Hommes & migrations Revue française de référence sur les dynamiques migratoires

Hommes & migrations Revue française de référence sur les dynamiques migratoires 1286-1287 | 2010 Les migrations subsahariennes Territorialités en mouvement Migration, décentralisation, développement dans la région de Kayes (Mali) Stéphanie Lima Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/1762 DOI : 10.4000/hommesmigrations.1762 ISSN : 2262-3353 Éditeur Musée national de l'histoire de l'immigration Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2010 Pagination : 258-267 ISSN : 1142-852X Référence électronique Stéphanie Lima, « Territorialités en mouvement », Hommes & migrations [En ligne], 1286-1287 | 2010, mis en ligne le 29 mai 2013, consulté le 03 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ hommesmigrations/1762 ; DOI : 10.4000/hommesmigrations.1762 Tous droits réservés 258 Dossier I Les migrations subsahariennes I Territorialités en mouvement Migration, décentralisation, développement dans la région de Kayes (Mali) Par Stéphanie Lima, maître de conférences en géographie, CUFR JF Champollion - Albi, UMR Dynamiques rurales - université de Toulouse Au Mali, le lien social se joue des distances et excède le territoire national. Regroupés en associations à l’étranger, les migrants maliens restent fortement connectés à leur village d’origine. L’État malien s’est appuyé sur leurs réseaux dans le cadre de la politique de décentralisation menée dans les années quatre-vingt-dix. Le nouveau découpage communal risquant de susciter des rivalités entre les territoires, les migrants apparaissent comme des médiateurs incontournables entre les autorités publiques et les populations locales. Entre Médine et Kayes, Mali, 2008 © GRDR I hommes & migrations n° 1286-1287 259 Depuis 1991, le Mali, grand pays d’Afrique de l’Ouest, s’est ouvert au monde, après plusieurs décennies de dictature militaire, et a pris le chemin de la démocratie. Dès 1992, il entreprend un vaste chantier, celui de la décentralisation, sous les recom- mandations des instances internationales et sous les exhortations de la popula tion dont la parole est désormais libérée. La mise en œuvre de la décentralisation s’ac- compagne d’une réorganisation territoriale au niveau local, avec la création de com- munes, rurales et urbaines, en remplacement des arrondissements, découpage hérité de l’indépendance du pays au début des années soixante. L’entreprise de la commu- nalisation est peu banale, car plutôt que de reposer sur une logique descendante et unilatérale, elle associe la “base”, puisque la population est partie prenante du projet. Ainsi, loin de pouvoir, ni de vouloir imposer un maillage, l’État a proposé des critères sur lesquels l’ensemble des Maliennes et Maliens étaient appelés à se prononcer en vue de l’émergence des territoires communaux. Les communes rurales, issues du regroupement de plusieurs villages dont un est le chef-lieu, se présentent comme l’aboutissement d’une rencontre inattendue et improbable. En effet, d’un côté, l’État compose une palette de critères dont la synthèse relève de l’utopie de “l’optimum territorial” et, de l’autre, les populations projettent le dessin de figures spatiales ancrées dans le temps long, celui des anciens “pays” précoloniaux et des réseaux sociaux aux ancrages discontinus dans l’espace. Au terme de deux années de concertations inter - villageoises, la configuration des territoires communaux exprime cette tension entre territorialité fonctionnelle et territorialité sociale, à laquelle s’ajoute la dimension réticulaire de l’espace social, complètement intégrée dans la construction communale. La fabrique des territoires communaux s’est heurtée à des espaces mobiles, en témoigne l’importance des réseaux sociaux qui se déploient à toutes les échelles, depuis les liens entre localités villageoises qui se reconnaissent une origine commune, jusqu’aux réseaux migratoires qui unissent les migrants à leur village d’origine, quel que soit leur lieu de résidence. Ainsi, les communes, enveloppes institutionnelles négociées au plus près des espaces sociaux, sont des formations hybrides produites entre distance sociale et distance spatiale. Le couple espace-distance se révèle comme le moteur de la territorialisation en alliant les impératifs des interactions de proximité spatiale aux nécessités des relations réticulaires entre des lieux discontinus, insérés quant à eux dans un système de dépendance sociale. Ainsi la place des réseaux dans la création des territoires communaux n’apparaît pas comme un fait exceptionnel mais plutôt comme une condition essentielle de leur réalisation. Les associations de migrants maliens, originaires de la région de Kayes et résidant en France, sont au cœur de ce mouvement. Depuis plusieurs décennies, elles entretien - nent des relations exclusives avec leurs villages d’origine, ces liens conduisant à des innovations spatiales en termes de recompositions territoriales. Aujourd’hui, les 260 Dossier I Les migrations subsahariennes I communes concernées par la dynamique migratoire dans le nord de la région de Kayes portent l’empreinte de ces réseaux, tant dans leur genèse