1 1. Introduction : Pourquoi les radios de la paix? « On a vu, au Rwanda, à que
1 1. Introduction : Pourquoi les radios de la paix? « On a vu, au Rwanda, à quel point la radio avait une énorme capacité de faire du mal. Moi je pense que la radio a aussi une capacité énorme de faire du bien. » (Walter Mulondi, Radio MINUSTAH, Port-au-Prince)1 Pendant le génocide du Rwanda, les massacres sont presque passés sous silence en dehors de la région. Vingt ans plus tard, par contre, les évènements d’avril à aout 1994 sont connus, débattus, analysés. Plusieurs livres, et même des films, ont traité du rôle de la Radio Télévision libre de milles collines (RTLM), la radio des extrémistes hutus, qui appelle les hutus à remplir les fosses communes avec leurs voisins tutsis et quiconque ne partage pas leur idéologie. Après le génocide, deux collaborateurs de la RTLM, Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza, ont été reconnus coupables au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour crimes contre l’humanité, génocide et incitation au meurtre à travers leurs diffusions.2 Plusieurs études, pour exemple celles de Darryl Li et de Charles Mironko, ont montré qu’il n’y aurait pas de « lien causal direct » entre les médias de la haine et les massacres (Mironko 2007 :126). Les causes profondes du conflit hutu-tutsi, bien qu’elles ne soient pas nécessairement ancrées dans des « haines ancestrales », remontent au moins aux années 1950 (Gourevitch 1998 :58), plusieurs décennies avant l’arrivée des médias incendiaires. Cependant, les radios de la propagande—RTLM et plus tard Radio Rwanda— ont contribué à légitimer les massacres aux yeux de la population. Elles ont construit un discours de légitimation de la haine et du meurtre de masse et ont fait passer ce discours avec des moyens novateurs (pour l’époque) et attirants, en renforçant les peurs intercommunautaires. Pour ce faire, ils ont utilisé un outil, la radio, qui faisait partie intégrante du quotidien de nombreux rwandais (Li 2007 :90-91). En plus, il n’existait pas de contrepoids effectif pour leurs discours de la haine. Le contrepoids viendra après la guerre, dans la forme des « radios de la paix » qui ont pour but d’avoir la même 1 Entrevue en personne, 29 décembre 2013, Port-‐au-‐Prince, Haïti 2 Les accusations précises contre les deux journalistes et leur confrère de la presse écrite Hassan Ngeze sont reproduites dans Thompson, A., ed. « The Media and the Rwanda Genocide » Pluto Books, Londres, 2007, pp. 277-‐307. Le livre (en anglais) est disponible gratuitement en ligne ici : http://idl-‐bnc.idrc.ca/dspace/bitstream/10625/30283/9/IDL-‐30283.pdf Le livre « Justice on the grass » de Dina Temple Raston (New York, Simon & Schuster, 2005) présente un compte rendu vulgarisé et contextualisé du procès. 2 envergure que leurs prédécesseurs haineux mais de répandre un autre message, celui du « vivre-ensemble. » Ces radios, sans tout à fait réinventer la roue, vont changer la donne médiatique dans la région. Leur approche ressemble à l’approche de l’observateur impartial et équitable tel que trouvé dans le journalisme bien pratiqué en occident, avec, calqué dessus, un cadrage où l’accent est mis sur un traitement nuancé des faits et une mise en avant des solutions non-violentes. Dans ce rapport, nous allons regarder l’émergence des médias de paix aux Grands Lacs avec un focus sur le Burundi, qui se relève d’une guerre civile de treize ans. Nous allons porter notre attention sur la Radio Isanganiro (« radio carrefour »), une radio basée à Bujumbura avec pour devise « la dialogue est mieux que la force. » Nous allons explorer le contexte historique de son évolution, son fonctionnement actuel et la portée de ses messages. Nous allons analyser deux modèles de journalisme de paix mis en pratique dans le sillage des conflits aux Grands Lacs africains et tenter de montrer que le modèle qui met le plus d’accent sur la responsabilité des journalistes sur place est potentiellement le plus durable, malgré les incertitudes financières inhérentes. Nous allons regarder le rôle des préceptes du journalisme de paix dans le traitement de l’actualité de la Radio Isanganiro et les leçons à appliquer au fonctionnement des médias pendant une période de nouveau troublée pour la région. 2. Introduction au Burundi Le Burundi est un petit pays d’un peu moins de 28,000 km2, situé en Afrique de l’Est, avec pour voisins le Congo-Kinshasa, le Rwanda, le Kenya et la Tanzanie. Près de 9 millions de personnes y habitent (BBC 2013). Les deux langues officielles sont le kirundi, parlé par la quasi-totalité de la population, et le français, parlé par une minorité éduquée d’environ 700,000 personnes (Moumouni 2013:8). Le swahili, la lingua franca régionale de l’Afrique de l’Est, est parlé à Bujumbura, la capitale, et dans des régions frontalières. Deux ethnies forment la grande majorité de la population : les Hutu (85% de la population) et les Tutsi (14%) (CIA 2008). 