Atget, une rétrospective La photographie n’a pas pour objectif de représenter l
Atget, une rétrospective La photographie n’a pas pour objectif de représenter le réel, mais plutôt de produire du visible. « La radicale modernité de la photographie est d’être une machine à voir et à produire des images de capture. Capter, saisir, enregistrer, fixer, tel est le programme de cette image d’un nouveau type : image de capture fonctionnant comme une machine à voir et renouvelant ainsi le projet documentaire » (André Rouillé, La Photographie, Folio Essais, 2005). Le matériel (temps de pose, climat, lumière) est un des composants essentiels de la photographie car il la rend quantifiable. « L’introduction de la quantité, de la mesure dans la matière même de l’image » fait la nouveauté de la photographie (André Rouillé). Modernité également car la photographie opère un passage de l’un au multiple, de l’artisanal à l’industriel : en permettant la répétition à l’infini des prises de vue d’un même objet et la reproduction d’un cliché, elle porte en elle l’idée de série dans le domaine des images. Les séries, fréquentes dans de nombreux domaines, donnent une vision morcelée du monde, ce qui fait leur modernité. Les photographies sont d’abord des outils, comme le furent en particulier celles d’Atget (1857-1927) qui occupe une place particulière dans l’histoire de la photographie. Destinées au départ aux artistes, aux peintres, aux historiens en quête d’images documentaires du vieux Paris, les photographies d’Atget sont bientôt considérées comme images charnières entre deux siècles : après la mort de leur auteur, auquel la critique reconnaît un rôle de précurseur pour avoir introduit la notion de style en photographie, elles connaissent un destin inattendu, suscitent un intérêt croissant pour entrer définitivement dans le domaine de l’art. Marchand d’herbes, place Saint-Médard, 1898 BNF, Estampes et Photographie Ce grand innocent de Paris ! Vois donc comme il est immense et comme il s’endort doucement ! C’est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins […]. Émile Zola, La Curée Le Paris d’Atget n’est plus pour beaucoup parmi nous qu’un souvenir d’une délicatesse déjà mystérieuse. Il vaut tous les livres écrits sur ce sujet. Il permettra, sans doute, d’en écrire d’autres. Pierre Mac Orlan, Atget photographe de Paris, Henri Jonquières éditeur, 1930 La zone a ses habitants et ses cabarets, généralement mal fréquentés : ce n’est pas là l’un de ses moindres inconvénients. La population de ces parages est composée surtout de chiffonniers, vagabonds, gens sans aveu de l’un et l’autre sexe vivant dans la plus grande promiscuité, logeant dans des baraques ou même dans des voitures ambulantes ou des wagons hors d’usage, sans aucun souci de l’hygiène. […] Les délits de tout genre, vols, attaques à main armée, sont dans cette région plus nombreux que partout ailleurs ; la surveillance de la police et la recherche des malfaiteurs y sont plus particulièrement difficiles. J. Flourens, 1908, cité in Jean-Louis Cohen et André Lortie, Des Fortifs au périf, Picard/Édition du Pavillon de l’Arsenal, 1991 Un goujat, un marmiton est fier de son métier, dit Pascal ; il en est de même du chiffonnier qui aime son industrie, parce qu’elle lui donne droit au vagabondage dans les rues de Paris qu’il adore, où il vit dans une indépendance complète, sans souci du lendemain, sans souvenirs du passé, à la grâce de Dieu […] Devenu vieux et infirme, le chiffonnier n’ira pas à l’hôpital, ses voisins ne le souffriraient pas ; ils l’assisteront, ils feront des collectes pour lui donner le nécessaire, ils se priveront pour lui procurer quelques petites douceurs. C’est à qui lui portera du tabac, des pipes et le demi-setier d’eau-de-vie, qui est, pour ces natures brûlées, d’une nécessité plus immédiate que le pain. Alexandre Privat d’Anglemont, Paris anecdote, Les Éditions de Paris, 1984 Atget, 1857-1927 Eugène Atget naît le 12 février 1857 dans une famille modeste. Il est orphelin à cinq ans et vit ensuite avec ses grands-parents; après de brèves études, il s’engage comme mousse sur des bateaux de commerce et navigue de 1875 à 1877 sur un navire des lignes d’Afrique. En 1878, il vient à Paris et s’inscrit au Conservatoire national de musique et d’art dramatique. Exclu du cours en 1881, il poursuit une carrière d’acteur ambulant jusqu’en 1887. Il revient à Paris, s’essaie à la peinture et prend conscience que les peintres ont besoin d’une documentation, ce qui le décide en 1890 à commencer une carrière de photographe, tout en continuant à s’intéresser au théâtre; il donne d’ailleurs des conférences sur cet art de 1904 à 1913. Plus que comme artiste, Atget s’installe comme photographe professionnel au 5, rue de la Pitié, et l’on peut lire, sur la porte, «Documents pour artistes». Son travail, dont la publicité est faite dans La Revue des Beaux-Arts, en 1892, propose des «Paysages, animaux, fleurs, monuments, documents, premiers plans pour artistes, reproduction de tableaux, déplacements, collection n’étant pas dans le commerce». Sa clientèle sera bientôt illustre : Georges Braque, Maurice Utrillo, Foujita, mais malgré cela, la situation financière du photographe reste précaire. Il travaille pour un nombre limité d’artistes jusqu’en 1897-1898, puis ralentit petit à petit son travail pour artistes et s’applique à photographier Paris en proposant à la fois des vues globales et de détail. Il opère en 1905-1906 un passage vers l’intérieur des bâtiments, privilégiant les ferronneries, les marbres, les serrures. Le musée Carnavalet achète alors 600 de ses clichés. Il ajoute, en 1906, des indications topographiques et historiques. On trouve parmi ses clients Marcel Poëte, pour la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Dans L’Art dans le vieux Paris, le photographe propose des détails de l’architecture ancienne, des cours, des escaliers et des églises, ainsi que des vues des environs de Paris (Versailles, Sceaux, Saint-Cloud et la proche banlieue de Paris), un Paris en proie à l’urbanisme moderne, mais où subsistent, à ses portes, les laissés-pour-compte du progrès. À partir de 1910, Atget rationalise son travail : il regroupe des séries sous forme d’albums reliés traitant de sujets précis comme L’Art dans le vieux Paris; Intérieurs parisiens; La Voiture à Paris; Métiers, boutiques et étalages de Paris; Enseignes et vieilles boutiques de Paris; Zoniers; Fortifications. La guerre rompt la dynamique de son travail : à partir de 1914, Atget cesse progressivement de prendre des photographies et se consacre à la gestion de son œuvre. Il s’inquiète de ce qu’elle va devenir et propose l’achat de ses collections Art dans le vieux Paris et Paris pittoresque au directeur des Beaux-Arts. En 1920, plus de deux cents négatifs sont vendus à la Commission des Monuments historiques. Du doument à l’image artistique Un chiffonnier, le matin dans Paris, avenue des Gobelins, 1899 BNF, Estampes et Photographie place d’Italie Porte d’Italie : zoniers, 13e arrondissement, 1912 BNF, Estampes et Photographie J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources […]. De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être une évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire […]. L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes […]. Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974 Impasse de la Salembière, 1898 BNF, Estampes et Photographie La lumière moderne de l’insolite […] règne bizarrement dans ces sortes de galeries couvertes qui sont nombreuses à Paris aux alentours des grands boulevards et que l’on nomme d’une façon troublante des passages, comme si dans ces couloirs dérobés au jour, il n’était permis à personne de s’arrêter plus d’un instant. Lueur glauque, en quelque manière abyssale, qui tient de la clarté soudaine sous une jupe qu’on relève d’une jambe qui se découvre. Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Gallimard, 1926 (réédition Le Livre de poche, 1971) Square du Vert-Galant, île de la Cité, 1911 BNF, Estampes et Photographie Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse. Émile Zola, Thérèse Raquin, 1867 Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale. Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle a dédaigné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. Il fait un triage, un choix intelligent ; il ramasse, comme uploads/Geographie/ atget-une-retrospective.pdf
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- Publié le Aoû 13, 2021
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