1 2 DECOUVREZ NOTRE CATALOGUE SUR : WWW.EDITIONS-PLUMESSOLIDAIRES.COM 3 Christo

1 2 DECOUVREZ NOTRE CATALOGUE SUR : WWW.EDITIONS-PLUMESSOLIDAIRES.COM 3 Christophe Cassagne Quatre pas dans les nuages © EDITIONS PLUMES SOLIDAIRES 4 © 2021, EDITIONS PLUMES SOLIDAIRES EMAIL : CONTACT@PLUMES-SOLIDAIRES.COM SITE INTERNET : WWW.EDITIONS-PLUMESSOLIDAIRES.COM REALISATION DU BON A TIRER : IMAN EYITAYO REALISATION GRAPHIQUE DE COUVERTURE : NATALIE SIEBER CORRECTIONS ET VERIFICATIONS DU BON A TIRER : AUDREY MOUI ISBN PAPIER : 979-10-96622-81-8 © TOUS DROITS RESERVES POUR TOUS PAYS DEPOT LEGAL : JUIN 2021 5 À mes parents, Christophe Cassagne 6 On meurt toujours trop tôt – ou trop tard. Et, cependant, la vie est là, terminée. Tu n’es rien d’autre que ta vie. Sartre 7 1 L’odeur de jasmin soufflée par le vent vient se briser sous mes narines. Au loin, l’Église du village claironne dix fois sa cloche de bronze, tirant les derniers retardataires de leur sommeil. Rose, posée à mes côtés, émiette dans la paume de sa main un morceau de pain rassis qu’elle jette aux pigeons qui nous entourent. Un rituel qui perdure depuis trois ans. Trois ans que nous sommes déjà là, assis comme à chaque soleil levant sur ce banc usé, face à cette bâtisse qui a un charme désuet. Elle impose par sa grâce et a l’air de forer le ciel grisonnant de l’État du Minnesota. Cette résidence surnommée « Halley Cottage » accueille ses hôtes depuis plus d’un demi-siècle. Moyenne d’âge : soixante-seize ans. Notre première visite des lieux avait été accompagnée par un éphèbe directeur fraîchement débarqué quelques semaines plus tôt. Tiré à quatre épingles dans des habits bon marché, monsieur Peterson nous emmena parcourir le bâtiment du hall d’entrée — longeant les ailes du nord au sud et d’est en ouest —, en passant par la cave et le grenier. Seules les fondations manquaient à l’appel. Rose et moi étions tout de suite tombés en ivresse de cet endroit. Toutefois, après quelques incertitudes et des 8 considérations mûrement réfléchies, nous avions fini par nous convaincre de nous déraciner de New York pour poser nos valises dans la charmante bourgade de Littlewoods, où j’avoue avec sincérité n’avoir jamais mis le bout d’un orteil jusqu’à ce jour. C’était un vendredi, dans le petit matin nébuleux, que nous avions récupéré les clés de notre appartement — un 12 ou 13 novembre, je ne m’en souviens plus très bien. Ce fut un changement radical dans nos vies ; nos habitudes en avaient été bouleversées pour la première fois depuis longtemps. Et les habitudes sont tenaces pour nous qui n’avions goûté qu’aux grands espaces, lorsque seulement nous nous aventurions dans les montagnes enneigées de l’Alaska pour humer un grand bol d’air frais afin de nous revitaliser. Gratte-ciels, embouteillages et nuisances sonores : voilà notre lot quotidien pendant plusieurs décennies. Rose ne s’est jamais vraiment accommodée de ce bouleversement brutal sur l’ordinaire, mais je reste encore aujourd’hui persuadé d’avoir choisi la bonne décision. Nous n’avons pas eu de progéniture, et tous nos amis, hélas, ne se trouvaient plus parmi nous. Un par un, leurs noms s’étaient vidés de notre répertoire. La décadence nous guette âprement désormais, comme un tigre chassant sa proie, et s’affadit par le passage des années. Rose réfute d’ailleurs l’idée de se voir vieillir. Le temps qui court lui fait peur. La fin de vie restera toujours pour elle un sujet défendu ; alors, j’avais pris les devants et réglé toutes les formalités nécessaires pour lui épargner cette tâche douloureuse après ma mort — qui selon toute vraisemblance se produira avant la sienne, comme je me l’imagine, n’ignorant pas le manque de fiabilité de ce genre de mécanisme. 9 — Tu penses à quoi, ma chérie ? dis-je en l’extirpant de sa rêverie. — À rien. — Pourtant, tu en avais tout l’air. Un long souffle de lassitude se déloge de sa bouche vermeille. — Pourquoi donc ce soupir ? Elle me fixe, et je crois revoir le regard profond de ses vingt ans, d’une acuité et d’un éclat exceptionnel. Le même à qui je n’avais pas su dire non. — Ce n’est rien, me répond-elle en baissant le menton. Je lui serre affectueusement la main. — Je te connais. Dis-moi ce qui se passe, tu veux bien ? — Je m’ennuie ici, Adam. Même ces oiseaux de malheur commencent à me sortir par les yeux, geint-elle en clignant des paupières. Je la regarde avec