Robert Challe et le commerce Actes de la Table ronde du 27 juillet 2015 au 14èm
Robert Challe et le commerce Actes de la Table ronde du 27 juillet 2015 au 14ème Congrès international d’étude du Dix-Huitième siècle « L’ouverture des marchés : l’économie et le commerce dans le siècle des Lumières » Rotterdam (27-31 juillet 2015) Société des Amis de Robert Challe Bulletin n°16 2017 2 3 Table des matières Geneviève Artigas-Menant Introduction……………………………………………………………………..5 Jacques Cormier Les réflexions de Challe sur le commerce : entre Fénelon et Voltaire…………7 Carole Martin Robert Challe et le commerce : escale à Pondichéry…………………………..27 Mami Fujiwara Le « sacré commerce » selon Robert Challe : Bossuet, Richard Simon et les Difficultés………………………………………………………………............47 Maria Susana Seguin Commerce et idées dans l’œuvre de Robert Challe……………………………65 4 5 Introduction Geneviève Artigas-Menant CELLF, UMR 8599 CNRS-Université Paris Sorbonne Un congrès aux Pays-Bas, un congrès sur « L’ouverture des marchés, l’économie et le commerce au siècle des Lumières », c’est une double occasion, une occasion sur mesure, de parler de Robert Challe né à Paris en 1659, mort à Chartres en 1721. Deux raisons essentielles viennent immédiatement à l’esprit : le lieu et le thème. Le lieu d’abord. À l’âge de vingt-deux ans, précisément d’octobre 1681 à mars 1682, Challe séjourne à Amsterdam où il fréquente une « société de gens de lettres et d’esprit qui s’assemblaient deux fois la semaine »1, société qui a exercé sur lui une influence intellectuelle certaine. Ensuite et surtout, le thème, car c’est pour un important motif commercial qu’il est aux Pays-Bas. Il accompagne un marchand de La Rochelle qui est venu acheter un navire pour la Compagnie de pêche sédentaire de l’Acadie, dont Challe deviendra actionnaire, associé pour une somme de deux mille livres. C’est le début d’une vie d’aventure et de commerce (de peaux de castor et de morue séchée) qui durera jusqu’en 1688. Mais les voyages et le commerce ne s’arrêtent pas là pour Robert Challe. De février 1690 à août 1691, il participe à une expédition commerciale et militaire qui le conduit jusqu’en Extrême-Orient sur un vaisseau de la Compagnie des Indes orientales. Ces deux grandes expériences constituent une source permanente des réflexions économiques et des commentaires politiques qui jaillissent au détour d’une page tant dans le Journal d’un voyage fait aux Indes orientales rédigé en 1690-1691 et publié en 1721, que dans les Mémoires2 rédigés en 1716 et même dans le grand traité déiste intitulé Difficultés sur la religion proposées au Père Malebranche, rédigé entre 1710 et 1713 et resté inédit jusqu’en 19703. 1 Robert Challe, Journal d’un voyage fait aux Indes orientales, Frédéric Deloffre et Jacques Popin éd., Paris, Mercure de France, 2002, t. I, p. 181-182. 2 Robert Challe, Mémoires. Correspondance complète. Rapports sur l’Acadie et autres pièces, Frédéric Deloffre éd., avec la collaboration de Jacques Popin, Genève, Droz, 1996. 3 Difficultés sur la religion proposées au Père Malebranche (anonyme), Roland Mortier éd., Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles, 1970 ; Robert Challe, Difficultés sur la religion proposées au père Malebranche, Frédéric Deloffre et Melahât Menemencioglu éd., Oxford, Voltaire Foundation, 1982 ; Robert Challe, Difficultés sur la religion proposées au Père Malebranche, Frédéric Deloffre et François Moureau éd., Genève, Droz, 2000. 6 Mais l’intérêt intellectuel et pragmatique de Challe pour le commerce ne se limite pas aux entreprises internationales de grande envergure, son souci du détail, son esprit d’observation, son regard critique s’exercent aussi de façon remarquable dans son œuvre romanesque. De nombreux épisodes des Illustres Françaises, publiées en 1713, ont pour cadre les boutiques et les échoppes des marchands parisiens de la fin du XVIIe siècle, dans leur variété et leur pittoresque. Le roman propose une galerie de portraits de commerçants et de clients, une série de tableaux vivants, un ensemble de scènes réalistes. Il ne s’agit pas seulement des éléments d’un décor : les relations commerciales sont remarquablement révélatrices du statut et des destins des personnages, elles reflètent la vision de la société et du monde que propose Robert Challe et participent ainsi en profondeur à la constitution de son message idéologique. Les contributions qui suivent sont le reflet de l’unité de la pensée de notre auteur autant que de la diversité des genres qu’il pratique. 7 Les réflexions de Challe sur le commerce : entre Fénelon et Voltaire Jacques Cormier Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles À l’époque où Robert Challe met au point le compte rendu de son voyage aux Indes orientales destiné à paraître en 17214, il y a longtemps que s’affrontent, en France, les théoriciens de la politique économique. Sous le règne de Henri IV (1589-1610), Maximilien de Béthune, connu sous le nom de Sully, attaché aux traditions agricoles et hostile à l’industrie, était persuadé que la prospérité du pays ne pouvait provenir que des produits de la terre. Il dénonçait dans une formule demeurée célèbre l’enrichissement « illusoire » de l’Espagne qui reposait sur la découverte aléatoire de l’or des Amériques : Labourage & pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, et les vraies mines et trésors du Pérou. 5 Les théories prônées par Sully s’opposaient à celles de Barthélemy de Laffémas. Ce dernier, convaincu que l’enrichissement provenait, non de l’agriculture, mais de l’artisanat et du commerce, rédigea plusieurs essais sur le sujet6. Il en concluait qu’il fallait créer et développer des manufactures royales pour pouvoir répondre aux besoins du pays tout en réduisant les importations. Concrètement, pour ne plus dépendre de l’extérieur, Laffémas implanta l’industrie de la soie dans le sud de la France : mûriers, vers à soie, magnaneries…, 4 Rappelons qu’il existe deux versions sensiblement différentes du récit du voyage de Robert Challe aux Indes orientales. La première, rédigée vers 1690 et restée inconnue jusqu’à la découverte de Jacques Popin à la fin du XXe siècle, a été publiée sous le titre Journal du Voyage des Indes Orientales à Monsieur Pierre Raymond ; suivi de la Relation de ce qui est arrivé dans le royaume de Siam en 1688, Textes inédits publiés d’après le manuscrit olographe par Jacques Popin et Frédéric Deloffre, Genève, Droz, 1998 (abréviation : Journal à Pierre Raymond dans le corps du texte et JPR dans les notes). La seconde, remaniée par Challe durant plus de vingt-cinq ans et publiée en 1721 à La Haye au lendemain de la mort de l’écrivain, le Journal d’un voyage aux Indes orientales, Frédéric Deloffre et Jacques Popin éd., Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 2002, 2 vol., (abréviation dans les notes : JV21). 5 Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641), Les Œconomies royales, [1639, p. 257]. Joseph Chailley éd., Paris, Guillaumin & Cie, 1858, p. 96 ou David Buisseret et Bernard Barbiche éd., Société de l’Histoire de France, Paris, Klincksieck, 1970, t. I (1572-1594) ; mes italiques. 6 En 1596, Barthélemy de Laffémas (1545-1611) rédige un Mémoire pour dresser les manufactures et ouvrages du royaume, Paris, Cl. Monstrœil et Jean Richer, 1597. Le 17 avril 1598, il publie un projet d’édit sur le commerce : Les Trésors et richesses pour mettre l’État en splendeur et montrer au vrai la ruine des François par le trafic et négoce estrangers. 8 c’est un plan ambitieux qu’il mit en œuvre, avec l’aide d’Olivier de Serres : Lyon en recueillit plus tard l’héritage. Le développement de la production des articles de luxe en France, dans les années 1600-1610, pour éviter la fuite des capitaux à l’étranger préfigure directement la politique de Colbert7 ; de fait, celui-ci reprendra la stratégie économique de Barthélemy de Laffémas mais sans faire état de ce qu’il devait à son prédécesseur. Dans un premier temps, Colbert avait compris que l’agriculture vantée par Sully ne suffisait pas à assurer le développement de la France et qu’il fallait encourager et structurer l’industrie, une activité alors embryonnaire, par la création de manufactures d’État : il ranima la manufacture des Gobelins, cette manufacture créée par Laffémas et qui concurrencera les artisans tapissiers des Flandres et les maîtres verriers de Venise. Dans un second temps, Colbert avait saisi toute l’importance, pour assurer la vente des produits de son industrie en expansion, d’un réseau de diffusion qui passait par la création d’une marine puissante et la fondation de compagnies commerciales créées à l’exemple de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales8, la VOC, que les Provinces-Unies avaient fondée en 1602. Certes, sous Henri IV, des compagnies commerciales maritimes royales avaient déjà été établies9 mais elles avaient périclité à la mort du souverain, tandis que pendant tout le XVIIe siècle, le dynamisme et la réussite de la VOC retenaient tout particulièrement l’attention des contemporains. Colbert rétablit les compagnies commerciales maritimes et entend concurrencer les Hollandais. Fénelon et Challe, entre autres, et Voltaire, mais plus tard, dans les années 1724, consignent dans leurs écrits leur intérêt pour les systèmes économiques de leur temps. Il faut noter d’emblée que Challe avait lu Les Aventures de Télémaque10 et que Voltaire aura lu Télémaque et le Journal d’un voyage aux Indes orientales avant de traiter de sujets économiques. Leurs réflexions à tous trois s’inscrivent précisément dans le sillage de la gestion de Colbert, dont les théories et la pratique uploads/Finance/ robert-challe-et-le-commerce.pdf
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- Publié le Fev 24, 2021
- Catégorie Business / Finance
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