Revue Philosophique de Louvain Les étapes de la rédaction du «Discours de la mé
Revue Philosophique de Louvain Les étapes de la rédaction du «Discours de la méthode» Elie Denissoff Citer ce document / Cite this document : Denissoff Elie. Les étapes de la rédaction du «Discours de la méthode». In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 54, n°42, 1956. pp. 254-282; doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1956.4875 https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1956_num_54_42_4875 Fichier pdf généré le 24/04/2018 Les étapes de la rédaction du « Discours de la méthode » Dans les premières lignes de son introduction au Discours de la méthode (Université de Manchester, 1941) (1), M. Gilbert Gadofïre fait observer que l'œuvre de Descartes, « malgré une célébrité que trois siècles n'ont pas altérée, est plus respectée que véritablement comprise », et que cette incompréhension proviendrait de l'unité artificiellement cohérente que les commentateurs du Discours lui donnent généralement. « Si nous exceptons, écrit-il, les très rares auteurs, tels que M. Gilson, M. Roth et M. Gouhier, chez qui la ferveur philosophique a laissé intacts le jugement critique et le sens de l'histoire, la plupart des études sur Descartes représentent des explications dans l'absolu d'un système ». Or, affirme M. Gadoffre, le Discours pour être bien compris devrait être examiné dans la perspective de sa composition et en tenant compte des « hésitations qui, en 1637, n'étaient pas toutes résolues » (2). Pour notre part, nous ne doutons pas qu'un tel examen soit capable d'expliquer nombre de défauts et de contradictions du texte, mais nous hésitons à admettre qu'il puisse seul en éclairer les principales obscurités. M. Gadofïre pratique occasionnellement une autre méthode qui nous paraît des plus efficaces et qui consiste dans le retour aux sources de la pensée de Descartes, procédé habituel aux (') Pour nos références nous nous servons de la 3° éd. de ce livre: DESCARTES, Discours de la méthode, avec introduction et remarques de Gilbert Gadoffre, Manchester University Press, 1949. (L'introduction occupe une quarantaine de pages, les remarques une vingtaine). L'ouvrage sera cité sous la dénomination: GADOFFRE. — Du même auteur: Sur la chronologie du Discours, Revue d'Histoire de la Philosophie et d'Histoire Générale de la Civilisation, janv.-mars 1943, pp. 45-70 ; et Réflexions sur la genèse du Discours, Revue de Synthèse, janv.^uin 1948, pp. 11-30. <*> Gadoffre, p. v, sv. La rédaction du « Discours de la méthode » 255 exégètes modernes. C'est ainsi que Léon Brunschvicg relève l'analogie qui existe entre certains passages du Discours et les Essais de Montaigne <3)f que Léon Roth, dans son étude Descartes' Discourse on Method (Oxford, 1937), se livre à la critique interne du Discours à l'aide des œuvres de Bacon, ou que M. Gilson réunit dans son monumental Commentaire <4>, une infinité de précieux matériaux. Nous attachons à ce retour aux sources la plus grande importance, et nous croyons que grâce à ce procédé les possibilités d'exégèse sont encore vastes. Ces réserves faites, nous sommes le premier à rendre hommage à M. Gadoffre et à admettre que son examen de la chronologie jette quelque lumière et permet des rectifications de perspective. Il est certain que la question de la genèse du Discours n'a pas retenu suffisamment jusqu'ici l'attention des historiens. Charles Adam, dans son étude sur la vie et les oeuvres de Descartes, situe la rédaction du Discours entre la fin de 1635 et celle de 1636 (A. T., XII, 182, sv.) (5), et M. Gustave Cohen, tantôt au début, tantôt à la fin de 1636 <6) ; M. Gilson admet qu'elle a été achevée en mars 1636 (7). Ces chronologies suppriment, évidemment, tout le problème de la composition, puisqu'elle s'étend, comme on le verra, de mars 1636 à mars 1637. Il est donc vrai que M. Gadoffre inaugure ce genre de recherches. Cependant, peut-on dire qu'il réussisse à projeter sur le sujet toute la clarté désirable ? Nous ne le pensons pas. Ses conclusions, qui ne manquent ni de perspicacité, ni de hardiesse, ne sont pas poussées assez loin, et les motifs des remaniements successifs ne sont pas suffisamment mis en relief ; ajoutons que certaines de ses conclusions nous paraissent 1 j (ï) Léon BRUNSCHVICG, Descartes et Pascal, lecteurs de Montaigne, Pari», 1944. (4) Etienne GlLSON, Discours de la méthode, texte et commentaire, Paris, 1947. L'ouvrage sera cité sous la dénomination: GlLSON. <*> Nos références précédées des lettres A. T. renvoient h l'édition des Œuvres de Descartes par Charles Adam et Paul Tannery, 13 vol., Paris, 1897- 1913; et celles précédées des lettres A. M., a .la Correspondance de Descartes publiée par Ch. Adam et G. Milhaud, Paris, 1936-1951, 5 vol. parue, dont nous nous servons pour les lettres découvertes après la parution de l'édition Adam et Tannery, et pour la traduction des lettres latines. Nous utilisons la traduction des Regulae de J. Sirven, Paris, 1928; et celle de Ch. Adam, pour L'entretien de Descartes avec Burman, Paris, 1937. Nous les désignons respectivement par Sirven et Adam. '*> Gustave COHEN, Ecrivains français en Hollande dans la première moitié du XK//« siècle, Paris, 1920, pp. 431 et 499. <f> Gilson, 439: 60, 4. 