que dans leur fonctionnement présent. En effet, les associations n’ont eu de cesse d’être présentes dans le processus de communalisation, d’une part, et de participer à la vie communale, d’autre part. Elles portent en elles cette utopie, celle des réseaux en partage dans l’espace, entre lien et distance, et ce au-delà du découpage communal, porteur de nouvelles discontinuités à l’échelle locale. Réseaux et constructions territoriales : le point de vue des migrants Dès 1994, la Mission de décentralisation (MDD)(1), par l’intermédiaire du responsable de la Cellule de “Réorganisation territoriale”, s’est intéressée à l’implication des associations de ressortissants de la région de Kayes en France dans l’application de la décentralisation et dans la mise en œuvre du découpage communal. Entre 1994 et 1998, quatre missions se sont succédé. Elles ont permis à la MDD d’informer régulièrement les membres de la communauté malienne en France sur l’état d’avancement de la communalisation et d’échanger sur les rôles et les prérogatives des associations dans le nouveau contexte suscité par cette politique. La première rencontre entre les associations et la Mission de décentralisation a eu lieu en novembre 1994. Il s’agissait de commencer à sensibiliser les associations, considérées comme des interlocutrices incontournables pour la mise en œuvre de la décentralisation, et notamment de son volet territorial. Ces premiers échanges ont suscité de nombreuses questions de la part des associations : sur l’avenir de la migration ; sur le poids de l’administration, jugée trop présente concernant les initiatives des associations ; sur la gestion de l’espace par les populations ; etc. À ce stade des débats, les interrogations portaient sur les changements provoqués par la décentralisation vis-à-vis de l’ancien système administratif, et sur les avantages de la réforme. Les questions sur l’articulation des compétences et des pouvoirs entre associations et communes interviendront plus tard quand, une fois l’enjeu territorial négocié, se présentera l’enjeu électoral avec la composition des listes pour le scrutin municipal. Lors de cette réunion, l’accent a été mis sur les modalités de création des territoires communaux. La position des migrants à ce point des opérations concernant l’orientation du découpage était de suivre l’avis des villageois sur place, dans la mesure où leurs choix ne portaient pas préjudice à la structure associative. Les représentations spatiales des migrants sollicitées pour imaginer les contours des futurs territoires I hommes & migrations n° 1286-1287 261 communaux allaient dans le même sens que celles des villageois, avec une importance accordée aux réalités foncières, à la primauté historique des villages mères et aux statuts sociaux. Cependant, le découpage territorial a été perçu par d’autres comme le moyen pour les petits villages de s’affranchir de la tutelle de villages anciens ou de leur village mère, et ce d’autant plus s’ils répondaient de leur côté à des critères fonctionnels (infrastructures). Cette dichotomie naissante dans la lecture des critères du découpage s’est développée par la suite, avec pour conséquences des ruptures entre terroirs villageois voisins. Si les enjeux du découpage n’ont pas été entièrement saisis lors de cette première concertation, c’est au fur et à mesure des rencontres en France, mais aussi des contacts réguliers entre les migrants et leur village, que le positionnement des associations va se faire, avec des interactions différentes. La réactivation des clivages entre territoires En janvier 1996, la MDD effectue une deuxième mission auprès des associations pour les informer de l’état d’avancement du découpage communal dans la région de Kayes. Il s’agit aussi de recueillir leurs réactions sur ces propositions et d’échanger sur des points d’ordre général à propos de la décentralisation. C’est à ce moment-là que les migrants commencent à réagir plus ouvertement et à s’exprimer sur le dessin des futures communes. La carte du territoire élaborée par les acteurs, Région de Kayes, 2007 © GRDR 262 Dossier I Les migrations subsahariennes I En deux années, la décentralisation s’est concrétisée, et les premières images du décou- page font en quelque sorte l’effet d’un “électrochoc” dans la communauté des migrants. Jusqu’alors, ceux-ci avaient adopté une position attentiste, ne sachant pas si l’État parviendrait à aller jusqu’au bout de sa démarche. Le réveil provoqué par les pre- mières tendances de la réorganisation terri- toriale n’a pas été des plus sereins pour tous. D’après le responsable de la Cellule de “Réorganisation territoriale” (entretien, Bamako, 2000), migrants et villageois étaient aussi partagés sur la nature des territoires communaux. Ainsi, malgré la proximité de certaines localités, les différences de statut sont source de mésentente et parfois de rupture, notamment au moment du choix du chef-lieu de la commune. Selon lui, “les migrants ne peuvent pas brader la richesse foncière de leur village et ils n’acceptent pas que des localités qui ont moins uploads/Geographie/ hommesmigrations-1762.pdf

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