OUTEIRINHO, Maria de Fátima – L’île et l’archipel chez Erik Orsenna. Carnets :
OUTEIRINHO, Maria de Fátima – L’île et l’archipel chez Erik Orsenna. Carnets : revue électronique d’études françaises. IIe série, nº 3, 2015, p. 112-123 112 L’ILE ET L’ARCHIPEL CHEZ ERIK ORSENNA* MARIA DE FÁTIMA OUTEIRINHO Université de Porto Instituto de Literatura Comparada Margarida Losa outeirinho@letras.up.pt Résumé : Deux étés (1997) ou L’entreprise des Indes (2010) d’Erik Orsenna permettent, à titre divers, l’exploration du rôle de l’île, inscrit, et dans une mythographie personnelle et dans une mythographie collective, voire historique. De fait, l’approche de ces deux ouvrages peut être mené de façon indépendante, en considérant les valeurs symboliques de l’île dans chacun des univers fictionnels, aux raccourcis pseudo-autobiographiques ou pseudo-biographiques selon le cas, mais une approche plutôt relationnelle dans le cadre global de l’ouvrage d’Orsenna s’avère pertinente, ayant trait à une conception de création littéraire en archipel où chaque ouvrage se présente en tant qu’île située dans cette mer principale, pour reprendre la source étymologique du terme. Il s’agira donc dans notre article de réfléchir, d’une part, sur le fonctionnement de l’île dans les univers diégétiques des deux œuvres citées ci-dessus et, d’autre part, de considérer les apports heuristiques du concept archipel pour ce qui est de la constitution de réseaux de communication entre les îles. Mots-clés : Orsenna, Deux étés, L’entreprise des Indes, île, archipel Abstract : The works of Erik Orsenna, Deux étés (1997) and The Company of the Indies (2012) allow, in various ways, exploring the role of the island, inscribed on a personal and collective mythography or even on historical mythography. In fact, the approach of these two works can be carried out independently, considering the symbolic values of the island in each fictional universe, as applicable with pseudo-autobiographical or pseudo-biographical shortcuts, but rather a relational approach in the overall context of the work of Orsenna is relevant, connected with a conception of literary creation in archipelago where each book is presented as an island located in the main sea, to regain the etymological source of the term. Thus, our main goal in this paper is to reflect, on the one hand, on the functioning of the island in the diegetic universe of the two works cited above and, secondly, to consider the heuristic contributions of the archipelago concept regarding the formation of networks of communication between the islands. Keywords : Orsenna, Deux étés, The Indies enterprise, island, archipelago OUTEIRINHO, Maria de Fátima – L’île et l’archipel chez Erik Orsenna. Carnets : revue électronique d’études françaises. IIe série, nº 3, 2015, p. 112-123 113 Une île est par définition fragile, nomade. Tout le monde a peur qu'elle se dissolve à un moment donné ou parte à la dérive. Alors on navigue, d'un morceau de terre à un autre, d'un livre à l'autre, d'une langue à une autre. Je suis de plus en plus frappé par la similitude entre le fait d'écrire « il était une fois » et celui de hisser la voile. Erik Orsenna Dans un entretien à la revue Lire, lors de la parution de son ouvrage Deux étés, l’affirmation-réflexion d’Erik Orsenna citée plus haut présente, en synthèse, plusieurs lignes de force qui sous-tendent l’œuvre d’un auteur dont l’écriture est habitée par la mer et le voyage. Ce n’est pas un hasard si le site d’Erik Orsenna s’intitule « L’archipel d’Erik Orsenna » et se trouve représenté de forme cartographique en archipel, dans lequel chaque île est un livre ; un archipel d’ouvrages souhaitant aux visiteurs, « Bienvenue dans mon archipel et bonne navigation d'île en île, c'est-à-dire de livre en livre... »1 En effet, par le biais d’une imagerie autour de l’île et/ou par une diégèse en espace îlien, nombreux sont les ouvrages d’Orsenna où l’île et l’archipel jouent un rôle majeur : La grammaire est une chanson douce, Les chevaliers du subjonctif, La révolte des accents ou Et si on dansait ? ne sont que quelques exemples de ces occurrences insulaires. Dans notre approche de l’écriture d’Orsenna, nous ne retiendrons que Deux étés et L’entreprise des Indes. Publiés respectivement en 1997 et 2010, ces deux textes illustrent à l’envi une imagerie ancrée sur la mer, espace où l’île et l’archipel se situent et par rapport auquel ils se définissent. Ces ouvrages permettent, à maints égards, l’exploration du rôle de l’île, inscrit dans une mythographie personnelle et dans une mythographie collective, voire historique. Certes, l’approche des deux ouvrages peut être menée de façon indépendante, en considérant les valeurs symboliques de l’île dans chacun des univers fictionnels, aux raccourcis pseudo-autobiographiques ou pseudo- biographiques selon les cas, mais une approche plutôt relationnelle dans le cadre global de l’ouvrage d’Orsenna s’avère pertinente, et a trait à une conception de création littéraire en archipel où chaque ouvrage se présente en tant qu’île située dans cette mer principale, pour reprendre la source étymologique du terme. Les images de l’île et l’archipel qui traversent l’univers d’Erik Orsenna permettent d’explorer des analogies et similitudes à valeur heuristique, qui construisent tout un discours sur les rapports entre les êtres humains et sur la création 1 Cf « L’archipel Orsenna », http://www.erik-orsenna.com/index.php. OUTEIRINHO, Maria de Fátima – L’île et l’archipel chez Erik Orsenna. Carnets : revue électronique d’études françaises. IIe série, nº 3, 2015, p. 112-123 114 littéraire et enjeux langagiers. En effet, ces images s’inscrivent dans une imagerie aquatique, maritime et viatique plus vaste, qui permet d’encadrer l’être humain dans son parcours existentiel, celui d’un navigateur malgré lui parce que « Nous sommes faits d’eau. Et, comme elle, nous suivons notre plus grande pente. » (Orsenna, 2011: 210). Il s’agira donc ici de réfléchir sur les apports heuristiques d’une imagerie insulaire, en considérant dans un premier volet la possibilité de dire le monde et l’homme au monde par le biais de ce réseau d’images, et, dans un second volet, en tenant compte de l’exploration de cette même imagerie ou d’une inscription spatiale insulaire, de penser les rapports à la création littéraire, aux langues et à la traduction. Tout d’abord, signalons dans le paratexte l’inscription générique des deux ouvrages : ils se présentent comme romans,2 signant ainsi un protocole de lecture avec le récepteur3. Il s’agit pourtant de cheminements particuliers dans le parcours romanesque. En effet, si Deux étés et L’Entreprise des Indes ont comme point de départ une dimension événementielle, le premier est construit à partir d’un épisode de l’histoire individuelle, voire autobiographique de l’auteur4 tandis que le deuxième se dessine à partir d’une période de l’histoire collective européenne et mondiale – la période des Découvertes –, concernant tout particulièrement la biographie de Christophe Colomb. Dans les deux cas, il est question de récit, de « retour au récit » (Viart & Vercier, 2008: 376) et d’amour du récit5, filon redécouvert par un certain roman des dernières décennies du XXe siècle comme le soulignent Dominique Viart et Bruno Vercier (idem: 363). Deux étés nous raconte la venue d’un traducteur sur une île bretonne lequel, face à la demande d’un travail herculéen de traduction d’Ada or Ardor de Vladimir Nabokov, se voit gagner la solidarité des îliens qui donneront leur contribution langagière pour l’achèvement de la tâche ; L’Entreprise des Indes en misant sur le personnage et l’histoire, et tout en n’étant pas à proprement parler un roman historique, présente le récit de Bartolomé Colomb, frère de Christophe, rapportant la genèse de l’idée de l’entreprise – à savoir la possibilité d’atteindre les Indes par un parcours maritime occidental –, idée chère à Christophe et postérieurement mise en pratique. Ce récit de L’Entreprise des Indes se nourrit de, et par l’ensemble de mémoires et réflexions de celui qui est resté dans l’ombre, le tout permettant 2 Ce protocole est encore renforcé par un passage du texte en quatrième de couverture: « De cet épisode étonnant et réel, Erik Orsenna, vingt et quelques années plus tard, a tiré un récit tout de poésie et d’humour, celui de l’apprentissage de l’enchantement. » (Orsenna, 2009a) 3 Comme le signalait Roger Chartier dans Pratiques de la Lecture, du livre au lire il faudra considérer la mise en texte et la mise en livre (Chartier, 1985: 79). 4 Tel que l’auteur empirique, le narrateur s’appelle Erik (Orsenna, 2009a: 90-91). 5 Ou en plus, plaisir du récit redécouvert dans les années 80 (Rabaté, 2004: 47). OUTEIRINHO, Maria de Fátima – L’île et l’archipel chez Erik Orsenna. Carnets : revue électronique d’études françaises. IIe série, nº 3, 2015, p. 112-123 115 d’identifier un temps historique d’expansion maritime portugaise et espagnole. Comme c’est le cas d’autres ouvrages chez Orsenna, Deux étés et L’Entreprise des Indes ne se limitent pas à raconter des histoires, car le récit de ces histoires est occasion de réflexion sur l’existence, les relations humaines, le rapport de l’être humain à la langue. L’être humain, l’île et l’archipel Ce n’est pas par hasard que Deux étés s’ouvre sur une étape liminaire où l’on peut bien lire : Heureux les enfants élevés dans l’amour d’une île. Ils y apprennent au plus vite certaines pratiques utiles pour la suite de l’existence : l’imagination, la solitude, la liberté, voire une certaine insolence uploads/Geographie/ l-x27-ile-et-l-x27-archipel-chez-erik-orsenna.pdf
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- Publié le Jui 08, 2022
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