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Wondershare PDFelement Remove Watermark I 69 JOHANN HEINmCH PESTALOZZ5 (1746-1827)' Michel Soetard Universite catholique de I’Ouest Institut des sciences de I’education d’Angers Johann Heinrich Pestalozzi, ne en 1746 a Zurich, a recu de Rousseau, et singulierement del'Emile, 1’impulsion decisive. Dans un texte ecrit en 1826, un an avant sa mort, a l’inten- tion du public fran^ais, il saluera encore dans Rousseau une « nature superiewe », le « centre de mouvement de I’anaen et du nouveau monde enfait d'education », celui qui,« saisi toutpuissamment de la nature toute puissante, sentant mieux que personae combien ses contemporains etaient eloignes de ce qu'il y a d'energique et d’actif dans la vie physique, aussi bien .que dans la vie intellectuelle, brisa avec une force d'Hercule les chatnes de I’esprit, et rendit I'enfant a lui-meme, et I’education d I'enfant et d la nature humaine ». L’eloge est cepen- dant assort! de quelques restrictions: « Mais en contradiction avec lui- meme, en contradiction avec la societe et ses invariables besoins, en contradiction meme avec I'esprit humain et avec les lois de son deve- loppement, parce que ses vues ne s'eleverent point jusqu'd reconnaitre dans la nature et I'dducation un centre d'unite, d'ou seul provient leur difference, il nefut en dtat ni de maintenir I'independance de. I'enfant, en vivifiant et developpant organiquement son activite intellectuelle, ni de mettre en harmonic le monde interieur de I'homme avec le monde exterieur. » Le jugement reste pourtant globalementpositif: « Ne rencontrant que des adorateurs idoldtres, des interpretes imbeciles ou des ■f R; ..jj ■■ d: fe !,,pr; ■ Wondershare PDFelement Remove Watermark antagonistes athames, son Emile, malgre sa haute importance, et qv.oi qu’il fasse epoque dans la culture des hommes, est reste aussi bien que la grande Idee de Comenius, un livre feme, et n’a pas produit un seul phenomene qui ait mis son esprit en evidence.» (Methode theorique et pratique.) La carriere, Taction comme la reflexion, de Pestalozzi est tout entiere dans cette citation: la prise en compte de la rupture culturelie qu’a constitue TEmile, la necessite, et Timmense difficulte, de faire produire a ce livre de reve un phenomene, d’instrumenter la visee qui le porte; la conscience enfin que 1’ouvrage, lorsqu’il est lu, continue a etre generalement mal lu, et encore plus mal interprete, qu’il est reste en 1826 un livre feme. L’oeuvre entiere de Pestalozzi peut se resumer dans le projet de comprendre en profondeur et de donner des mains a la grande idee de 1’Emile. Elie suivra une evolution qui vehiculera dans un meme mouvement experiences et reflexion, existence et action, pratique et theorie. L'Erfiacafttoin mouvelle et sa grande iBhsion Tout commence au cceur d’une Zurich agitee, et bientot embrasee par le debat politique. La cite prospere des bords de la Limmat, ou le pouvoir, formellement democratique, a len- tement glisse entre les mains de quelques grandes families et se gere au sein de deux ou trois corporations dominantes, s’est reveillee un beau matin avec un peuple heurtant la palissade qui protegeait l’entree de la ville contre les attaques venant du lac. L’arme n’est plus cette fois la faux et la pique, mais le salaire que les paysans commenced a gagner en tissant et en filant le coton dans leur piece de sejour (Wohnstube) transformee en atelier. Les terres abandonnees sont eJles-memes rachetees et livrees a la culture intensive. Sollicitee par le technique et par le pouvoir de l’homme (Kunst), la nature s’eveille de son sommeil ancestral: il s’accumule de Targent, des fortunes se constituent dans les campagnes qui environnent le lac, tandis que tous les droits, de commerce, de vote, d’acces a Fenseiguement, sont jalousement verrouilles par les citoyens de la ville. 70 A Zurich, cep endant, la jeuness* rappelle la tradition democratique de la cite, on denonce le gHs- sement oligarchique, on fustige le regne de F argent et de la corruption. Le jeune Pestalozzi est de ceux-la: ne dans une fem ill e citoyenne (encore que sa mere, originaire de la campagne, ne jouisse pas des droits), il parcourt cahin-caha le systeme de formation zurichois, qui passe pour etre Fun des meilleurs d’Europe. Il devrait acceder au cycle superieur, couronne par la classe de theologie qui conduit au pastorat, mais on le voit frequenter plus volontiers les cercles de discussion ou les jeunes gens, delaissant l’enseignement verbal du Carolinum, padent poh- tique et abordent les vraies questions du temps en de vrais debats. Dans cet univers bouillonnant, la parution du Contrat social et de FEmile agit comme un formidable accelerateur. Resserres dans le groupe des Patriotes, les jeunes gens font bientot le coup de main contre un bailli vereux, un pasteur deprave, un maitre de corporation corrompu. Une revue est pubHee, YErinnerer, qui se charge de rappeler Zurich a sa vertu antique et ou les nouveaux Calvins prechent la Grande Revolution. Cela finit mal: la revue est interdite, Pestalozzi passe quelques jours en prison. On lui a felt sentir de plusieurs cotes, a commencer par la fanriille de sa future femme Anna, nee Schulthess, de riches commerfants zurichois, qu’il devait se calmer, et envisager une profession serieuse. Il sera done agriculteur. Apres neuf mois de stage chez un agronome physiocrate tres en vue pour ses methodes novatrices, il achete un domaine, y construit une grande batisse et s’y etablit avec Anna, dont il a fini par obtenir la main. Un fils leur nait, Jakob, qu’ils appelleront plus volon- . tiers Jean-Jacques. Pestalozzi n’a cependant pas renonce a son vieux projet: faire le bonheur du peuple. Mais, desesperant de la politique et de la corruption citadine, il va prendre le chemin de F education, et de Feducation a la campagne. On voit bientot arriver au Neuhof (la nouvelle feme) des petits va-nu-pieds qui battent habituellement les campagnes, oisifs, quemandant et chapardant. Pestalozzi les fera travailler sur ses terres tout en les formant. T* F'R 1 ."i. I ■ Wondershare PDFelement Remove Watermark 73 Avec ce projet, il ne faisait pis vraiment oeuvre de novateur: son action s’inscrivait dans une tradition d’education pax le travail ou les pietistes s’etaient distingues, depuis le presti.gi.cux institut de Francke a Halle... Ce devrait etre le bonheur de Clarens. Ce sera en realite assez vite le cauchemar. Pestalozzi, qui maitrise mal les pro- blemes agricoles et s’est lance dans les cultures intensives, voit son entreprise compromise par une mauvaise recolte et des investissements malencontreux, tandis que ses voisins paysans multiplient les obstacles sur son chemin. En proie aux diffi- cultes d’argent, il essaie de crouver son salut dans l’industrie, alors florissante, du coton: il transforme sa grange en atelier ou les enfants, garpons et fillcs, filent et tissent des toiles, tandis qu’un entrepreneur se charge de les commercialiser a la ville. L’affaire pourrait marcher, mais les contradictions de l’indus- triel pedagogue ne tardent pas a s’aiguiser. C’est, an Neuhof, la proliferation et 1’empoign.ide des interets: ceux des parents, qui ne revent que de ramener chez eux un rejeton revigore, rhabille et forme; ceux des commercants, qui ne se satisfont pas de pieces mal tissees et ne s’embarrassent pas de philanthropic pedagogique; ceux de Pestalozzi lui-meme, qui a injecte dans l’operation de 1’argent emprunte, et bientot l’heritage de sa femme, en esperant bien tot ou tard retrouver la mise, et un peu plus; les interets des enfants enfin, qui prefereraient continuer a battre la campagne plutot que de peiner dans la poussiere de 1’atelier, et n’hesitent pas a jeter le coton par la fenetre:.. Ce n’est pas que 1’entreprise soil sans resultats pedagogiques: dans des lettres ou il s’efforce de se justifier aupres de ses bienfaiteurs, Pestalozzi peut dresser un bilan des progres economiques, mais surtout moraux et humains, des enfants. Il n’empeche que 1’hemorragie pertnanente de ses forces de travail met chaque jour plus en peril 1’entreprise. Il pourrait bien se mettre sous la protection de 1’Etat ou de l’JEglise, pro - clamer qu’il veut ainsi former de bons citoyens et/ou de bons chretiens. Mais le pere du petit peuple ne reve, dans l’esprit du Contrat social, que d’une belle communaute autogeree, ou l’interet commun ne ferait, politiquSBIIII^^^^^^BWM qu’un avec l’interet de chacun. Et voila que les interets reels font voler en eclats le beau reve: le bon pere Pestalozzi voit, impuis- sant, les premiers interesses, ces pauvres qui lui sont si chers, se detourner de lui. • Les contradictions sont encore plus flagrantes dans la fapon dont Pestalozzi eduque son fils Jakob (quelques pages d’un journal nous sont restees): c’est l’application a la lettre de V Emile, ou 1’enfant est tantot laisse au libre mouvement de la nature, tantot afironte de la fapon la plus froide a la volonte de l’edu- cateur. Etrange education dont on percoit bien la visee ideale: construire un monde de la liberte voulue sous la loi, qui soit le pendant de la liberte vecue dans la nature. Mais on pent com- prendre que, dans la realite des interets qui se nouent entre le pere et le fils, les deux mouvements s’annulent et que l’educa- tion ne puisse prendre racine. L’experience du Neuhoffinit uploads/Geographie/ 4licence-1-textes-fondamentaux-pestalozzi.pdf
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- Publié le Aoû 31, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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