condescendance. — Nous irons faire une partie de cartes avec Sarah cet après-midi, ça te changera les idées. — Tu ne comprends donc pas. Tout ce que je désire, c’est partir loin d’ici. Et puis, je hais cette Sarah ! C’est un personnage grossier et indolent ! Toujours en train de radoter au sujet des autres. Il faudrait aussi qu’un jour quelqu’un ait le courage de lui avouer que les pulls qu’elle tricote pour ses petits-enfants sont démodés depuis plus de vingt ans ! Elle les croit encore aux couches et aux biberons ! Un fou rire que je ne peux retenir me parcourt comme un simple éternuement. Je respire l’air froid à pleins poumons. — Il n’y a rien de drôle ! Je n’aime pas quand tu te moques de moi ! me blâme-t-elle d’un soubresaut. — Je ne me moque pas. 10 Je feins d’être sérieux. — Va te faire voir, Adam ! — Je ne voulais pas être désobligeant. Je m’évertue à enrayer mon ricanement afin d’éviter toute scène de ménage. — Alors, arrête de rire comme un idiot ! Tu sais bien que ça me rend furieuse quand tu ne me prends pas au sérieux. Elle semble en avoir assez de se perdre en conjectures. — Écoute, tu as seulement une baisse de moral. Tout ira mieux tout à l’heure. Il y a des jours comme ça. Sa voix s’affermit, disposée à contenir son animosité. — C’est tous les jours ainsi, finit-elle par se lamenter. Une certaine mélancolie se dessine sur son visage tuméfié, retenant une colère froide. Nous restons un moment dans un silence pesant. Un biset se pose sur la cuisse de Rose. Il picore quelques miettes dans le creux de sa main manucurée. Il semblerait presque être apprivoisé. Entre deux cirrus, les rayons lumineux viennent étourdir ma vision. L’hiver est à son zénith, et mes jambes grelottent de froid par cette fin de matinée de mi-janvier. Nous demeurons encore un peu dans ce parc aux arbres dénudés de feuilles. Leurs branches sont recouvertes d’un fin manteau de neige. La bâtisse aux pierres rouges fut édifiée par un richissime homme d’affaires britannique qui sur ordre de sa femme en demanda hâtivement la construction pour y mener ses vieux jours en toute tranquillité. Composée de quatre étages, elle ne compte pas moins de cent vingt-trois pièces à hauts plafonds. Elle fut aménagée en 1932 pour y faire un lieu de fin 11 de vie selon le testament rédigé par sa propriétaire quelques mois seulement avant sa mort. La sonnerie retentit et me sauve d’un froid qui me glace le sang. — Il est l’heure du déjeuner, dis-je d’un ton folâtre. — Pour ma part, je n’ai pas faim. — Il faut que tu te mettes quelque chose dans l’estomac, ma chérie. En ce moment, tu ne manges presque rien. — Quelle importance, de toute façon, tu manges pour quatre ! Avec tout ce que tu ingurgites, on pourrait ouvrir un magasin d’alimentation sans jamais faire faillite ! me reproche-t-elle avec ardeur. — Tu devrais t’en réjouir. Si l’appétit est là, c’est que tout va. C’est un bon signe de santé. Elle ricane en me dévisageant. Son expression me laisse perplexe. — Entrons, j’ai suffisamment entendu de bêtises pour ce matin, et la journée est loin d’être terminée. Sur ses jambes lourdes, elle se lève et s’appuie péniblement sur sa canne. — Allez, viens. Qu’est-ce que tu attends ? Que je te porte sur mon dos ? Son humour piquant m’a toujours paru être d’une subtilité sans faille. — Même si j’avais accepté, tu m’aurais envoyé balader. Elle me sourit avec un regard enjoué. — Je vois que tu commences à me connaître par cœur. Si tu as la chance d’être à mes côtés une trentaine d’années de plus, alors je n’aurai plus aucun secret pour toi, badine-t- elle, des restes de relents de café dans son haleine. 12 — Ce n’est pas garanti. Tu as su garder une part de mystère qui me fascine de jour en jour. — C’est peut-être aussi grâce à ça que l’on s’aime autant. — Tu es ce qui m’est arrivé de meilleur dans la vie. Tu es comme un cadeau tombé du ciel. — Arrête ton baratin, tu veux bien ? Si ça n’avait pas été moi, ç’aurait été une autre. — Rien de ce que je dis n’est factice. Il n’y avait rien d’élogieux dans mes propos. — Tu sais bien que j’ai du mal à exprimer mes émotions, alors de là à recevoir des flatteries de ta part. Puis si cela peut te rassurer, tes compliments me vont droit au cœur, sincèrement, lâche-t-elle, les lèvres uploads/Geographie/ 4pas-dans-les-nuages-1-77-0 1 .pdf

  • 35
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager