Berger.L & Branchu.O (2005), "L'Islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les vi

Berger.L & Branchu.O (2005), "L'Islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar", in Gomez-Perez.M (ed), L'Islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala : 69-118. 1 Berger.L & Branchu.O (2005), "L'Islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar", in Gomez-Perez.M (ed), L'Islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala : 69-118. 2 L'islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar par Laurent Berger et Olivier Branchu * L'islamisation de Madagascar tout au long du second millénaire a fait l'objet de nombreux travaux tant archéologiques, historiques qu'ethnologiques, qui ont mis en valeur les vagues successives de migrants islamisés originaires des côtes de l'Afrique orientale, du Moyen-orient, de l'Inde ou de l'Indonésie, ayant fondé dès le XIIe siècle dans le nord de l'île un ensemble d'échelles commerciales1. Ces populations ont parfois essaimé au rythme de leurs arrivées et de leurs diverses implantations (Antalaotra, Anjoaty, Zafiraminia..) le long des côtes ouest et est de l'île aux embouchures des fleuves, notamment pour développer dans les baies du nord-ouest au XVe siècle des comptoirs citadins exportant des zébus, du riz et des esclaves. Certaines fondèrent ainsi au sud-est au XVIe siècle le premier royaume malgache islamisé (Antemoro), basé sur un système de "castes" et le monopole par certaines d'entre elles d'un savoir musulman ésotérique consigné par écrit -les manuscrits arabico-malgaches sorabe-2. Cependant, il semble que cette présence ancienne attestée de l'islam à Madagascar, marquée dès l'origine par la diversité et le brassage des populations en étant les dépositaires, ait été souvent sous-estimée et minorée quant à son impact sur l'établissement d'échanges internationaux entre musulmans à la période contemporaine (XIXe-XXe siècles), que ces derniers aient eu lieu, par exemple, au sein de la diaspora indienne, ou bien plus anciennement avec le sultanat de Zanzibar au siècle dernier. Cet "oubli" relatif et quelque peu compréhensif en regard du rôle majeur joué par le christianisme dans la construction de l'Etat malgache3, reste néanmoins énigmatique, de par l'existence ancienne et le développement continu de relations commerciales et maritimes avec la civilisation swahili, mais aussi de par la diffusion et l'acculturation de pratiques magico-religieuses d'origine arabo-persane étayant une certaine "mise en scène" de l'autorité ancestrale présente sur toute l'île4. Gueunier remarquait récemment que la diversité culturelle et la dispersion géographique des minorités musulmanes dans le pays (chiites, ismaéliens, sunnites malgaches mais aussi originaires de l'Inde, du Yémen, de Mayotte, des Comores, de Maurice, de l'Arabie, de l'Ethiopie ou de la Somalie), tendait aujourd'hui à s'effacer devant l'émergence d'une communauté religieuse soucieuse d'être reconnue à l'échelle de la nation malgache et intégrée par l'Etat à la gestion des affaires publiques5. C'est dans ce contexte actuel que le nord de l'île nous semble constituer à cet égard une région d'étude emblématique, étant à la fois le lieu d'arrivée et d'installation de ces premiers islamisés, et celui d'un peuplement massif et hétérogène de la région induit par la colonisation française. * Respectivement doctorant (laurentberger@club-internet.fr) en Anthropologie sociale au LAS -Laboratoire d'Anthropologie Sociale- (Collège de France-Ehess-Cnrs, Paris, France) et doctorant (olivierbranchu@voila.fr) en Géographie humaine au DYMSET -Dynamiques des Milieux Sociétés Espaces Territoires- (Université Bordeaux III, France). 1 Cf. Vérin, P., 1975. 2 Cf. Beaujard, P., 1988 & Beaujard, P., 1994. 3 Cf. Raison-Jourde, F., 1991. 4 Nous pensons à la géomancie –sikidy-, mais aussi aux destins astrologiques dérivés du zodiaque –vintaña-, à la cardinalisation des espaces, au calendrier lunaire ou luni-solaire, à la confection d'amulettes et de talismans, aux sacrifices de zébu, et aux rituels du cycle de vie –circoncision, coupe de cheveux après les premières dents-… 5 Cf Gueunier, N., 1994, p. 4 mentionnant la tenue du premier congrès islamique national en 1980 à Majunga. Berger.L & Branchu.O (2005), "L'Islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar", in Gomez-Perez.M (ed), L'Islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala : 69-118. 3 Les différentes confessions chrétiennes (catholiques, anglicanes, protestantes, évangéliques) sont par ailleurs aussi bien implantées parmi la population régionale que les cultes de possession tromba et les pratiques rituelles affiliées au culte des ancêtres Berger.L & Branchu.O (2005), "L'Islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar", in Gomez-Perez.M (ed), L'Islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala : 69-118. 4 domestiques. L'étanchéité dogmatique des pratiques religieuses ne résiste donc bien évidemment pas à l'utilisation pragmatique qui en est faite par la population au quotidien. Il nous a ainsi paru bien fondé, d'aborder cette réflexion anthropologique sur les formes contemporaines de l'islam à l'extrême nord de Madagascar, par une présentation des différentes "communautés politiques imaginées6" en étant les supports en zone rurale comme en milieu urbain. Nous avons choisi d'articuler dans une certaine limite, des perspectives historiques, géographiques et ethnologiques, qui permettent de comprendre la logique de leur implantation territoriale, et celle de leur construction locale. Le cœur de notre propos est de mettre en lumière, en nous appuyant sur nos deux enquêtes ethnographiques respectivement menées dans la région d'Ambilobe et dans la ville de Diego-Suarez entre octobre 1999 et juin 2001, l'existence d'une division catégorielle des populations locales entre tômpontany, littéralement les maîtres et gardiens responsables de la terre, terme qui fait référence aux originaires les plus anciennement implantés territorialement ; zanatany, à proprement parler les enfants du pays, expression qui désigne les enfants d'étrangers nés dans le pays ; et vahiny, renvoyant aux étrangers de passage et aux nouveaux venus dans un lieu7. Nous voulons montrer en quoi cette division catégorielle des populations est à la fois entretenue, transformée et contestée au travers des différentes pratiques contemporaines de l'islam. Nous désirons en effet esquisser la façon dont la question de l'autochtonie est redéfinie et construite sur la base de communautés politiques imaginées, respectivement pour les tômpontany à l'échelle régionale dans un cadre familial et ethnique, pour les zanatany, au niveau national, dans un cadre associatif et institutionnel, et pour les vahiny, à l'échelle transnationale dans un cadre universaliste et réticulaire. Nous voulons en effet mettre en corrélation ces trois modes d'intégration sociale différemment élaborés, avec un ensemble d'activités musulmanes, qui à chaque fois confèrent aux individus un espace de manœuvres stratégiques dans leur lutte pour l'accès à des ressources (terres cultivables, travail salarié, logements, réseaux d'entraide, capitaux), synonymes pour eux d'ascension sociale réussie ou d'exclusion sociale combattue. Ainsi, les tômpontany bénéficient au niveau villageois, d'avantages économiques de par l’accès qui leur est réservé à la propriété du sol et à l’utilisation des ressources de celui-ci, et de privilèges politiques, de par la place centrale qu'ils occupent dans la gestion locale des conflits villageois8. Ces prérogatives sont légitimées en dernière instance parce que leurs ancêtres sont ensevelis dans la terre de laquelle ils tirent leur subsistance, et qu'ils considèrent comme leur patrimoine ancestral –lovandrazana-. Les zanatany peuvent eux compter sur les réseaux clientélistes qu'ils ont su échafauder en ville à la suite de leur contribution au fonctionnement de l'appareil d'Etat et de l'industrie régionale. Mais bien qu'étant la plupart du temps nés dans la région ou y ayant suffisamment vécu pour y développer des liens matrimoniaux et des relations professionnelles étendus, ils ne disposent pas d'aïeux y étant collectivement enterrés pour bénéficier, à ce titre, de terres ancestrales qui leur conféraient la qualité de tômpontany. Les vahiny identifiés comme des individus de passage ou des migrants récemment arrivés, n'étant pas fixés à la terre -contrairement aux zanatany ayant leurs 6 Cf. Anderson, B., 1983, p. 20 : "En vérité, au-delà des villages primordiaux où le face-à-face est de règle (et encore..), il n'est de communauté qu'imaginée. Les communautés se distinguent, non par leur fausseté ou leur authenticité, mais par le style dans lequel elles sont imaginées". 7 Cf. Sharp, L., 1993, qui dans son travail ethnologique plus au sud dans la ville d'Ambanja, défend l'idée selon laquelle les cultes de possession tromba, concourent à l'autochtonisation des migrantes en milieu urbain (passage du statut de vahiny au statut de tera-tany). Notre analyse s'en différencie cependant en prenant en compte la question du métissage (le statut des zanatany), et en quittant le cadre étroit du fonctionnalisme qu'elle assigne à son analyse de cette division catégorielle des populations. 8 Cf. Gezon, L., 2000. Berger.L & Branchu.O (2005), "L'Islam à l'épreuve de l'ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar", in Gomez-Perez.M (ed), L'Islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala : 69-118. 5 placentas y étant enterrés- sont considérés ainsi comme des étrangers et mis en quelque sorte à l'écart du jeu politique et social. Afin de mieux saisir ce qu'il y a en jeu dans la reproduction et la transformation contemporaine de cette division catégorielle des populations au travers des différentes formes prises par l'islam, nous nous intéresserons à la façon dont ces dernières se manifestent au niveau des activités rituelles et des pratiques de socialisation, dans l'encadrement des nouvelles formes collectives d'organisation uploads/Geographie/ 2005-lislam-a-lepreuve-de-lancestralite.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager