BAYOU. S : La géographie linguistique au service de l’aménagement … Cnplet/MEN

BAYOU. S : La géographie linguistique au service de l’aménagement … Cnplet/MEN www.cnplet.dz Timsal n tamazight N°09 Décembre 2018 173 La géographie linguistique au service de l’aménagement de la langue amazighe Par/ Saleh BAYOU Maitre Assistant classe B Université de Batna 1 1- Introduction La langue amazighe en Algérie connaît depuis les années 90 du siècle dernier des avancées significatives : ouverture de départements de langue et culture amazighes dans quelques universités, son introduction dans le système éducatif, création d’institutions étatiques à l’exemple du HCA, sans oublier sa promotion au statut de langue nationale en 2001 puis langue officielle en 2016. Cependant, cette langue n’a pas encore une norme bien définie, par conséquent elle n’arrive pas à prendre la place qui lui revient dans les institutions, l’enseignement, les médias etc. Cet état de fait ne cesse de susciter des débats et des réflexions relatives à son aménagement dans le but d’aboutir à une norme standardisée, étant donné que celle-ci joue un rôle primordial dans l’usage (aspect pratique) et les attitudes des usagers (aspect symbolique). En revanche, l’absence de cette norme est souvent perçue comme une " tare" qu’on invoque pour dévaloriser et stigmatiser une langue. C’est pour cette raison que la conception d’une norme demeure la pierre angulaire de tout projet de valorisation linguistique. Aujourd’hui, plusieurs facteurs compliquent l’aménagement de la langue amazighe et rendent la conception d’une norme très difficile. Le facteur le plus désavantageux provient de la variation de la langue. Ainsi, les spécialistes impliqués dans l’aménagement de la langue amazighe (lexicographes, didacticiens, etc.) rencontrent de grandes difficultés dans leurs travaux, notamment pour la confection d’ouvrages de référence : manuels scolaires, dictionnaires, etc. Pour illustrer cette difficulté, on cite le problème des entrées dans les BAYOU. S : La géographie linguistique au service de l’aménagement … Cnplet/MEN www.cnplet.dz Timsal n tamazight N°09 Décembre 2018 174 lexiques (monolingue ou bilingue). La question qui se pose à ce niveau est la suivante : quelle(s) variante(s) donner comme entrée ou comme équivalence à une entrée dans un lexique ? Une petite recherche sur les lexiques disponibles sur le marché suffit à confirmer ce problème. Souvent, les entrées ou leurs équivalences sont différentes d’un lexique à un autre. À titre d’exemple, pour le nom « tête » on donne souvent deux dénominations différentes : aqerruy ou ixef. Dans la plupart de ces lexiques on ne trouve pas la méthodologie justifiant le choix de telle ou telle variante, ce qui soulève d’autres questions concernant les critères de choix des variantes. Parmi toutes les variantes attestées laquelle doit-on choisir comme entrée? Doit-on les considérer toutes comme des entrées différentes ? Ou sont-elles des synonymes ? Pour faire le choix entre les variantes d’un même lexème on dispose de plusieurs critères. Parmi eux, on cite la régularité morphologique de la variante, son extension géographique, son étymologie (son origine), sa fréquence dans l’usage, etc. Le choix d’un critère peut avoir des impacts positifs et des impacts négatifs sur l’intercompréhension et la représentation de cette norme chez les usagers. Il faut donc veiller à ce que la norme ne doit pas être choisie d’une manière arbitraire, ce qui peut provoquer un refus de la part des usagers. Cela exige en premier lieu une connaissance approfondie des variations existantes. Celles-ci, comme le souligne Mahmoudian M. (2000 : 93), « […] doivent être non seulement répertoriées mais aussi et surtout étudiées et classées selon leur extension (restriction) dans la communauté et suivant leur facilité (ou difficulté) d’accès ». Dans cet article nous traitons de cette question complexe relevant de la gestion de la variation géolinguistique dans l’aménagement de la langue amazighe (le cas du kabyle), plus exactement dans la standardisation du lexique, autrement dit dans le choix d’une norme lexicale. Nous mettons l’accent sur deux critères très importants dans la standardisation du lexique : la pan-berbérité et l’extension géographique des variantes. Le premier critère consiste à choisir les variantes pan-berbères attestées dans d’autres dialectes. Le deuxième BAYOU. S : La géographie linguistique au service de l’aménagement … Cnplet/MEN www.cnplet.dz Timsal n tamazight N°09 Décembre 2018 175 consiste à retenir les variantes dont l’usage est le plus étendu géographiquement. Il s’agit d’examiner la pertinence de ces deux critères à travers un corpus constitué de la variation (présentée sous forme de cartes géolinguistiques) de huit entrées. Quatre concernent le corps humain : tête, cerveau, nez et oreille. Quatre autres concernent les noms d’animaux : singe, oiseau, mouche et chien. L’étude consiste à vérifier la conformité des variantes lexicales aux deux critères dans le but de déduire leur impact sur la norme. 