BRÈVE INTRODUCTION AUX PROBLÈMES ET MÉTHODES DE LA DIALECTOMÉTRIE HANS GOEBL Ab

BRÈVE INTRODUCTION AUX PROBLÈMES ET MÉTHODES DE LA DIALECTOMÉTRIE HANS GOEBL Abstract. This article provides a brief introduction to the problems and methods of dialectometry (fr. “dialectométrie”, ger. “Dialektometrie”), such as it is practiced in Salzburg. Introduced in 1973 by Jean Séguy, we use the term “dialectométrie” to refer to the global analysis of the geolinguistic deep structures of the data from a given linguistic atlas, using mathematical und visual methods borrowed from statistics, numerical classification and modern computer assisted quantitative cartography. Taking the results of a dialectometric analysis (“dialectometrization”) of the French linguistic atlas ALF (“Atlas linguistique de la France”, published by Jules Gilliéron and Edmond Edmont between 1902 and 1910) as an example, our article examines the different steps involved in a complete dialectometrization – according to the Salzburg standards – of the original maps of the ALF, from the establishment of the data matrix and the subsequent quantitative measuring of the linguistic similarities (and distances) between the 641 inquiry points on the ALF grid to the computer-aided visualization of the respective numerical results. We present the following dialectometric analyses in brief: similarity maps, parameter maps, interpoint maps (honeycomb and beam maps), correlation maps and dendrographic schemes (trees). Our article is accompanied by two explicative figures in black and white and 12 coloured choropleth and isarithmic maps which have been produced using the computer program VDM (“Visual DialectoMetry”) created and tested in Salzburg by our research assistant Edgar Haimerl between 1997 and 2000. 1. REMARQUES PRÉLIMINAIRES La dialectométrie (DM) est une méthode quantitative pour l’analyse et l’étude des structures de profondeur contenues (mieux: cachées) dans les données d’un atlas linguistique (AL) classique. Elle est partant un prolongement direct de la géographie linguistique traditionnelle. Le terme de « dialectométrie » a été forgé par le dialectologue toulousain Jean Séguy en 1973 (cf. Séguy 1973, 1). Les méthodes dialectométriques à proprement parler se sont rapidement développées et diversifiées par la suite, d’abord au sein de la philologie romane1 et ensuite aussi bien au-delà2 si tant est que, de nos jours, l’on est en droit de parler de l’existence de plusieurs « écoles » de DM. Mis à part nos propres apports en matière de DM – 1 Voir, entre autres, les contributions de Melis (1984), Verlinde (1988), Álvarez/Dubert García/Sousa Fernández (2006) et de Viaplana (1999). 2 Citons, à ce propos, les travaux des germanistes Hummel (1993) et Schiltz (1996). RRL, LIII, 1–2, p. 87–106, Bucureşti, 2008 Hans Goebl 2 88 et qui sont étroitement liés aux noms des Universités de Ratisbonne/Regensburg (1973–1982) et de Salzbourg (1982 s.) – et ceux de mes disciples3 de Salzbourg et d’Innsbruck, citons à ce propos l’école-DM néerlandaise de Groningen (avec John Nerbonne et Wilbert Heeringa)4 et l’école-DM américaine d’Athens (Georgia) (avec William Kretzschmar)5. Cette diversification internationale des approches heuristiques et aussi des méthodes géostatistiques s’est avérée très féconde. Il est donc tout à fait légitime de parler aussi de l’existence d’une « École-DM de Salzbourg » (EDMS). Dans les lignes qui suivent, il sera uniquement question des conceptions théoriques et des méthodes statistiques et cartographiques utilisées par l’EDMS. 1.1. Quelques prérequis théoriques de l’EDMS Le fondement théorique du travail pratique de l’EDMS consiste dans une vision particulière des données d’un AL. L’EDMS envisage la structuration dialectale des grands domaines linguistiques de notre planète comme le résultat de l’activité ordonnatrice de l’homme moyennant la création de ressemblances et de dissemblances géolinguistiques de toute sorte, lui permettant de s’approprier ainsi le territoire qu’il habite par voie symbolique6. C’est ainsi qu’est né le concept de « l’aménagement basilectal de l’espace par l’HOMO LOQUENS » qui peut être considéré comme le théorème de base de L’EDMS. Le concept de « l’aménagement basilectal de l’espace par l’HOMO LOQUENS » présuppose en outre que l’activité aménageuse de l’homme obéit à certaines régularités – pour ne pas dire « lois » – systémiques majeures7 dont le dégagement constitue une des finalités premières de la DM. 1.2. La position méthodique de l’EDMS Evidemment, la DM constitue, à l’instar de beaucoup d’autres sciences quantitatives métrisées, une discipline hybride, située au point de rencontre entre la géolinguistique, la statistique (avec la taxonomie ou classification numérique) et la cartographie quantitative numérisée. Ceci dit, il faut néanmoins souligner que les 3 Voir à ce sujet les travaux de Roland Bauer de Salzbourg (dialectométrisation des données de l’atlas ladin ALD-I) et de Paul Videsott d’Innsbruck (analyse-DM de documents médiévaux de l’Italie septentrionale et création du mot et de la chose de l’« onomatométrie »). 4 Voir, entre autres, Heeringa 2004, Heeringa/Nerbonne 2001 et Nerbonne/Heeringa 2001. 5 Voir Nerbonne/Kretzschmar 2003 et 2006. 6 L’EDMS admet en outre que l’instrument de l’AL constitue un excellent outil pour la représentation empirique de l’aménagement basilectal de l’espace par l’HOMO LOQUENS. 7 Les lois spatiales découvertes par la DM constituent le pendant des « lois phonétiques » (« Lautgesetze ») découvertes par les néogrammairiens de la fin du XIXe siècle. Alors que les « lois phonétiques » s’inscrivent dans la dimension du temps, les lois spatiales dégagées par la DM s’inscrivent dans celle de l’espace. 3 Brève introduction aux problèmes et méthodes de la dialectométrie 89 finalités épistémologiques de la DM s’alignent avant tout sur celles de la linguistique diatopique classique et que, de ce fait, la statistique et la cartographie quantitative détiennent toujours – au sein de l’EDMS – une fonction carrément auxiliaire. L’EDMS se sert donc des apports de ces deux disciplines quantitatives uniquement dans le but de faire avancer nos connaissances linguistiques sur le fonctionnement systémique (et global) de réseaux diatopiques définis par un nombre N aussi grand que possible de points d’enquête et un nombre p non moins important d’attributs linguistiques, relevés, si possible, sur le terrain au cours d’enquêtes dialectologiques directes. Dans l’optique de l’EDMS, la DM est une discipline linguistique résolument orientée vers l’étude de l’espace géographique dont l’utilité pour la linguistique générale consiste, entre autres, à ne pas être confondue avec (ou contaminée par) la sociolinguistique tout court ou certaines de ses sous-disciplines. 2. DE L’ATLAS LINGUISTIQUE À LA MATRICE DE DONNÉES Pour une représentation globale des méthodes utilisées par l’EDMS voir la figure 1. Le premier maillon de la chaîne-DM se réfère à l’analyse (ou « taxation ») des données brutes de l’AL destiné à être dialectométrisé. Pour ceci nous avons choisi l’ «Atlas linguistique de la France» (ALF) dont la dialectométrisation a été effectuée à Salzbourg entre 1997 et 20008. C’est au cours de ce travail méticuleux qu’a été également mis sur pied le logiciel VDM (« Visual DialectoMetry ») par notre collaborateur de recherche Edgar Haimerl, qui permet d’effectuer confortablement tous les calculs statistiques et les visualisations respectives9. C’est d’ailleurs à l’aide de ce logiciel qu’ont été confectionnées les 12 cartes de cet article. L’établissement de la matrice de données qui est un schéma à double entrée avec les dimensions N (points d’enquête) fois p (attributs linguistiques ou « cartes de travail ») présuppose tout d’abord l’intervention du dialectologue averti10. C’est à lui qu’incombe l’analyse linguistique détaillée du contenu des planches originales de l’ALF suivant les critères habituels de la phonétique, morphologie et lexicologie historiques. Les cartes 1 et 2 en constituent des échantillons représentatifs. 8 Pour une ample information cf. nos contributions de 2000, 2002 et 2003. 9 Le logiciel VDM est à la libre disposition de tous les chercheurs qui en font la demande. L’initiation au maniement pratique de VDM peut être faite au cours d’un stage de 2 à 3 jours à effectuer à Salzbourg. 10 Il y a là une différence foncière face à l’école dialectométrique de Groningen qui, en dernière analyse, écarte pour l’établissement de la matrice de similarité l’expertise humaine (c.-à-d. du linguiste) tout en se servant du calcul automatisé des distances interdialectales à l’aide de la « distance de Levenshtein ». Pour ce faire, les spécialistes de Groningen recourent à une matrice des données brutes de l’AL à dialectométriser entièrement informatisée : cf. à ce sujet Nerbonne/ Kretzschmar 2003 et surtout Heeringa 2004. Hans Goebl 4 90 Fig. 1 – Schéma de l’enchaînement des méthodes dialectométriques présentées dans cet article. La carte 1 renseigne sur la répartition spatiale des succédanés de -T- latin intervocalique (dans l’étymon latin MATÚRU) au sein du réseau de l’ALF. Le profil choroplèthe en montre très clairement l’opposition entre le sud de la France, linguistiquement conservateur (par le biais du maintien du -d- roman intervocalique), et le nord et l’est, linguistiquement plus innovateurs (moyennant l’amuïssement complet du -T- latin intervocalique)11. Evidemment, les données de la carte-ALF 891 (mûr, mûre) permettent aussi des analyses similaires pour les autres nexus de l’étymon latin MATÚRU, en particulier pour les succédanés de l’A prétonique, de l’U long latin accentué en position libre, de l’R posttonique en position intervocalique et de l’U final. De cet 11 Il va de soi que le caractère de la carte 1 est double : a) linguistique: par la saisie de différents résultats linguistiques, b) extralinguistique: par la saisie de zones plus ou moins dynamiques. 5 Brève introduction aux problèmes et uploads/Geographie/ goebl-introduction-dialectometirie.pdf

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