117 No 4 1995 Les tentations de Jésus Pierre GRELOT p. 501 - 516 https://www.nr
117 No 4 1995 Les tentations de Jésus Pierre GRELOT p. 501 - 516 https://www.nrt.be/en/articles/les-tentations-de-jesus-210 Tous droits réservés. © Nouvelle revue théologique 2022 Les tentations de Jésus Dans les trois évangiles synoptiques, le récit de la tentation de Jésus se greffe immédiatement sur celui de son baptême par Jean. Il y a, pour les relier, un trait caractéristique que Luc souligne particulièrement, après la rupture qu'occasionne chez lui l'inser- tion de la généalogie de Jésus (Le 3, 23-28). Lors du baptême, Jésus a reçu l'Esprit Saint, et c'est l'Esprit qui le conduit dans le désert. Mais dans quel but? Matthieu et Luc y insistent: Or Jésus, rempli de l'Esprit Saint, revient du Jourdain, et il était mené par l'Esprit à travers le désert pour y être tenté par le Diable (Le 4,1-2). Alors Jésus fut conduit au désert par l'Esprit, pour être tenté par le Diable (Mt 4,1). Marc, dans sa recension particulière de la tentation, n'insiste pas sur cet enchaînement entre la réception de l'Esprit, et la ten- tation: c'est chez lui une simple coïncidence: Et aussitôt l'Esprit le pousse au désert, et il était dans le désert quarante jours, tenté par Satan, et il était avec les bêtes [sauvages] et les anges le servaient (Me 7,12-13) La tradition suivie par Matthieu et Luc développe le thème des tentations en y distinguent trois épisodes, mais leur gradation n'est pas la même chez les deux évangélistes. Chez Matthieu, les suggestions du Diable sont de plus en plus graves: d'abord la satisfaction de la faim (Mt 2,3), puis le prodige à grand spectacle (Mt 2, 5-6), enfin la volonté de gloire et de puissance liée à la prostration devant le Diable (Mt 4, 8-9). Luc inverse les deux dernières épreuves, afin que le récit se termine à Jérusalem. Après quoi, chez lui, le Diable s'éloigne de Jésus «jusqu'au temps favo- rable»: à Jérusalem même, il «entrera dans Judas» pour provo- quer l'épreuve suprême de la Passion (Le 22, 3). Cette variante laisse intacte la question essentielle: comment faut-il comprendre la nature des tentations, et comment faut-il se représenter la façon dont Tésus les exoérimente? 502 P. GRELOT 1. Les récits Chez Matthieu et Luc, il est clair que la narration de l'épisode constitue un montage littéraire bien construit. J. Dupont en a très bien analysé jadis les composantes1, et tous les commentateurs de Matthieu et de Luc les rappellent. Il est inutile d'y revenir, si ce n'est pour souligner quelques traits qui concernent la question essentielle: quel degré de réalisme faut-il reconnaître à ce récit? Par définition, l'épisode n'a pas eu de témoin. Toute lecture à ten- dance «fondamentaliste» insistera sur la littéralité du texte et ten- dra à objectiver visuellement la confrontation de Jésus avec le Diable2. C'est un film qui se déroule, et les évangélistes situent les trois scènes dans trois lieux différents: Après quarante jours et quarante nuits de jeûne dans le désert, «il eut faim, et s'approchant le Tentateur lui dit...» (Mt 4, 3a); «II ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsqu'ils furent achevés il eut faim; or le Diable lui dit... » (Le 4, 2-3a). Une fois la première tentation repoussée, la scène se transporte ailleurs: «Le Diable l'emmène à la Ville sainte, et il le plaça sur le faîte du Temple et lui dit:...» (Mt 4, 5). Inversant l'ordre des deux dernières tentations, Luc écrit de même: «Or il le conduisit a. Jérusalem, et il le plaça sur le faîte du Temple et lui dit:...» (Le 4, 9). Enfin vient chez Matthieu la troisième tentation, dont le lieu fait appel à l'imagination: «Le Diable l'amène encore sur une très haute montage et lui montre tous les royaumes de la terre, et il lui dit:...» (Mt 4,8-9a). Et Luc, plus discrètement: «Et le conduisant en haut, il lui montra en un instant tous les royaumes de l'univers, et le Diable lui dit:...» (Z.c^,5-6a). 1. J. DUPONT, Les tentations de Jésus au désert, Bruges-Paris, 1968. Le texte est commenté dans tous les ouvrages consacrés à Matthieu et à Luc. Je ne puis que renvoyer aux explications données par les commentateurs et aux choix qu'ils opèrent pour expliquer sa structure littéraire, son origine, sa qualification «historique» ou non, sa source première dans des confidences de Jésus ou dans les réflexions auxquelles sa présentation évangélique a donné lieu après coup. On ne trouvera ici qu'une présentation modeste du texte évangélique, pour chercher à entrevoir à travers lui l'expérience intérieure de Jésus. 