2- Explication de la démarche Notre démarche consiste à étudier la variation linguistique sur le plan géographique afin de faire ressortir les différences entre les divers parlers et, ensuite, essayer de définir les contours d’une norme lexicale. Pour cela, il est utile d’interroger une autre discipline ayant lien avec la variation linguistique et qui peut servir dans l’aménagement de la langue, il s’agit de la géographie linguistique. Celle-ci est une branche de la dialectologie qui met en évidence les faits de variation appartenant aux divers niveaux linguistiques. Ces faits sont indiqués et portés sur des cartes géographiques. Un recueil de ces cartes constitue un atlas linguistique. La méthode que nous avons suivie pour réaliser ce travail se résume en trois étapes essentielles1 : La première étape est la collecte de la variation à l’aide d’un questionnaire lexical. La collecte a été faite en 160 points d’enquête à travers toute la Kabylie. Afin de garantir un corpus fidèle à la réalité de la variation lexicale du kabyle, nous avons suivi les principes suivants :  Les entrées choisies appartiennent au vocabulaire fondamental ; un vocabulaire qu’on utilise communément : corps humain et noms d’animaux. Dans ce genre de vocabulaire il est facile de formuler des questions directes et fermées. Cela rend plus aisé la collaboration des informateurs puisque les réponses (d’enquêtés) n’exigent pas un grand effort. BAYOU. S : La géographie linguistique au service de l’aménagement … Cnplet/MEN www.cnplet.dz Timsal n tamazight N°09 Décembre 2018 176  Concernant les questionnements, deux méthodes différentes ont été suivies, l’une pour les questions en relation avec le corps humain et l’autre pour les noms d’animaux. Pour les noms du corps humain nous avons demandé aux informateurs de donner le nom de l'organe ou de la partie en le montrant du doigt. Pour ce qui concerne les animaux nous avons utilisé la technique d’images : l’informateur n’a qu’à dénommer l'animal figurant sur l’image.  Les informateurs choisis sont natives de la région concernée, parfaitement kabylophones et dépassant les 25 ans.  Concernant le choix des points d’enquêtes, la commune a été prise comme unité de base, avec une ou deux localités, en prenant en compte dans la mesure du possible le découpage traditionnel (la tribu), car il a une certaine pertinence sur le plan linguistique. Il est à souligner que l’enquête n’a pas inclus les grandes villes car il y a un brassage linguistique, à l’instar des chefs-lieux des wilayas. La deuxième étape est le traitement des données. Toutes les données recueillies par les questionnaires ont été regroupé dans une base de données. Puis nous sommes passés à la cartographie linguistique avec le logiciel Mapinfo2. La cartographie permet de visualiser la variation sur des cartes et de voir la fréquence et l’extension géographique de chaque variante. Avec Mapinfo nous avons fait des analyses thématiques : des cartes représentant la variation des entrées. Ainsi, huit cartes d’analyse thématique ont été réalisées. La troisième étape est l’examen des critères du choix et l’interprétation des résultats. Cette dernière étape consiste en la discussion de la conformité des variantes lexicales aux deux critères, l’extension géographique et la pan-berbérité. Pour le premier critère, on favorise la variante lexicale la plus étendue géographiquement ; celle qui est apparue dans le plus grand nombre de points. Ce fait d’extension géographique est constatable sur les cartes, et le logiciel Mapinfo donne le nombre d’apparition de chaque variante. Concernant le critère de pan-berbérité, on choisit la variante attestée BAYOU. S : La géographie linguistique au service de l’aménagement … Cnplet/MEN www.cnplet.dz Timsal n tamazight N°09 Décembre 2018 177 dans d’autres dialectes. On considère un ensemble de variantes comme pan-berbères si elles dérivent d'une même racine lexicale existant dans d’autres dialectes. Haddadou M. (1985) considère pan- berbère tout mot se retrouvant au moins dans deux dialectes appartenant à des aires différentes. C’est le principe que nous adoptons dans cette étude, mais nous portons à trois le nombre de dialectes pour ne laisser aucun doute sur ce critère. Pour confirmer l’aspect pan-berbère d’une variante nous avons utilisé des dictionnaires et des lexiques des dialectes amazighs reconnus pour leur valeur et leur authenticité, comme le Dictionnaire des racines berbères communes de Haddadou M. (2007) et le Dictionnaire des racines berbères (formes attestées) de K. Naït-Zerrad (1998). Tous les dictionnaires exploités pour cet objectif sont répertoriés dans la liste bibliographique. 3- Présentation des cartes et discussion de la conformité des variantes aux critères Les cartes suivantes présentent la uploads/Geographie/ la-geographie-linguistique-au-service-de-l-amenagement-de-la-langue-amazighe.pdf

  • 13
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager