LES GRANDS ENTRETIENS o•ÉMILE C'EST QUOI PENSER PAR. J~AN-LUC SOI-MEME • NANCY

LES GRANDS ENTRETIENS o•ÉMILE C'EST QUOI PENSER PAR. J~AN-LUC SOI-MEME • NANCY • i·aube C'EST QUOI PENS·ER PAR SOI- MÊME ? La collection Les grands entretiens est dirigée par Jean Viard Série Lei gramls entretiens d'Émile animée par Jean Bojko • Dieu ria pas créé fhornme- , il a créé le point d'interrogation! • reprennent en chœur les moines (malicieux) de l'Abb•}'I! du Jouir qui s'a.socient cette fois aux éditions de l'Aube pour oolporter cette idée (rem'Orsonte) selon laquelle: • CCst le point d'interrogation qui a créé l'homme! • SitOt dit, sitôt &.it! Le jeune Émile (cest son vrai prénom), <~veau oollège qui jouxte lrur abba}"' (du Jouir à Corl:igny), fut cmborqUI! ai nez et à la barbe de ses prol'essars et de ocs comanda pour s'en aller questionner des penseurs, d<S poètes, des chercheurs qui depuis longtemps naviguent sur focéan du savoir, de la oonnaiss;ince, des idées, de lèsprit ... L<S interrogations? Un vrai plaisir, nous dit Émile. Jean Bojko « Danse, danse, ma jolie danse. Danse, danse, mon esprit danse. Celui qui da. nsc chemine sur l'eau Et à l'intérieur d'une Barrvnc • Federico Gmla Lorca C &litions de l'Aube et !'Abbaye du Jouïr, 2015 www.editionsdelaube.com ISBN 978-2-8159-1182-5 Jean-Luc Nancy C'est quoi penser par soi-même? entretiens avec Émile Illustrations de Pascal Lemaître é ditions de / 'aube La bibliographie complète de Jean-Luc Nancy est disponible sur le site : <https://jln08.wordpress.com/>. Émile 1. - Votre métier, c'est philosophe? À quoi ça peut bien servir, un philosophe? j ean-Luc Nancy. - Ça attaque fort ! Cela dépend du sens que l'on donne au verbe « ser- vir à"· À ton avis? Qy:and tu poses la question? Émile. - A la société? Enfin, à tout le monde ... ou à chacun d'entre nous. j ean-Luc Nancy. - Et ça veut dire quoi, servir à la société? Et est-ce que servir à la société et servir la société, c'est la même chose ? Émile. - Non, je ne pense pas. Jean-Luc Nancy. - Peut-être que la différence n'est pas très importante. Émile. - Apporter quelque chose aux gens. 1. Nous présentons Émile en fin de ""lumc. 9 0 j ean-Luc Nancy. - Qyels gens? Émile. - Pour les distraire, leur expliquer des choses, les nourrir? j ean-Luc Nancy. - N ourrir la société. Qyi la nourrit? Émile. - Les restaurateurs? j ean-Luc Nancy. - Ce sont des gens qui font partie de la société. La société se nourrit elle- même. On peut dire pareil de ceux qui fabriquent des voitures ou des médeàns. Qiiiconque sert à la société fait partie de la société. Est-ce que le philosophe y participe ? Émile. - Oui, parce que vous avez une voi- ture, vous allez au restaurant ... j ean-Luc Nancy. - Pas souvent, mais oui, quand je voyage. Émile. - Si vous êtes tout seul dans votre mai- son et que vous avez votre propre jardin potager, 11 0 je ne sais pas si on peut dire que vous ne faites pas partie de la société, mais bon ... Jean-Luc Nancy. - On commence à se retirer. Oui, c'est vrai, à la limite, on peut imaginer quelqu'un qui vit complètement à part. Émile. - Mais il faut d'autres choses. Jean-Luc Nancy. - Oui, par exemple, si tu es malade, tu te fais soigner. Et encore, on pourrait imaginer quelqu'un qw se soigne avec les plantes et qui déàde qu'au-delà, il ne se soigne pas. On peut arriver à couper des liens, comme ça. Mais cela n'empêche que dans un pays comme le nôtre, le terrain sur lequel tu es, tu as beau en être propriétaire, tu ne pourras rien si on décide de faire passer un T GV là. À la fin, on pourra finir par t'exproprier. Ce que je voulais te demander, c'est com- ment le philosophe, en tant que tel, fait partie de la société. L'agriculteur, il fait partie de la société parce qu'il la nourrit. L'avocat aussi, le médecin aussi, tout le monde. Mais le philosophe? 15 Émile. - C'est un peu la question que je vous pose. Jean-Luc Nancy. - (rires) Donc la question est: «Est-ce que le philosophe appartient vrai- ment à la société? » Il y appartient déjà en tant que prof de philosophie. Mais ça suppose qu'il y ait de la philosophie dans l'enseignement. En France, c'est le cas. Il y a des pays où il n'y en a pas du tout. Si tu ne peux être philosophe que dans l'enseignement supérieur et en université, cela veut dire que tu formes des étudiants qui, en principe, deviennent eux-mêmes philosophes et professeurs. C'est un truc qui tourne en rond, et on pour- rait dire qu'il est coupé de la société. Pourquoi on lui réserve une place? Parce que c'est quand même ça qu'il y a derrière ta question. On peut dire qu'il appartient à la société, mais comme une sorte de ... comme quelque chose qui est en excès par rapport à tout ce qui est vrai- ment fonctionnel dans la société. Les machines, le droit ... La philosophie, c'est sûr, c'est autre chose. Mais c'est peut-être ... Ce n'est pas tout à fait seulement une pratique particulière ... 16 1 - ~ -- ......... - ~ .... - ~~ j ..... - .......... - ---- ..--- .....-....-. · ... - - - - : - ./ "'-...- - j - ,-.... - . - - ' 1 -- -- - . j ~ "'"-- -..,...... ------ Ça l'est par certains côtés. Par rapport à la société, le philosophe n'est pas tellement vu comme un technicien. Dans ce que l'on appelle la " philosophie "• passe une exigence qui est présente pour tout le monde et qui demande à être travaillée pour elle-même et qui est l'exigence de ... On pourrait dire: de comprendre pourquoi on est là, mais en même temps, ce n'est pas de comprendre qu'il s'agit. Parce qu'on pourrait dire que la philo- sophie commence d'emblée par le savoir qu'il n'y a pas à comprendre. Il n'y a pas une réponse à donner à la raison d'être là, de vivre. Ce qui donne une réponse, c'est plutôt la religion. Tu es là pour ceci, cela, parce que c'est la volonté de Dieu ou dans l'espé- rance d'une autre vie. C'est aussi pour donner un sens à ta vie au-delà de la mort. Mais la philosophie, par définition, est forcé- ment en dehors de la religion. Si on philosophe dans la religion, c'est qu'on n'y est peut-être pas vraiment. La philosophie, c'est peut-être ce que tout le monde fait, et quelquefois de manière presque silencieuse, même pas réfléchie, en vivant. Si tu vis, tu donnes un peu du sens à ça. Pas forcément un sens final 18 On a des rapports avec les autres. Certains t'intéressent, d'autres non. Certains sont impo- sés, d'autres choisis. Certains sont des rapports affectifs forts, d'autres faibles ... Bon. Mais ces rapports, tu les fuis fonctionner. T u choisis un peu. Tu t'empêches de pousser un coup de gueule ou d'éclater de rire au milieu du cours. Pourquoi? Parce que sinon tu vas te prendre une heure de colle - mais il t'arrive de le faire, ou alors tes copains. J'ai un de mes petits-fils qui, comme~. s'est déjà fait virer de plusieurs écoles. Il a le diable au corps, il ne peut pas s'empêcher. Cela veut dire que tu fonctionnes d'une certaine manière par rapport à l'ordre de l'école. Ce n'est pas un choix volontaire. Tu mènes ta vie d'une certaine manière en faisant ça, même si tu ne penses pas sans cesse dans la journée ... Il se passe qudque chose qui est de l'ordre du sens. Comme ça, tu définis ta vie, c'est-à-dire toi, ton être, ce que tu es. Tu engages des rapports avec énormément de choses: profs, copains, mais aussi système, savoir ... La vie, ce que tu feras plus tard. Plusieurs fois, dans la médecine, j'ai retrouvé d'anciens élèves.« Vous ne vous rappelez pas de moi? " me disent-ils. 21 Un qui chahutait beaucoup m'a dit: «Oh, j'ai eu tort de ne pas écouter les cours de philo, c'était quand même bien. " Mais voilà. Cela m'est arrivé plusieurs fois. C'est très significatif. Qyand on devient prof de philosophie, on se fait souvent dire par des gens, ou bien« j'aimais bien la philo », ou bien «je n'aimais pas du tout mais je regrette ». Beaucoup de gens perçoivent qu'il y a un endroit qui consiste à essayer de se retourner en vivant et à essayer de le formuler et de voir dans quel horiwn plus large cela peut .. . s inscrire. Pourquoi on est ensemble? Qy'est-ce qui est le plus important? L'individu ou la collectivité? Émile. - La collectivité. Jean-Luc Nancy. - A h bon? Toi, tu dis ça. Ça engage dans tout un travail philosophique. Pourquoi tu dis ça? Émile. - Parce qu'on ne peut pas vivre seul. Jean-Luc Nancy. - On revient à l'hypothèse du type dans son jardin potager. On uploads/Geographie/ les-grands-entretiens-d-x27-emile-jean-luc-nancy-c-x27-est-quoi-penser-par-soi-meme-editions-de-l-x27-aube-2015.pdf

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