1 COMMENT RENFORCER LA RÈGLEMENTATION SUR L’INDÉPENDANCE DES AUDITEURS ? QUELQU
1 COMMENT RENFORCER LA RÈGLEMENTATION SUR L’INDÉPENDANCE DES AUDITEURS ? QUELQUES LEÇONS TIRÉES DU MARCHÉ FRANÇAIS Charles PIOT Professeur, Université de Grenoble - CERAG charles.piot@upmf-grenoble.fr Alain SCHATT Professeur, Université de Bourgogne alain.schatt@u-bourgogne.fr Résumé : Cet article s’appuie sur les travaux académiques des dix dernières années pour évaluer les effets de la réglementation française visant à accroître l’indépendance des auditeurs. Pour les sociétés cotées en bourse, l’obligation de recourir à deux auditeurs se solde notamment par une moindre concentration du marché de l’audit : les Big Four détiennent une part de marché plus faible. Pour autant, les honoraires ne sont pas plus faibles, en raison vraisemblablement, d’une part, des coûts de coordination entre les deux auditeurs qui excèdent les bénéfices escomptés résultant d’un marché plus concurrentiel, d’autre part, de l’impossibilité de changer d’auditeur pendant la durée légale de six ans. Par ailleurs, la plus grande indépendance supposée, induite par cette réglementation spécifique, ne se traduit pas par une moindre gestion des résultats par les dirigeants français, malgré l’interdiction de facturer des honoraires de conseil. Ces constats empiriques nous conduisent à avancer que des assouplissements réglementaires du marché de l’audit pourraient s’avérer bénéfiques pour les actionnaires des entreprises françaises. Mots clés : Audit - Réglementation - France - Concentration - Honoraires - Gestion des résultats Abstract: This paper draws on the growing academic literature, over the last decade, to assess the effects of the French regulation aimed at promoting external auditor independence. For listed companies, the joint-audit requirement results in a less concentrated audit market: Big 4 auditors have a weaker market share as compared with other markets. But audit fees are not lower, however. This could be explained by (1) coordination costs between joint-auditors that outweigh the benefits of a more “open” market, and/or (2) the impossibility to switch auditor during a six-year legal engagement. Elsewhere, the a priori stronger independence associated with that specific regulation does not result in less earnings management activities by French managers, despite of the legal banning of parallel non-audit services. These empirical observations lead us to argue that a less constraining regulation of the audit market could benefit to the shareholders of French companies. Key words: Audit - Regulation - France - Concentration – Audit fees – Earnings management hal-00481074, version 1 - 5 May 2010 Manuscrit auteur, publié dans "Crises et nouvelles problématiques de la Valeur, Nice : France (2010)" 2 Au cours des dernières années, de nombreuses études ont été consacrées aux conséquences de la protection légale des investisseurs sur les choix comptables des dirigeants1. L’idée sous- jacente de ces travaux, qui s’inscrivent dans le courant de recherche du Law and Finance initié par La Porta et al. (1997, 1998), est que les actionnaires sont mieux protégés dans certains pays, en particulier ceux ayant adopté un système de Common Law et disposant de mécanismes efficaces permettant de faire respecter la loi. Leuz et al. (2003) ont été les premiers à confirmer l’hypothèse d’une gestion des résultats moins importante dans les pays où la protection légale des actionnaires est supérieure, confirmant ainsi l’influence de la pression juridico-financière sur le comportement des dirigeants. Les différences significatives détectées en matière de gestion des résultats à travers le monde nous conduisent à poser la question du rôle joué par les auditeurs externes dans des environnements différents. Alors que les procédures d’audit semblent relativement standardisées au niveau international, est-il possible que les relations entretenues par les auditeurs avec les entreprises auditées varient en fonction du contexte institutionnel ? Les auditeurs sont-ils plus efficaces, ou plus impliqués, dans les pays où la pression exercée par les actionnaires est plus forte ? Les résultats récents de Francis et Wang (2008) et de Choi et al. (2008) tendent à confirmer que la pression juridico-financière semble influencer les relations entre auditeurs et audités. D’une part, Francis et Wang (2008) ont trouvé que les résultats comptables publiés sont plus prudents lorsque la protection des investisseurs s’accroît, à condition cependant qu’ils aient fait l’objet d’une certification par un Big Four. D’autre part, Choi et al. (2008) ont constaté que les honoraires d’audit sont supérieurs dans les pays de Common Law, ce qui peut refléter la facturation d’une prime de risque (de poursuite judiciaire) dans ces pays. Bien que la protection légale des actionnaires joue un rôle non négligeable dans le domaine de l’audit, il faut cependant admettre que d’autres réglementations sont susceptibles d’expliquer l’efficacité des auditeurs, en particulier celles spécifiques à la profession. La loi SOX votée en 2002 par le législateur américain, visant notamment à interdire les activités de conseil des auditeurs auprès des entreprises auditées, est par exemple fondée sur