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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Augustin Berque Cahiers de géographie du Québec, vol. 42, n° 117, 1998, p. 437-448. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/022767ar DOI: 10.7202/022767ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 15 août 2014 06:35 « Chorésie » Chorésie Augustin Berque Centre de recherches sur le Japon contemporain EHESS/CNRS Paris Vanta chôrei kai ouden menei (tout remue et rien ne demeure) Platon, Cratyle, 402a. Perenti (la marche de Lézard) Bark, Musicfrom the centre ofAustralia. Résumé L'article se fonde sur trois couples conceptuels : topos/chôra (Platon), logique du sujet/ logique du prédicat ou logique du lieu (Nishida), terre /monde (Heidegger). Il existe entre les termes de ces couples un rapport dynamique, ici nommé chorésie, que Ton propose d'appliquer aux chorèmes (Brunet). Mots-clés : lieu, topos, chôra, chorème, chorésie. Abstract Choresis This article bases on three conceptual couples : topos/chora (Plato), logic of the subject/ logic of the predicate or logic of place (Nishida), Earth/World (Heidegger). The dynamics proceeding from thèse couples is named choresis. It is applied to Brunet's notion of choreme. Key Words : place, topos, chora, choreme, choresis. adresse postale : Centre de recherches sur le Japon contemporain École des Hautes Études en Sciences Sociales, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris, France courriel (e-mail) : Augustin.Berque@ehess.fr Cahiers de Géographie du Québec • Volume 42, n° 117, décembre 1998 • Pages 437-448 HENRI BERGSON, LONG JACK ET ROGER BRUNET L'un des paradigmes les plus attractifs que la géographie se soit donnés au cours des vingt dernières années, la chorématique, est né d'un terme inventé par Roger Brunet en 1980 : le chorème, que son auteur définit comme suit dans Les Mots de la géographie : Structure élémentaire de l'espace géographique. Les chorèmes peuvent être représentés par des modèles, avec lesquels ils ne se confondent pas, en dépit d'une facilité d'usage répandue. Les chorèmes correspondent à des lois de l'organisation spatiale : maillages et treillages, dissymétrie, gravitation, fronts et affrontements, interfaces et synapses sont à l'origine de chorèmes. Les chorèmes se composent en structures de structures, dont il existe des formes récurrentes (chorotypes) et, localement, des arrangements uniques. La considération des chorèmes permet de résoudre en géographie la contradiction de fond entre général et particulier, loi et individu, nomothétie et idiographie (Brunet, 1992 : 97). Ce mot est dérivé, très classiquement, d'une souche lexicale dont le sens général est celui de champ ou d'aire (du grec chôra : champ, sol, pays, place, endroit). Le suffixe -ème indique généralement en français qu'il s'agit d'un fait ou d'une chose, a priori objectivable. C'est le cas des chorèmes, dont l'objectivation donne lieu, en particulier, à des représentations graphiques. Le hasard d'un séjour en Australie, l'été boréal 1997, m'a fait considérer cette notion sous un angle inhabituel à ceux qui la pratiquent. Feuilletant à Adélaïde l'ouvrage de Geoffrey Bardon — d o n t on sait qu'il fut le maïeuticien d u « mouvement acrylique » chez les Aborigènes — Papunya Tula. Art of the Western Désert, j'y tombai sur une reproduction (1991 : 63) du Possum Dreaming de Long Jack Phillipus Tjakamarra. L'on y voyait des bandes obliques, signifiant des peintures corporelles, qui dans l'espace de l'image étaient dissociées des signes en U figurant les hommes au corps peint de ces peintures. Cet espace était donc organisé selon une syntaxe qui n'était pas celle d'une représentation iconique. Ce n'était pas ce que nous appelons vue, scène ou paysage, mais plutôt une texture, celle de l'interrelation spatio-temporelle de la parole mythique et de la forme physique dans la singularité d'une certaine performance. Du coup, je repensai à la notion de chorésie, que j'avais utilisée naguère dans Le Sauvage et l'artifice à propos de la constitution historique du milieu japonais. J'en avais à l'époque donné la définition suivante : Dimension du pareil et de la référence; décomposition de la réalité topique et recomposition de ses éléments dans des systèmes de signification permettant de communiquer, c'est-à-dire de représenter partiellement la réalité ailleurs qu'en son lieu de présence; appareillage du topique à Tailleurs, en systèmes de référence donc de communication; extension d'un tel système dans un espace abstrait ou dans une étendue concrète (Berque, 1986 : 165). cette notion ayant pour complément adverse et nécessaire celle de topicité, quant à elle définie comme suit : Dimension du non-pareil et du réfèrent; ensemble des caractères attributifs d'un lieu : singularité, concrétude, incommunicabilité, endogénéité, authenticité, présence (Berque, 1986 : 166). 438 Cahiers de Géographie du Québec • Volume 42, n° 117, décembre 1998 Plus de dix ans s'étant écoulés entre les définitions susdites (élaborées au printemps 1985, à Tokyo) et la rencontre d'Adélaïde, j'avais entretemps découvert, dans les écrits du psychiatre jungien Kimura Bin, notamment dans son essai Aida (L'Entre-lien, 1988) d'intéressants rapprochements entre les notions japonaises de koto et de mono et, respectivement, celles de noèse et de noème. Koto et mono peuvent tous deux signifier « chose » (concrète ou abstraite); mais le premier terme relève plutôt d'une poïétique (de la chose se faisant), et le second d'une poïématique (de la chose faite). Il y a interdépendance nécessaire entre les deux termes, de la même manière que la noèse suppose les noèmes qui la constituent et qu'elle produit, tandis que le noème suppose la noèse dont il procède et qu'il sous-tend. Je pouvais aussi penser à la distinction — et à la nécessaire complémentarité — qu'a introduite Bergson, dans Les Données immédiates de la conscience, entre la temporalité pure de la durée comme forme de la conscience et son contenu spatialisé, relation qui a fait parler à son sujet d'« un réalisme de la conscience et un spiritualisme du réel » (Worms, 1997: 79). PROBLÉMATIQUE Bref, méditer devant le tableau de Long Jack avec ces choses en tête me faisait imaginer la problématique suivante : si l'on considérait les chorèmes comme d'ordre poïématique, la poïèse dont ils procèdent et qu'ils sous-tendent ne serait-elle pas justement la chorésie? Mais alors, quel rapport envisager entre chorèmes et topicité? Sans compter qu'une terminologie telle que « réalisme de la conscience et spiritualisme du réel », convenable peut-être à propos d'un acrylique aborigène, ne dirait sans doute pas grand chose aux adeptes de la chorématique... à moins d'envisager, en suivant Dardel, une géographicité de l'existence et un existentialisme de la géographie? Ou, de manière plus vidalienne, de chorématiser les genres de la vie humaine? L'on aura compris qu'il s'agit, en deçà de la « facilité d'usage répandue » qui tend à les réduire à un procédé graphique, de contribuer à une réflexion sur la nature des chorèmes. Cela d'un certain point de vue; à savoir de considérer les chorèmes comme une expression de l'écoumène, terme féminin que j'entends comme la relation de l'humanité à l'étendue terrestre. L'examen de cette relation ne peut se passer (entre autres approches) d'un questionnement ontologique. C'est ce qui est tenté ici, avec l'ambition d'approcher le foyer dynamique de ladite relation. ESQUISSE D'UNE IGRÉCOLOGIE Selon le Dictionnaire grec-français d'Anatole Bailly, les auteurs anciens ont assez fréquemment employé chôrêma, au sens de place ou d'emplacement; plus rarement chôrêsis, que l'on trouve par exemple, au sens d'action de s'avancer, dans Héliodore d'Emèse, un romancier du IIP siècle de notre ère. Les deux termes, apparentés à chôra, dérivent du verbe chôrein : laisser place, se déplacer, reculer, avancer; contenir, embrasser, comprendre. L'impersonnel chôrei veut dire : il y a de la place. La chorésie m'apparaît aujourd'hui comme le mouvement de constitution de l'y d'un il y a quelconque; plus philosophiquement dit, comme le déploiement Chorésie 439 d'un lieu d'être au monde. Si l'on en croit Les Mots de la géographie (1992 : 467), peu d'entités seraient géographiques au point où l'est cet y. L'on n'imagine guère, en effet, qu'une chose puisse exister dans le monde sans que, quelque part, on l'y trouve. Mais, de cet y lui-même, quelle est la nature? DERRIDA ET NISHIDA, OU LES ABÎMES DU PRÉDICAT Poser une telle question évoquera celles que, dans Khôra, Jacques Derrida formule à propos de la chôra platonicienne (notion que l'on voit intervenir dans la cosmologie du Timée). Quant aux acceptions ordinaires de ce terme en grec ancien, Derrida relève celles de « place occupée par quelqu'un, pays, lieu habité, siège marqué, rang, poste, position assignée, territoire ou région » (1993 : 58). Il s'agit donc d'un « lieu investi, par opposition à l'espace abstrait » (ibid.); mais, à lire Khôra, définir ce que ce lieu signifie dans le Timée s'avère impossible. Derrida renonce uploads/Geographie/ choresie-1998 1 .pdf
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- Publié le Apv 02, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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