M.Hlel Akofena çn°001 583 « HABITER POÉTIQUEMENT » SIDI BOU SAÏD ET HAMMAMET :
M.Hlel Akofena çn°001 583 « HABITER POÉTIQUEMENT » SIDI BOU SAÏD ET HAMMAMET : LES MAISONS CÔTIÈRES, UN PATRIMOINE ARCHITECTURAL, PAYSAGER ET TOURISTIQUE (1920-1950) Marwa HLEL Université Paul Valéry Montpellier - France Laboratoire CRISES hlel.marwa@gmail.com Résumé : Selon un regard analytique et réflexif apporté sur les maisons côtières européennes construites entre 1920 et 1950 à Sidi Bou Saïd et à Hammamet, ce présent essai qui se concentre sur le rapport entre le concept de l’artialisation, l’architecture côtière et le patrimoine matériel et immatériel, dévoile les formes d’un métissage culturel et artistique entre l’Orient et l’Occident. Des représentations picturales, littéraires, poétiques, auxquels se mêlent des registres linguistiques, mythiques et architecturaux esquissent un cheminement vers la construction d’une œuvre architecturale esthétisée et un nouveau savoir vivre sur le littoral tunisien. Souvent marginalisé, ce patrimoine côtier trouve dans le détournement de la fonction initiale un passé qui se préserve et survit. Mots-clés : Maisons côtières, artialisation de la nature, patrimoine, discours, tourisme Abstract : Starting from the analytical and reflexive look brought to the European coastal houses built between 1920 and 1950 in Sidi Bou Saïd and Hammamet, the present work focuses on the relationship between the concept of the artialisation, the coastal architecture and the tangible and intangible heritage. The aim is to reveal the different forms of the cultural and artistic mix between the East and West. In fact, pictorial, literary and poetic representations, mixed with linguistic, mythical and architectural registers outline a path towards the construction of an aesthetic architecture and a new way of life on the Tunisian coast. Often marginalized, this coastal heritage finds in the diversion of the initial function a preserved past that is still surviving. Keyword : Coastal houses, artialisation of landscape, heritage, discourse, tourism Introduction Depuis l’instauration du Protectorat en 1881, la Tunisie connaît des mutations politiques, sociales, économiques ainsi qu’architecturales et artistiques caractérisant cette période transitoire de son histoire. Sa réception des flux d’européens allait du quartier franc de la Médina, à la nouvelle ville européenne jusqu’aux les villages de la banlieue de Tunis et la région de Cap Bon où les résidences permanentes et secondaires en bords de mer constituent une véritable « Habiter poétiquement » Sidi Bou Saïd et Hammamet : Les maisons côtières, un patrimoine architectural, paysager et touristique (1920-1950) Mars 2020 ç pp. 583-598 584 œuvre architecturale. Sidi Bou Saïd et Hammamet, deux villes emblématiques, illustrent parfaitement ce nouvel art de vivre. Du Palais Ennajma Ezzahra (1911- 1922), à Dar Lekbira (1927), Dar Henson (1927) et Dar Patout (1945-1948), se dévoilent les histoires plurielles de ces lieux. Ils demeurent depuis l’Indépendance l’emblème d’un style architectural au moment où de nombreux espaces de villégiature tombent en ruine laissant la place à des nouvelles structures touristiques. Cet article aspire à saisir les concepts latents occultés dans les supports artistiques, les discours et les architectures d’Erlanger, Sébastian, Henson et Patout qui tendent vers un savoir-faire et un savoir vivre innovateurs sur les côtes tunisiennes. 1. Maisons côtières à Sidi Bou Saïd et à Hammamet, une double artialisation in situ et in visu Selon l’ouvrage Palais et résidences d’été de la région de Tunis (XVI-XIXe siècles) de Jacques Revault (1974)1 et d’autres travaux en architecture et en sociologie tels Sidi Bou Sa’id, Tunisia. Structure and form of a Mediterranean village (S. Hakim, 1978), Le vieux-Kram (Bey, 2016) et L’homme méditerranéen et la mer (Galley et Ladjimi Sebai, 1981), on pourra distinguer l’ancienneté de la culture de villégiature et ses constructions en allant de la civilisation romaine jusqu’à l’époque turque et celle coloniale. A la campagne ou au bord de mer, « la villégiature, c’est d’abord et avant tout un site, lequel doit être ou majestueux, ou prenant, ou aimable » (Laroche et al., 2014). Il est d’une qualité paysagère émouvante qui favorise sa contemplation et son occupation. Dans son Court traité du paysage, Alain Roger (1997) décèle l’invention du paysage par le biais de la peinture renaissante italienne ; autrement dit la naissance de l’artialisation de la nature par le biais de l’art et de la culture. Ce concept philosophique qu’il emprunte à Montaigne faisait son apparition en Europe au cours du XIXème siècle puis en Tunisie au début du XXème siècle dont la littérature, les récits de voyage, la poésie servaient énormément à son développement. Benedetto Crose, quant à lui, va jusqu’à la théorisation de l’esthétisation de la nature par la représentation artistique et le regard éduqué et instruit. En effet, selon la définition d’Augustin Berque, un paysage nécessite la présence de quatre critères fondamentaux : « 1. Des représentations linguistiques, c’est-à-dire un ou des mots pour dire « paysage » 2. Des représentations littéraires, orales ou écrites, chantant ou décrivant les beautés du paysage 3. Des représentations ayant pour thème le paysage 4. Des représentations jardinières, traduisant une appréciation esthétique de la nature» Cité par Boukraa (2008, p.69) 1 Parmi ses ouvrages sur l’architecture tunisienne, on cite : L’habitation tunisoise. Pierre, marbre et fer dans la construction et le décor (1978), Palais et résidences d’été de la région de Tunis (XVIe-XVIIe siècles) (1974), Aspects de l’élément andalous dans les palais et demeures de Tunis (1973). M.Hlel Akofena çn°001 585 Ces éléments fondamentaux correspondent aux conceptions mentales mises en œuvre par le Baron d’Erlanger à Sidi Bou Saïd, et par Sébastian et Henson à Hammamet. Pour le cas de Henson Catherine Hermary-Vieille témoigne dans son ouvrage, Le Jardin des Henderson (1991), sa démarche artistique et sensuelle pour concrétiser son rêve paysager. Ridha Boukraa précise également dans son ouvrage, Hammamet. Etudes d’anthropologie touristique (2008) qu’« Il est intéressant de souligner l’importance de la représentation dans la naissance d’une culture du paysage. Le paysage est une nature culturée et une culture naturée. Et c’est grâce à la représentation que s’opèrent le passage de la nature à la culture et celui de la culture à la nature» (Boukraa 2008, p.70). Il dénote que le paysage balnéaire de Hammamet est créée par les représentations artistiques et littéraires des grands peintres, écrivains et poètes cosmopolites, mais aussi, par les architectures et les jardins des esthètes venus d’ailleurs. Ce qui prouve l’importance du processus de l’artialisation à travers les différents supports artistiques ainsi que les maisons de villégiature dans le développement urbain et paysager. Nombreux sont les artistes, les amateurs d’art et les élites qui suivent Jean Henson et George Sébastian à Hammamet. Citons, d’après la revue La Tunisie Illustrée (1936) et l’ouvrage Maisons de Hammamet (1988), Hoyningen-Huene, David Dulavey, De- Givenchy, Pepino Patroni Griffi, etc., donnant un aspect glorieux à cette ville méditerranéenne. De par ses compositions artistiques à savoir « Hammamet coup d’œil sur les jardins », « Vue sur le port de Hammamet », « Hammamet et sa mosquée » (voir Illustration 1), le peintre Paul Klee construit dans son Journal (2004) un discours émotionnel témoigner de l’impact de la lumière et les couleurs sur son âme et ses peintures. Il note ainsi : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre » (Duvignaud, 1980, p.49). En révélant à Paul Klee son identité d’artiste peintre, le paysage de Hammamet et de la Tunisie d’une manière générale fournissait aux européens une variante d’atmosphère introuvable en Occident. Guy De Maupassant la résume par cette question : Pendant combien d’années faudra-t-il tremper nos yeux et notre pensée dans ces colorations insaisissables, si nouvelles pour nos organes instruits à voir l’atmosphère de l’Europe, ses effets et ses reflets avant de comprendre celle- ci, de les distinguer et de les exprimer jusqu’à donner à ceux qui regarderons les toiles où elles seront fixées par un pinceau d’artiste la complète émotion de la vérité. De Maupassant (1993, p.90) « Habiter poétiquement » Sidi Bou Saïd et Hammamet : Les maisons côtières, un patrimoine architectural, paysager et touristique (1920-1950) Mars 2020 ç pp. 583-598 586 Illustration 1 : Hammamet et sa mosquée, Paul Klee, 1914/199, Aquarelle Source :Duvignaud, Jean, Klee en Tunisie, Cérès Productions, Tunis, 1980 A son tour le Baron d’Erlanger a exprimé son enchantement de l’atmosphère à Sidi Bou Saïd par les œuvres picturales, les compositions musicales, les promenades de son jardin et l’architecture de son palais. Pour la construction picturale, le Baron : peignait surtout la réalité immédiate : les abords de sa demeure ou la portion de ciel et de mer qui s’offrait à son regard quand il s’abandonnait, sur l’une des nombreuses terrasses d’Ennajma Ezzahra, à ses rêveries devant l’immensité. Louati (2006, p.17) Son palais était un véritable carrefour de rencontre pour les peintres, les musiciens, les voyageurs, les hommes de sciences d’origine européenne, tunisienne ou maghrébine. Sans oublier le grand intérêt qu'il portait à la musique andalouse et du Malouf ainsi qu’aux instruments musicaux pour compléter son œuvre orientale. M.Hlel Akofena çn°001 587 Illustration 2 : Vue du Golf de Tunis à partir des terrasses NejmaEzzohra, Rodolphe d'Erlanger, huile sur toile, 36*53cm Source : Centre des Musiques Arabes et uploads/Geographie/ 45-marwa-hlel-pp-583-598.pdf
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- Publié le Jul 31, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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