l’idée que la facturation de non-audit fees peut compromettre l’indépendance des auditeurs en modifiant leurs incitations à révéler des irrégularités comptables (Schneider et al., 2006). A la même époque, diverses règlementations spécifiques à la profession ont également été adoptées en Europe, afin de garantir aux investisseurs que les auditeurs effectuent un travail de qualité. Ainsi, les responsables politiques semblent convaincus que les réglementations spécifiques à la profession d’audit peuvent améliorer la qualité de l’information comptable divulguée par les entreprises. La question se pose, bien évidemment, de savoir si ces nouveaux textes auront les effets bénéfiques escomptés à long terme, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Il est fort probable que de nombreux travaux seront publiés au cours des prochaines années, sur les diverses conséquences de ces réglementations visant à renforcer l’indépendance des auditeurs. Vont-elles véritablement modifier le comportement des auditeurs et promouvoir la qualité comptable ? Pour l’instant, il semble prématuré de se prononcer sur la pertinence de ces réglementations. En revanche, il est possible de tirer quelques enseignements de 1 Plusieurs études ont porté sur l’impact de la protection légale des actionnaires sur les décisions financières, notamment sur la politique de financement des entreprises (La Porta et al., 1997) et la politique de dividende (La Porta et al., 2000), ainsi que sur la valeur des sociétés (La Porta et al., 2002). hal-00481074, version 1 - 5 May 2010 3 réglementations passées ayant poursuivi le même objectif. A ce titre, le cas français nous semble particulièrement intéressant. Le législateur français, soucieux de favoriser l’indépendance des auditeurs, a voté trois règles particulièrement originales dans la loi sur les sociétés commerciales de 1966. Elles concernent respectivement la stricte séparation des activités d’audit et de conseil, la présence obligatoire d’au moins deux auditeurs dans les sociétés cotées, et la durée légale du mandat de six exercices comptables. Cinquante ans après l’adoption de ces règles, malgré la globalisation économique et institutionnelle (passage aux IFRS en 2005, généralisation des comités d’audit dans les sociétés cotées, etc.), aucune évolution de ces trois règles spécifiques n’est sérieusement envisagée en France. Cela signifie-t-il que ces dispositions ont eu les effets bénéfiques escomptés ? A ce jour, aucune évaluation des effets de cette réglementation française n’a été réalisée, mais une analyse d’ensemble est désormais possible, parce que de nombreuses études empiriques ont été publiées depuis 2000. Cet engouement pour l’analyse du marché de l’audit s’explique de trois principales manières. Premièrement, avant le début des années 2000, les recherches positives en comptabilité-audit étaient très rares en France2, sachant que les revues académiques françaises favorisant la publication de telles recherches sont relativement jeunes3. Par ailleurs, la barrière linguistique a probablement freiné l’analyse de ces spécificités institutionnelles par des chercheurs anglophones spécialistes du domaine4. Deuxièmement, les entreprises françaises cotées en bourse sont tenues de divulguer les honoraires versés à leurs auditeurs depuis 2003. Cette nouvelle obligation a constitué une véritable aubaine pour les chercheurs souhaitant analyser les relations qu’entretiennent les auditeurs avec les entreprises. Troisièmement, l’essor du courant de recherche du Law and Finance (La Porta et al., 1997, 1998, 2000, 2002, 2006), favorisé par le développement de bases de données financières internationales, permet de mettre en perspective les spécificités du marché français. Cet article a pour objet d’exposer quatre principaux effets de cette règlementation spécifique, votée en 1966, et qui, selon le discours officiel, vise avant tout à protéger l’indépendance des auditeurs5. Premièrement, l’impact sur la concentration du marché est évoqué. Il apparaît que le co-commissariat a favorisé une structure du marché plus ouverte, puisque la concentration est plus faible en France que dans d’autres pays. Deuxièmement, le choix des auditeurs est discuté. Les études montrent que le recours aux Big Four semble répondre à une demande de gouvernance disciplinaire des relations entre la firme et ses bailleurs de fonds. Troisièmement, la question des honoraires est soulevée. Le principal résultat concerne le coût de l’audit plus élevé en France, surtout pour les entreprises ayant opté pour deux Big Four, probablement en raison des coûts de coordination supplémentaires engendrés par le co- commissariat. Enfin, quatrièmement, la « qualité » de l’information comptable est abordée. 2 Il existe une forte tradition normative, de nature juridico-sociologique, de la recherche comptable française. 3 La création de la revue Comptabilité Contrôle Audit (CCA), lancée par l’Association Francophone de Comptabilité remonte à 1994, et celle de la revue Finance Contrôle Stratégie (FCS) à 1998. 4 Ce point est valable pour uploads/Finance/ p135-pdf.pdf
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- Publié le Jul 25, 2021
- Catégorie Business / Finance
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