physique moléculaire et globulaire. Ce qu’on nomme la morale est un enduit qui rend l’homme imperméable à la grâce. De là vient que la grâce agit dans les plus grands criminels et relève les plus misérables pécheurs. C’est qu’elle a commencé par les pénétrer, par pouvoir les pénétrer. Et de là vient que les êtres qui nous sont les plus chers, s’ils sont malheureusement enduits de morale, sont inattaquables à la grâce, inentamables. C’est qu’elle commence par ne pas pouvoir les pénétrer à l’épiderme. Ils sont impénétrables, en tout, absolument, parce qu’ils sont enduits, parce qu’ils ne mouillent pas à l’épiderme, parce qu’ils sont impénétrables à l’origine de mouillature, à la surface de mouillature qui est l’origine et la surface de pénétration. » Note conjointe sur M. Descartes. (juillet 1914) La Pléiade, t. III. P. 1311.1312. A propos des kantiens, Péguy écrit aussi : « uploads/Finance/ le-kantisme.pdf
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- Publié le Mai 01, 2021
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