3 2.1 Note historique L’histoire du Burundi n’a pas encore reçu autant d’attention de la part des historiographes et journalistes occidentaux que celle du Rwanda. Une recherche dans le catalogue de la bibliothèque de l’Université Laval donne un exemple : 247 de ses milliers d’ouvrages couvrent l’histoire rwandaise alors que seulement 42 sont consacrés à l’histoire burundaise. Alors, une note historique est de mise. Il est impossible de parler de l’histoire récente du Burundi sans parler du clivage hutu-tutsi. Les deux groupes partagent les mêmes collines depuis des générations, pratiquent les mêmes religions, parlent une même langue3 et ont fondé d’innombrables familles mixtes. Il ne s’agit pas de deux « tribus » proprement dites, du moins selon la définition du dictionnaire Larousse : « Agglomération de familles vivant dans la même région, ou se déplaçant ensemble, ayant un système politique commun, des croyances religieuses et une langue communes, et tirant primitivement leur origine d'une même 3 Avec deux variations régionales, le kinyarwanda et le kirundi, décrits par Chrétien (2012) comme étant « aussi semblables que le français hexagonal et le québécois. » Fig. 1. Sur la carte à gauche, on voit la position géographique du Burundi dans la région des Grands Lacs. La capitale burundaise, Bujumbura, est indiquée en vert. Sur la carte à droite, on voit la position du Burundi sur le continent africain. Le Burundi est en rose. Images crées à partir de Google Cartes par l’auteure.) 4 souche. »4 Selon cette définition, le peuple burundais comme un tout se rapproche davantage de la définition d’une tribu que les Hutu ou les Tutsi. Toujours est-il que « on ne peut faire fi ni balayer d'un simple mouvement d'esprit (le clivage hutu-tutsi) qui marque l'histoire du vingtième siècle dans la région des Grands Lacs » (Nzeyimana 2000 :37). Il y a deux autres groupes, très peu nombreux : les Twa (pygmées, aujourd’hui environ 1% de la population (BBC 2013)) et les Ganwa5, les dirigeants héréditaires. Le royaume de « Ruanda-Urundi » est une colonie allemande à partir de 1885 et devient belge à partir de 1924. Les belges constatent que deux « races » y habitent, une minorité ressemblant aux égyptiens et une majorité plus « africaine » d’apparence. Les belges asservissent les Hutu basanés et embauchent les Tutsis « nobles » d’apparence comme superviseurs (Gourevitch 1998 :57). On peut lire au musée de Gisozi à Kigali, au Rwanda, que la classification « ethnique » d’une famille n’était pas basée sur aucune caractéristique physique, mais sur le nombre de vaches que chaque famille possédait6. « However the ethnicity was assigned, it became the basis for determining everything from enrolment in the school system … to civil services jobs, also reserved for the Tutsi» (Temple Raston 2005 :19). Ces divisions accentuent le clivage et la méfiance entre les deux groupes. « The Tutsi were immediate beneficiaries and they played that to their advantage… Hutu, officially excluded from power, began to take on the hallmarks of the oppressed. They banded together. They groused about the unfairness of it all, and they plotted revenge ». (Temple Raston 1998 :19). Pour diriger le Burundi indépendant, les Belges mettent sur le trône un Ganwa, Louis Gasoré7, qui est aussi respecté par une grande partie de la population. Gasoré dirige l’UPRONA (Unité et progrès national), le parti politique principal (Frère/Sebahara 2009: 56). Il meurt en 1961 lors d’un coup militaire.8 4 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/tribu/79517?q=tribu#78554 5 Aujourd’hui largement exilés, au Congo-‐Kinshasa ou en Europe 6 Voir mes notes de voyage du 11 novembre 2011 (http://yearofnofear.wordpress.com/2011/11/11/kigali-‐impressions-‐ii/) 7 Souvent appelé Louis Rwagasoré—corruption du mot « roi » 8 Gasoré jouit d’un prestige posthume comparable à celui des frères Kennedy. Des romans, des pièces et des débats sont crées autour de la question « Que se serait-il passé s’il n’était pas mort? Nombre de burundais semblent croire que « la crise » aurait du être évité si Rwagasoré n’a pas été tué et si la monarchie avait survécu. Il y a même quelques petits partis politiques qui militent pour la restauration de la monarchie. 5 Le Royaume du Burundi devient souverain le 1 juillet 1962. En 1966, le capitaine Michel Micombero, un Tutsi, renverse la monarchie et établit une « république » avec l’UPRONA comme parti unique. L’arrivée au pouvoir uploads/Geographie/ les-medias-radiophoniques-et-la-consolidation-de-la-paix-au-burundi-le-cas-de-la-radio-isanganiro-quelles-lecons-pour-l-x27-avenir.pdf
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- Publié le Jan 05, 2022
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