2. Les commentateurs de cette sorte se laissent prendre au piège des représen- tations artistiques de la scène, qui se sont multipliées au cours des âges. Les sil- houettes du Diable se présentent bien plus facilement à l'imagination des artistes que celles des saints: nous en portons tous en nous les multiples figures grimaçantes. LES TENTATIONS DE JÉSUS 503 On voit très bien ce qu'un cinéaste tirerait de ces trois scènes dans un film à grand spectacle, à ceci près que la dernière serait irréalisable si elle voulait montrer tous les royaumes de la terre ou de l'univers. À moins de faire défiler un certain nombre de spéci- mens culturels dans des scènes de genre. Mais serait-ce l'esprit du récit évangélique? Luc semble avoir senti cette invraisemblance, quand il substitue l'expression neutre «en haut» à cette «mon- tagne cosmique» qu'ignore la géographie. Ce n'est pas le seul trait qui est dénué de réalisme. Si on voulait matérialiser les scènes, il faudrait pourvoir aux moyens de trans- port pour aller d'un lieu à l'autre: depuis le désert jusqu'au faîte du Temple, puis jusqu'à cette montagne d'où l'on voit toute la terre, à moins qu'il ne s'agisse de hauteurs extra-terrestres. Pour échapper à ces difficultés insurmontables, on comprend que plus d'un commentateur ait regardé le récit comme une fable mytho- logique: par cette pure construction littéraire, la tradition évangé- lique voulait montrer que Jésus fut tenté comme tous les hommes, sur des points qui étaient en rapport avec sa qualité de «fils de Dieu» (Mt 4, 3.5 et Le 4, 3.9) et sa mission de Messie royal {Mt 4, 9 et Le 4, 6). Mais on vide alors la scène de tout contenu réaliste. On postule que Jésus ait été tenté comme tout homme, mais comment le sait-on? Et pourquoi les premiers annonciateurs de l'Évangile, dont Matthieu et Luc ont recueilli la tradition, ont-ils imaginé un trait qui correspond si peu à notre représentation spontanée de Jésus, Fils de Dieu? Avant d'aller plus loin dans l'enquête, examinons d'abord les textes évangé- liques, pour voir s'ils n'attestent pas l'existence d'épisodes où Jésus expérimenta de véritables tentations. 2. Les tentations historiques de Jésus a) La première tentation ne se prête guère aux spéculations. La faim au terme d'un long jeûne n'a rien d'invraisemblable. C'est plutôt la présentation de ce jeûne et sa durée qui posent un pro- blème: «Ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, finalement il eut faim» (Mt 4, 2). Et chez Luc: «II ne mangea rien pendant ces jours- là, et quand ils furent achevés il eut faim» (Le 4,2). Or on sait, pour avoir vu des hommes qui faisaient une grève de la faim, que le corps humain ne tient pas quarante jours sans boire, et que quarante jours sans manger sont à l'extrême limite du supportable, au point d'entraîner une extrême faiblesse et un nçrmp np mort Tl c^riit arnitrairp n^ cr^pnl^r in cnr l/^c f^D'sntfiv 504 P. GRELOT extraordinaires de Jésus en sa qualité de Fils de Dieu: cette situa- tion ne l'a pas fait échapper aux conséquences normales des souf- frances de la Passion. Une lecture littéraliste du texte jouerait un mauvais tour au croyant qui mettrait cette question de côté. Mais l'Ecriture elle-même donne ici la clef nécessaire pour comprendre le texte. Celui-ci renferme, sur ce point précis, une imitation litté- rale de l'Exode, qui montre Moïse sur le Sinaï: «Moïse demeura là avec YHWH quarante jours et quarante nuits: il ne mangea pas de pain et il ne but pas d'eau et il inscrivit sur les tables les paroles de l'alliance» (Ex 34, 28). Jésus, conduit par l'Esprit, jeûne dans le désert comme Moïse sur le Sinaï. Moïse écrit les paroles de l'al- liance, et Jésus se prépare à l'annonce de l'Évangile qui consti- tuera «l'accomplissement de la Loi et des Prophètes» (Mt 6, 17). L'imitation littéraire de l'Ecriture ne donne pas ici un renseigne- ment d'ordre «factuel», mais elle a un sens évident: elle montre le paralléllisme entre Moïse et Jésus. Une action capitale pour la réalisation du dessein de Dieu se prépare par le jeûne, de quelque manière qu'il se réalise. Quant à l'expérience de la faim, elle est normale dans ce cas, et le désir lancinant de satisfaire la faim n'est pas une «tentation» étonnante. b) La tentation d'un prodige a grand spectacle n'est pas sans analogie avec certains épisodes évangéliques. Il faut seulement prendre garde à la valeur exacte des mots grecs qui les présentent, sans se laisser piéger par les traductions françaises. En effet, le verbe grec uploads/Geographie/ les-tentations-de-jesus-grelot.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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