Mouloud Feraoun Le fi ls du pauvre Mouloud Feraoun Le fils du pauvre Un village

Mouloud Feraoun Le fi ls du pauvre Mouloud Feraoun Le fils du pauvre Un village de montagne, Kabylie, debut du siecle. ('est la que vivent les Menrad . Ils ne se rendent pas compte qu'ils sont pauvres. Ils sont comme les autres; v oila tout. Mouloud Feraoun raconte, a peine transposee, sa propre histoire. Il e tait voue a devenir berger, le destin en decidera autrement. Ce temoignage d'un admirable conteur, souvent compare a Jack London et a Maxime Gorki, est desormai s un classique. Mouloud Feraoun est ne Tizi Hibel, en Haute Kabylie, en 1913. Apres des etudes l 'ecole normale d'Alger, il enseigne pendant plusieurs annees en Algerie, puis de vient inspecteur des centres sociaux. It est assassine a a a Alger le 15 mars 1962. «J'ai ecrit Le Fils du pauvre pendant Les annees sambres de La querre, La Lumiere d'une Lampe petroLe. J'y ai mis Le meilleur de man etre.» a a Mouloud Feraoun dans L'Effort algerien Photo auteur: DR @ 9 782020 11111111111 Couverture: ~ Hulton archives/Getty Images Points, 27 rue Jacob, Paris 6 ISBN 978.2.02.026199.9 261999 I Imp. en France 11.95 LE FILS DU PAUVRE Nous travaillerons pour les autres jusqu' a notre vieillesse et quand notre heur e viendra, nous mourrons sans murmure et nous dirons dans l' autre monde que nou s avons souffert, que nous avons pleure. que nous avons vecu de longues annees d 'amertume, et Dieu aura pitie de nous ... Menrad, modeste instituteur du bled kabyle, vit « au milieu des aveugles ». Mais il ne veut pas se considerer comme roi. D'abord, il est pour la Democratie ; ensuit e, il a laferme conviction qu'il n'est pas un genie. Pour aboutir a une opinion aussi desastreuse de luimime, il lui a fallu plusieurs annees. Cela ne diminue p as son merite. Au contraire. Des ses premiers mois dans I' enseignement, apres s es etudes, il confie a son journal - car il en a un : « Lorsque je rentre en moi-m eme et que je considere ma situation en fonction de ma valeur, je cone/us ame-re ment : je suis lese, Ie manque de moyens est un obstacle bien perfide. Ma conclu sion ne s'arrete pas la pourtant ! Puisque je me sens une intelligence si vive, avec les vieux livres et les vieux cahiers, rien ne dit que je n'irai pas loin . .. » «C'estfait, la decision est prise, la reussite est certaine. A mesure que je sa voure une etude elementaire sur Ronsard et la Pleiade, ma decision s' affermit, l' examen a affronter devient plus accessible. » Menrad est ambitieux. II se moqua it de son ambition. II comprenait, Ie malheureux, que s'il cherchait trop a plan er comme un aigle, it ne ferait que patauger davantage comme un canard. II se re signa donc a etre simplement instituteur, dans un village comme celui qui l' avait vu naitre, dans une ecole a une classe, au m ilieu de tous les paysans ses jreres, supportant avec eux les tourments de l' ex istence, l'lime parfaitement calme et attendant, comme eux, avec un/atalisme ind ifferent et une certitude·absolueille dit - le jour ou il entrera au paradis de Ma homet. Cette attitude, en tout point digne d' eloges, n' est pas celle d'un scep tique. Le pauvre Menrad est incapable de philosopher. Elle resulte du sentiment tres net qu'il a de sa /aiblesse. Apres avoir renonce aux examens, il a voulu ec rire. Il a cru pouvoir ecrire. Oh! ce n 'est ni de Lapoesie, ni une etude psycho logique, ni meme un roman d'aventures puisqu'il n'a pas d'imagination. Mais il a lu Montaigne et Rousseau, il a lu Daudet et Dickens (dans une traduction). II v oulait tout simplement, comme ces grands hommes, raconter sa propre histoire. Ie vous disais qu'il etait modeste! Loin de sa pensee de se comparer a des genies; il comptait seulement leur emprunter l'idee, «la sotte idee» de se peindre. II cons iderait que s'il reussissait a faire quelque chose de coherent, de complet, de l isible, il serait satis/ait. II croyait que sa vie valait la peine d'etre connue , tout au moins de ses enfants et de ses petitsen/ants. A la figueur, il n' avai t pas besoin de se faire imp rimer. II laisserait un manuscrit. II s'est mis au travail en 1939, au mois d'avril, pendant les vacances de Pliques. Heureux temps ! Devant les innombrables obstacles qui se dressent chaque toumant de phrase, a chaque fin de paragraphe, devant les mots impropres, les