38 La haute administration des finances publiques et sacrées dans les cités hel

38 La haute administration des finances publiques et sacrées dans les cités hellénistiques * Dans les démocraties grecques, l’exercice des magistratures et des autres respon- sabilités exécutives amenait de nombreux citoyens à manier des fonds publics ou sacrés 1. C’était le cas, naturellement, de tous ceux qui avaient pour mandat de les gérer au jour le jour à différents niveaux, comme les trésoriers ou les hiéropes, mais aussi de beaucoup d’autres qui occupaient des fonctions diverses, comme les stratèges, les gymnasiarques, les agonothètes, etc., ainsi que les membres des commissions préposées par exemple aux constructions publiques. Le grand nombre de ces charges peut être interprété comme un signe de désordre et d’éparpillement 2. Mais Aristote nous apprend que la dioivkhsi~ de la cité était souvent confiée à un seul homme et qu’une magistrature centrale s’occupait habituellement de percevoir les revenus communs, de les garder et de les distribuer à chaque branche de l’administration : ses titulaires s’appelaient apodectes ou trésoriers 3. Ce double constat pose plusieurs questions importantes. Je ne m’arrête pas ici à la dernière❘opération évoquée par le * Chiron 36 (2006), p. 379-394. 1. Rappelons que, dans chaque cité, les fonds sacrés sont toujours restés distincts des fonds publics. Beaucoup de textes distinguent couramment les iJera; crhvmata (fonds sacrés) des dhmovsia ou o{sia crhvmata (fonds publics) ou les iJerai; provsodoi (revenus sacrés) des politikai; provsodoi (revenus publics) ou encore, comme à Délos, la caisse sacrée (iJera; kibwtov~) de la caisse publique (dhmosiva kibwtov~). À partir de la période classique, les fonds sacrés ont certes été gérés de plus en plus par la communauté des usagers des sanc- tuaires, c’est-à-dire très souvent par les cités elles-mêmes ou par l’une de leurs subdi- visions, comme un dème, sous l’autorité suprême de l’Assemblée et du Conseil. Mais ils appartenaient clairement aux dieux, plus exactement à telle divinité particulière, comme Apollon à Délos, et avaient normalement leurs propres administrateurs. De leur côté, les fonds publics étaient naturellement gérés, de manière analogue, par les autorités civiles. Sur la gestion des fonds sacrés, voir mon article « La gestion des biens sacrés dans les cités grecques », dans G. Thür et H.A. Rupprecht (éd.), Symposion 2003. Vorträge zur grie- chischen und hellenistichen Rechtsgeschichte (Marburg 30 September-4 Oktober 2003), Vienne, 2006, p. 235-248, avec les sources et la bibliographie antérieure. 2. Ce qu’a fait par exemple H. Francotte, Les finances des cités grecques, Liège-Paris, 1909, p. 133-156. 3. Politique, III, 16, 1 : kai; polloi; poiou'sin e{na kuvrion th'" dioikhvsew". Comme exemples d’une telle ajrchv, le philosophe citait le cas d’Épidamne et, « dans une moindre mesure » (katav ti mevro" e[latton), celui d’Oponte. Ibid., VI, 8, 6 : a[llh d∆ ajrch; pro;" h}n aiJ provsodoi tw'n koinw'n ajnafevrontai, par∆ w|n fulattovntwn merivzontai pro;" eJkavsthn dioikhvsin : kalou'si d∆ ajpodevkta" touvtou" kai; tamiva". 380 38. LA HAUTE ADMINISTRATION DES FINANCES DANS LES CITÉS HELLÉNISTIQUES 42 philosophe, celle de la distribution des fonds publics aux divers magistrats ou, en d’autres termes, de la planification des dépenses, car je lui ai déjà consacré un article : il est évident que cette étape contribuait beaucoup à la bonne ordonnance de la gestion quotidienne 4. Mon propos est de vérifier comment le principe de la cen- tralisation de la gestion financière, au plus haut niveau, s’est traduit dans la réalité. Je ne reviens pas sur le cas d’Athènes, qui est le mieux connu, du moins à la période classique, ni sur ceux de Delphes et de Délos, où la documentation épigraphique est également assez riche. En effet, ils ont fait l’objet de bonnes études qui ont montré la cohérence de leur organisation, et même leur complexité dans les deux premiers cas 5. J’étudie d’autres exemples, surtout de la période hellénistique, dont la majorité viennent de petites cités généralement mal connues. Les documents y sont naturellement plus rares et plus dispersés, mais ils révèlent que le même principe y était souvent appliqué.❘ 4. Voir « La planification des dépenses publiques dans les cités hellénistiques », dans B. Virgilio (éd.), Studi ellenistici 19, Pise, 2006, p. 77-97. Dans un intéressant article consacré au concept de dioivkhsi" th'" povlew" (« Die dioivkhsi~ th`~ povlew~ im öffentlichen Finanzwesen der hellenischen Poleis », Chiron 35, 2005, p. 385-403), Chr. Schuler a lui aussi abordé cette question en même temps que celle du présent article, étudiant beaucoup d’inscriptions qui ont aussi retenu mon attention : nos analyses et nos conclusions concor- dent souvent, mais pas sur tous les points. 5. Sur Athènes, la bibliographie est énorme. Parmi les études récentes, où l’on trouvera d’autres titres et références, citons T. Linders, The Treasurers of the Other Gods in Athens and their Functions, Meisenheim, 1975 ; P.J. Rhodes, « Athenian Democracy after 403 B.C. », CJ 75 (1980), p. 305-323, The Athenian Boule, Oxford, 2 e éd. 1985, p. 88-113 et 235-240, et A Commentary on the Aristotelian Athenaion Politeia, Oxford, 2 e éd. 1993, passim ; M. Faraguna, Atene nell’età di Alessandro. Problemi politici, economici, finanziari, Rome, 1992, p. 169-209 et 287-399 ; M.H. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène. Structure, principes et idéologie, traduction française, Paris, 1993, passim ; M. Dreher, Hegemon und Symmachoi. Untersuchungen zum Zweiten Athenischen Bund, Berlin-New York, 1995, p. 41-89 ; H. Leppin, « Zur Entwicklung der Verwaltung öffent- licher Gelder im Athen des 4. Jahrhunderts v. Chr. », dans W. Eder (éd.), Die athenische Demokratie im 4. Jahrhundert v. Chr., Stuttgart, 1995, p. 557-566 ; L.J. Samons II, Em- pire of the Owl. Athenian Imperial Finance, Stuttgart, 2000, passim. — Sur Delphes, voir J. Bousquet, Études sur les comptes de Delphes, Athènes-Paris, 1988, p. 142, 160, 189-194 et 277, et « L’administration du sanctuaire de Delphes au IVème siècle avant Jésus-Christ », CCG 3 (1992), p. 21-29 (résumé commode sur l’administration financière du sanctuaire au IV e siècle) ; Fr. Lefèvre, L’Amphictionie pyléo-delphique. Histoire et institutions, Athènes-Paris, 1998, p. 183-191, 205-216 et 257-268 ; P. Sánchez, L’Am- phictionie des Pyles et de Delphes. Recherches sur son rôle historique, des origines au IIe siècle de notre ère, Stuttgart, 2001, p. 124-133, 138-152, 309-312, 413-415, 446-463 et 472-476 ; D. Rousset, Le territoire de Delphes et la terre d’Apollon, Athènes-Paris, 2002, p. 183-211 et 271-274 ; sur l’article de J. K. Davies, « Finance, Administration and Real- politik : the Case of Fourth Century Delphi », dans M. Austin, J. Harries et C. Smith (éd.), Modus Operandi. Essays in Honour of Geoffrey Rickman, Londres, 1998, p. 1-14, voir la critique de D. Mulliez, Bull. épigr. 2000, 358. — Sur Délos, voir avant tout Cl. Vial, Délos indépendante (314-167 avant J.-C.). Étude d’une communauté civique et de ses institutions, Athènes-Paris, 1984, p. 89-280. Chiron 36 (2006), p. 379-394 43 1. Béotie Au III e et au II e siècle, les institutions des cités béotiennes se conformaient visi- blement à un modèle commun, car elles présentent entre elles de nombreuses simili- tudes à partir desquelles il est plausible de généraliser 6. Des hiérarques sont attestés dans huit cités différentes, parfois avec un secrétaire, et l’on peut présumer qu’ils existaient partout en Béotie. On ne connaît pas toujours leur nombre : il y en avait cinq à Thespies, trois à Akraiphia et à Oropos, deux à Orchomène et un seul à Thèbes et à Chéronée. Dans chaque cité, ils avaient manifestement autorité sur l’ensemble de l’administration sacrée, avec sans doute un droit de regard sur les finances des divers sanctuaires. En d’autres termes, les autres magistrats connus dans le même domaine leur étaient subordonnés : c’était le cas par exemple du hiéromnémon, du secrétaire des affaires sacrées et de l’épimélète des sanctuaires à Thespies, du trésorier des fonds sacrés à Chéronée, à Tanagra et à Oropos et d’autres trésoriers affectés à des lieux déterminés ou à des fonds spéciaux. Les fonds publics, de leur côté, étaient gérés partout par des trésoriers, tamivai, qui percevaient les revenus ordinaires et les autres sommes dues aux cités et payaient les dépenses imposées par les lois et les décrets. Dans les petites communautés, un seul titulaire suffisait probablement à la tâche. Mais des collèges de trois membres, qui se relayaient tous les quatre mois, sont attestés à Thespies, à Lébadée, à Orcho- mène et à Oropos. Aucune source ne permet de penser qu’ils étaient de simples exé- cutants soumis à des magistrats supérieurs, analogues aux hiérarques du domaine sacré ou aux ajnatavktai de Milet (ci-dessous). Ils devaient donc avoir pleine autorité, dans chaque cité, sur la gestion des fonds publics, naturellement sous le contrôle de l’Assemblée et du Conseil. On peut interroger aussi les nombreux baux de Thespies, qui s’échelonnent sur une trentaine d’années entre 240 et 210 environ, car ils permettent de voir quelles autorités avaient la charge d’y adjuger les fermages des terres sacrées et publiques 7. Plusieurs cas de figure apparaissent : dans trois cas incluant des terres sacrées et des terres publiques, une commission (ajrcav) fut chargée à la fois de la mise en location et de la perception des fermages et des uploads/Finance/38-la-haute-administration-des-finances-publiques-et-sacrees-dans-les-cites-hellenistiques.pdf

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  • Publié le Jan 08, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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