256 Elie Denissoff douteuses.- De plus, la question du plan n'est pas abordée ; or, sans l'avoir résolue, ou du moins sans avoir indiqué les moyens de le faire, il n'est pas possible de réaliser un progrès sérieux dans l'intelligence du Discours. Le travail de M. Gadoffre demande donc à être repris, et les problèmes qu'il pose, revus, discutés, complétés. Et comme il semble que personne n'ait encore relevé le défi qu'il lance aux historiens sur le terrain presque inexploré de la formation du Discours, nous voudrions essayer de le faire. Nous étudierons les transformations que subit le texte et y ajouterons une recherche sur le titre, question connexe. En outre, pour les besoins de notre analyse, nous restituerons le Discours à l'ouvrage publié en 1637, dont il fait partie et que Descartes, écrivain à ses débuts, nomme, non sans un certain accent de suffisance, « le livre de mes Essais ». Montaigne et Bacon n'ont- ils pas intitulé leurs écrits de la sorte ? Dans la perspective des « Essais », associé à la Dioptrique, aux Météores et à la Géométrie, le Discours garde sa véritable signification, alors que, traité isolément, il perd, en partie, son intelligibilité. 1628 A 1635. L'histoire des « Essais » débute en 1628, lorsque Descartes entreprend ses recherches sur les météores et parle d'en faire un « petit traité » {A. T., I, 23, 9), qui sera le germe des futurs Météores. Substituant des raisons mathématiques aux formes substantielles (8>, il y étudie les cristaux de la neige et du sel et la décomposition de la lumière dans l'arc-en-ciel, dans un esprit qu'à l'époque on nomme « mécanique » et qui préside déjà largement aux travaux de Galilée (9). Il s'inspire aussi probablement de Bacon (10) pour supprimer dans son traité l'étude des comètes, des (8) Au XVIIe siècle la distinction entre les points de vue philosophique et scientifique n'étant pas établie, la physique mathématique et la physique spéculative, considérées sur le même plan, semblaient incompatibles . <*' «Toute ma physique n'est autre chose que géométrie» (A. T., Il, 268, 13-14), déclare Descartes. Or, Galilée déjà, dans ses études sur les phénomènes de la nature, dit ne considérer que « triangles, cercles et autres figures géométriques » (Saggiatore, Cf. Opera, Florence, 1890-1909, t. VI, p. 232). — Descartes admet que Galilée s'est détaché de la physique péripatéticienne pour c examiner les matières physiques par des raisons mathématiques» (A. T., II, 380, 4-7), ce qui revient à reconnaître que Toricelli, le P. Mersenne et Gassendi ont raison d'accorder à Galilée la place de premier réformateur des sciences. <10> Bacon, avant Descartes, met en doute le classement des comètes parmi les phénomènes atmosphériques et rejette les causes finales. Cf. Francis BACON, Opera, édition de Spelding, Elis et Heath, Boston, 1860-1872 (ci-après désignée La rédaction du « Discours de la méthode » 257 tremblements de terre, et les considérations finalistes des scolas- tiques. Il se propose d'offrir au public un bon « échantillon » (A. T., I, 23, 25) de la physique nouvelle. Conscient de l'insolite nouveauté de son entreprise, il déclare vouloir publier son opuscule anonymement et observer incognito les réactions du monde savant (n), tant il s'attend à ce qu'elles soient vives. Le contraste de ses Météores avec ceux d'Aristote et l'enseignement de l'Ecole est, en effet, considérable ; il s'en prévaut en toutes circonstances {A. T., III, 504, 28-30 ; IX-b, 15, 23-27), et c'est pour l'indiquer qu'il choisit pour son traité le titre de celui d'Aristote, suivant en cela l'exemple de Bacon qui intitulait son oeuvre principale Nouvel Organon pour marquer qu'il entendait qu'elle remplaçât YOrganon d'Aristote. Descartes se flatte de lancer ainsi un défi aux philosophes de l'Ecole {A. M,, II, 167, n. 3) ; défi amical sans doute, car il espère amener les Jésuites à adopter ses Météores {A. T., I, 455, 18-26) auxquels il donne le plan approximatif d'un des manuels qu'il a utilisés au collège de La Flèche <12>. Entretemps, Descartes progresse dans ses travaux et entreprend la rédaction d'un uploads/Geographie/ el-aroma-del-tiempo-byung-chul-han.pdf
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- Publié le Dec 02, 2022
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