toumures douteuses et l es adjectifs insaisissables, il abandonne une entreprise au-dessus de ses forces , apres avoir rempli un gros cahier d'ecolier. Il abandonne sans esprit de retou r; sans colere. Dans sa dasse, it y a un modeste bureau tout noir. a. Dans l'un des deux tiroirs, le chef-d'ceuvre avorte gft aujourd'hui, oublie, ent re un cahier de roulement et des fiches de preparation comme le cinquieme ceuf d e La fauvette que l' oiseau et ses petits laissent dedaigneusement dans le nid i nutile. Nul n' est maftre de sa destinee, 0 Dieu clement! S'il est decide lii-ha ut que l'histoire de Menrad Fouroulou sera connue de tous, qui peut enfreindre t a loi ? Tirons du tiroir de gauche le cahier d'ecolier. Ouvrons-le. Fouroulou Me nrad, no us t'ecoutons. Le touriste qui ose penetrer au creur de Ia Kabylie admire par conviction ou par devoir des sites qu'il trouve merveilleux, des paysages qui Iui semblent pleins de poesie et eprouve toujours une indulgente sympathie pour Ies mreurs des habi tants. On peut Ie croire sans difficultes, du moment qu'il retrouve n'importe oi l Ies memes merveilles, Ia meme poesie et qu'il eprouve chaque fois Ia meme symp athie. II n'y a aucune raison pour qu'on ne voie pas en Kabylie ce qu'on voit eg alement un peu partout. Mille pardons a tous Ies touristes. C' est parce que vou s passez en touristes que vous decouvrez ces merveilles et cette poesie. Votre r eve se tennine a votre retour chez vous et Ia banalite vous attend sur Ie seuil. Nous, Kabyles, nous comprenons qu'on loue notre pays. Nous aimons meme qu'on no us cache sa vulgarite sous des qualificatifs flatteurs. Cependant nous imaginons tres bien l'impression insignifiante que laisse sur Ie visiteur Ie plus complai sant la vue de nos pauvres villages. Tizi est une agglomeration de deux mille ha bitants. Ses maisons s'agrippent l'une derriere l'autre sur Ie sommet d' une cre te comme les gigantesques vertebres de quelque monstre prehistorique : deux cent s metres de long, une rue principale qui n'est qu'un tron~on d'un chemin de tribu reliant plusieurs villages, conduisant a la route carrossable et par consequent aux villes. Cette rue principale garde sa largeur d' origine aux endroits ou elle n'est muree que d'un cote: six bonnes coudees au moins. Comme, souvent, on a construit des deux cotes, elle a ete grignotee et elle fait pitie dans sa prison de pierre. Elle etoufferait si elle ne laissait s'epanouir, de d istance en distance, tantot a droite, tantot a gauche, des petits bras capricieu x, des ruelles encaissees qui s' enfuient vers les champs. En bonne logique, com ment exiger qu'une rue faisant partie d'un chemin soit traitee autrement que ce chemin? Pourquoi faut-illa paver si ce chemin ne rest pas? Ils sont tous deux po ussiereux en ete ; elle est plus boueuse en hiver car elle est plus frequentee. Pour la meme raison, d'ailleurs, elle est continuellement plus sale. C' est la s eule difference. Quant aux ruelles, elles lui ressemblent puisqu' elles sont ses filles. Qu'on imagine a un certain endroit deux ruelles opposees qui partent du meme point rune a gauche, I' autre a droite. A eet endroit privilegie la rue es t large. Est-ce par un hasard mysterieux ou une decision dont l' opportunite ech appe a 1'heure actuelle? Nos aYeux n' ont pas construit aux quatre angles du car refour : vous etes sur la grand-place du village, la «place aux musiciens », notre d jema. Elle est unique et Ie quartier d'en haut l' envie au quartier d' en bas. D e larges dalles de schiste sur cinquante centimetres de ma~onnerie indecise, con tre les pignons des maisons, forment les bancs de la « tadjemai"t » sur lesquels vie nnent s' asseoir les hommes et les enfants. Vne faveur speciale a dote run de ce s bancs d'une toiture a claire-voie. C'est Ie plus recherche a cause de sa fraic heur en ete et parce qu'il abrite en hiver. Lorsqu'on debouche sur la djema par Ie nord, ce banc se trouve a gauche, juste en face d'une ruelle en cul-de-sac que barre, a une vingtaine de m etres, Ie portail d'une habitation. C' est ce banc qui est orne de la meilleure dalle. Une dalle en marbre, en vrai marbre fauve, brillant, poli par Ie temps et l'usage. Le village a trois quartiers et uploads/Geographie/ mouloud-feraoun-le-fils-du-pauvre.pdf

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