Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne MARIANNE Je croyais qu'il en était d
Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne MARIANNE Je croyais qu'il en était du vin comme des femmes. Une femme n'est-elle pas aussi un vase précieux, scellé comme ce flacon de cristal ? Ne renferme-t-elle pas une ivr esse grossière ou divine, selon sa force et sa valeur ? Et n'y a-t-il pas parmi el les le vin du peuple et les larmes du Christ ? Quel misérable coeur est-ce donc qu e le vôtre, pour que vos lèvres lui fassent la leçon ? Vous ne boiriez pas le vin que boit le peuple, vous aimez les femmes qu'il aime ; l'esprit généreux et poétique de ce flacon doré, ces sucs merveilleux que la lave du Vésuve a cuvés sous son ardent solei l, vous conduiront chancelant et sans force dans les bras d'une fille de joie ; vous rougiriez de boire un vin grossier ; votre gorge se soulèverait. Ah ! Vos lèvre s sont délicates, mais votre coeur s'enivre à bon marché. Bonsoir, cousin; puisse Rosa linde rentrer ce soir chez elle ! OCTAVE Deux mots, de grâce, belle Marianne, et ma réponse sera courte. Combien de temps pen sez-vous qu'il faille faire la cour à la bouteille que vous voyez pour obtenir ses faveurs ? Elle est, comme vous dites, toute pleine d'un esprit céleste et le vin du peuple lui ressemble aussi peu qu'un paysan ressemble à son seigneur. Cependant , regardez comme elle se laisse faire ! - Elle n'a reçu, j'imagine, aucune éducation , elle n'a aucun principe; vous voyez comme elle est bonne fille ! Un mot a suff i pour la faire sortir du couvent ; toute poudreuse encore, elle s'en est échappée p our me donner un quart d'heure d'oubli, et mourir. Sa couronne virginale, empour prée de cire odorante, est aussitôt tombée en poussière, et, je ne puis vous le cacher, elle a failli passer tout entière sur mes lèvres dans la chaleur de son premier bais er. MARIANNE Etes-vous sûr qu'elle en vaut davantage ? Et si vous êtes un de ses vrais amants, n' iriez-vous pas, si la recette en était perdue, en chercher la dernière goutte jusque dans la bouche du volcan ? OCTAVE Elle n'en vaut ni plus ni moins. Elle sait qu'elle est bonne à boire et qu'elle es t faite pour être bue. Dieu n'en a pas caché la source au sommet d'un pic inabordabl e, au fond d'une caverne profonde ; il l'a suspendue en grappes dorées au bord de nos chemins ; elle y fait le métier des courtisanes ; elle y effleure la main du p assant ; elle y étale aux rayons du soleil sa gorge rebondie, et toute une cour d' abeilles et de frelons murmure autour d'elle matin et soir. Le voyageur dévoré de so if peut se coucher sous ses rameaux verts ; jamais elle ne l'a laissé languir, jam ais elle ne lui a refusé les douces larmes dont son coeur est plein. Ah ! Marianne , c'est un don fatal que la beauté ! - La sagesse dont elle se vante est soeur de l'avarice, et il y a plus de miséricorde dans le ciel pour ses faiblesses que pour sa cruauté. Bonsoir, cousine; puisse Coelio vous oublier! (Il entre dans l'auberge, Marianne dans sa maison.) uploads/Geographie/ alfred-de-musset-les-caprices-de-marianne-tirade-sur-le-vin.pdf
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- Publié le Jui 19, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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