Revue française de sociologie Lahire Bernard, L'homme pluriel. Les ressorts de

Revue française de sociologie Lahire Bernard, L'homme pluriel. Les ressorts de l'action. Jean-Pierre Durand Citer ce document / Cite this document : Durand Jean-Pierre. Lahire Bernard, L'homme pluriel. Les ressorts de l'action.. In: Revue française de sociologie, 1999, 40-4. pp. 776-778; http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_4_5224 Document généré le 03/05/2016 Revue française de sociologie cette dynamique contradictoire de la société opérant entre l'espace des flux et celui des lieux que s'affrontent les acteurs sociaux, certains pour reconquérir la maîtrise de leur vécu. En refermant ce livre, on demeure surpris par la richesse d'information rassemblée et admiratif pour le travail de traduction effectué par Philippe Delamare. Est-il nécessaire de souligner que la parution en français du second tome de cette synthèse, intitulé Le pouvoir de l'identité, est attendue avec impatience ! Dominique Desbois SCEES-Bureau du RICA Lahire (Bernard). — L'homme pluriel. Les ressorts de l'action. Paris, Nathan (Essais & recherches. Sciences sociales), 1998, 272 p., 139 FF. L'auteur cherche à rendre compte des choix qui sous-tendent l'action dans une situation donnée. Bernard Lahire retient le concept d'acteur au détriment de ceux d'agent social, d'individu, de sujet, de personne, etc. ; le plan adopté qui organise les scènes (ailleurs des chapitres) en actes (ailleurs des parties) avec une avant-scène en guise de préface, conforte ce choix. Tout en s'écartant de l'interactionnisme et autre ethnométhodologie, l'auteur rejette aussi les « généralisations abusives » en sociologie et s'en prend principalement aux thèses de Bourdieu. Pour Lahire, toute démarche globalisante conduit à construire une vision trop unitaire de l'acteur au détriment de sa complexité plurielle ; la précipitation inscrite dans la rhétorique généralisante ne s'explique que par l'importance du profit symbolique qu'elle procure, en particulier lorsqu'on l'oppose au travail de fourmi de la recherche empirique. Le premier acte du livre fonde la pluralité de l'acteur contre l'unicité du soi, en reprenant d'anciens travaux de Pierre Naville (La psychologie, science du comportement, 1942) qui montrent combien on retrouve chez un individu «des systèmes d'habitudes plus ou moins coordonnées, et d'abord des habitudes professionnelles, qui sont la base de l'existence sociale, [ainsi que] toutes sortes d'autres comportements : conjugal, parental, religieux, politique, alimentaire, ludique, etc. » Au- delà de la théorie des champs de Bourdieu, trop réductrice du réel selon Lahire, c'est celle de l'habitus qu'il critique en écrivant que «le paradoxe réside dans le fait d'avoir au bout du compte retenu le modèle ď habitus adapté à l'approche des sociétés faiblement différenciées pour mener l'étude des sociétés à forte différenciation qui, par définition, produisent nécessairement des acteurs plus différenciés entre eux, mais aussi intérieurement» (p. 31). Autrement dit, la constitution et l'organisation seraient beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît chez Bourdieu. Plus encore, on ne saurait parler d'un habitus familial cohérent mais d'une multiplicité de socialisations possibles par la famille, conduisant à des dispositions pouvant entrer en contradictions entre elles. À celles-ci, et souvent en contradiction encore, les apprentissages scolaires ajoutent d'autres dispositions tout aussi variées. Par ailleurs, ces schemes d'action sont activés selon les contextes, dans leur variété. Enfin, une même stimulation peut provoquer des réponses contradictoires chez le même individu. Ce qui conduit l'auteur à conclure à l'impossibilité de prédire avec certitude l'action de l'homme. Cette critique de la «dynamique de l'habitus» n'empêche pas Lahire de stigmatiser les sociologies délestées de « toute théorie de la mémoire, de l'habitude et du passé incorporé» (théorie du choix rationnel, individualisme méthodologique, interactionnisme symbolique, ethnométhodologie) et les théories qui écartent les spécificités et l'importance de la situation présente. Ainsi, passé et présent, dispositions (contradictoires) acquises et contexte ou situation doivent être pensés en interaction et se posent en partenaires réciproques. La théorie de Lahire des ressorts de l'action se résume ainsi : «L'ac- 776 Les livres tion est donc toujours le point de rencontre des expériences passées individuelles qui ont été incorporées sous forme de schemes d'action (schemes sensori-moteurs, schemes de perception, d'évaluation, d'appréciation, etc.), d'habitudes, de manières (de voir, de sentir, de dire et de faire) et d'une situation sociale présente. » (p. 82). La conception plurielle et contradictoire des schemes d'action chez Lahire le conduit à demander aux sociologues de travailler au moins sur deux scènes à la fois comme le font par exemple les sociologues de l'éducation qui croisent les données issues de la famille et celles issues des systèmes éducatifs. Ce qui n'est pas la moindre des propositions de cet ouvrage ! La plupart des critiques adressées aux tenants de l'ha- bitus, aux théories de l'acteur rationnel ou à l'ethnométhodologie sont suffisamment pertinentes pour faire de cet ouvrage un livre qui stimule la réflexion. Reste à examiner le programme de recherche présenté par l'auteur dans le cadre épistémologique qu'il propose. Pour Lahire, il « n'existe de théorie que partielle» (p. 242) et son programme de recherche vise à étudier la construction et le réinvestissement possibles des dispositions, des structures internes à l'acteur dans de nouveaux contextes sociaux. Ce serait le défi théorique et méthodologique adressé à la sociologie qui passe nécessairement par un travail empirique. Ce dernier repose sur un rapprochement avec la psychologie culturelle tandis que l'auteur affirme que « l'économie psychique ne relève pas d'une logique différente de celle qui préside à l'économie des formes de vies sociales » (p. 234). Lahire fustige ceux qui réduisent le social aux rapports sociaux entre groupes tandis qu'il considère que Г intersubjectivité, ou l'interdépendance, est logiquement antérieure à la subjectivité. Par-là, il confirme l'importance des déterminations sociales dans les comportements des acteurs sans que celle- ci ne soit aussi univoque qu'on Га dit quelquefois. Il ne s'agit donc pas, en prenant l'acteur individuel pour objet de recherche, de rejoindre les tenants d'un individualisme atomiste, mais de construire une sociologie de l'action expliquant la constitution sociale des dispositions et des schemes d'actions (habitudes) activés selon les situations sociales spécifiques, chez les différents acteurs. Plusieurs questions viennent alors à l'esprit. La première porte sur les modalités de constitution du social dans une approche qui privilégie les acteurs : comment les acteurs singuliers créent-ils le social ? Faut-il revenir à un processus d'agrégation pour saisir la constitution du social dans la nouvelle problématique proposée par Lahire ? Même si l'on peut trouver justifiée la critique des généralisations abusives, le privilège accordé à l'étude des schemes d'action de l'acteur singulier conduit nécessairement à une perte des potentialités explicatives des phénomènes sociaux par la sociologie. La démarche scientifique vise toujours un certain degré de généralisation à travers l'établissement de régularités (sinon de lois). Si bien sûr la validité de la généralisation mérite débat, il n'en reste pas moins que le projet scientifique doit intégrer cette recherche de la généralisation, sinon la sociologie perd de sa puissance explicative des formes sociales dans l'histoire : ici les mouvements sociaux et le changement social échappent au projet parce que les déterminants structurels ne sont interprétés qu'à travers l'acteur singulier. Où sont intégrées, dans un tel projet, les recherches sur les forces sociales, les rapports de domination, les forces structurantes de la société que l'auteur déclare pourtant ne pas vouloir abandonner ? Ceux-ci ne font-ils qu'influencer la constitution des schemes d'action où jouent-ils un rôle ailleurs ? Autrement dit, comment articuler ou combiner mouvements sociaux, changement social d'une part et relations réciproques entre schemes d'actions et situations d'autre part ? Enfin, Lahire propose de « développer une sociologie de la pluralité des logiques effectives d'action et de la pluralité des formes de rapport à l'action» (p. 188). Non seulement cette démarche risque d'être plus programmatique que réalisa- 777 Revue française de sociologie ble, mais elle confirme les craintes que l'on peut avoir par rapport au cadre épis- témologique général qui nous conduirait vers une certaine indétermination. Les développements de l'auteur sur l'incertitude des comportements fondent ces craintes. Comment expliquer la prédominance d'un scheme d'action par rapport à un autre ? Comment expliquer que dans telle situation c'est ce scheme d'action qui a été choisi plutôt que tel autre ? Sans compter que la complexité plurielle des situations empêche de déterminer quel stimulus plutôt que tel autre a activé ce scheme d'action. La relation de partenaires réciproques entre schemes d'action et situation accroît considérablement Г incertitude globale résultant de l'incertitude propre à chaque composante de la relation. La multiplicité des appareillages possibles entre les solutions proposées par les deux composantes (schemes d'action d'une part, situations d'autre part) risque de conduire à une véritable indétermination ; à moins que la recherche n'aboutisse à un classement des relations de partenaires réciproques : ce dont se garde l'auteur, précisant au contraire que les psychologues qui ont testé cette démarche ont fait machine arrière. Face à cette indétermination, Lahire aurait pu conclure à un espace de liberté de l'acteur. Bien au contraire, il stigmatise les tenants de la liberté fondamentale de l'acteur tout en expliquant que si les acteurs sont entièrement déterminés socialement, la détermination sociale n'est pas univoque. C'est à travers Y engagement personnel ou la détermination (au sens d'être déterminé) que nous vivons ou que nous sentons « les déterminismes sociaux dont nous sommes les produits» (p. 235). La microsociologie uploads/Finance/ rfl-x27-homme-plurielsoc-0035-2969-1999-num-40-4-5224.pdf

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  • Publié le Mar 17, 2022
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