500 REVUE -FORESTIÈRE FRANÇAISE LA PROTECTION DE LA NATURE (A propos d'un livre

500 REVUE -FORESTIÈRE FRANÇAISE LA PROTECTION DE LA NATURE (A propos d'un livre récent) Depuis quelques années, on entend assez souvent parler de pro- tection de la nature. Ces mots sont interprétés de manière diffé- rente et même; pour beaucoup, n'ont guère de signification. La gran- de masse du public reste indifférente ou incompréhensive vis-à-vis d'une question qui, actuellement, devrait se placer au premier rang des préoccupations de l'humanité. Dans un livre récemment pu- blié (*), M. Roger HEIM, Membre, de l'Institut, Directeur du Mu- seum et Vice-Président de l'Union internationale pour la Protection de la Nature, appelle l'attention sur ce sujet, de manière énergique et précise. DESTRUCTION DE LA NATURE « La Nature groupe, par définition, l'ensemble des êtres vivants, des lieux où ils vivent, des conditions qui régissent leurs rapports mutuels ». Au milieu de cet ensemble, l'Homme est apparu. L'hu- manité n'a pu s'installer, se développer qu'au prix d'une lutte inces- sante dont elle est sortie victorieuse. Mais cette victoire sur la nature a donné à l'homme la vanité, la tendance à dominer, l'habitude de détruire. Le bilan de cette action destructrice est impressionnant. Pour ne parler que des animaux supérieurs, depuis une cinquantaine d'an- nées, quarante espèces ont disparu de la surface du globe ; on estime que près de six cents sont en danger de disparaître. On a pu écrire le nécrologe précis de certaines d'entre -elles. Pour ne citer qu'un exemple, presque incroyable, la Colombe voyageuse (Ectopistes mi- gratorias) qui, aux Etats-Unis, se déplaçait, dans le premier quart du xixe siècle, en colonnes serrées d'une dizaine de kilomètres de long sur un kilomètre de large, est une espèce à jamais éteinte : le der- nier individu est mort dans un jardin zoologique en 1914. La liste est longue de semblables méfaits de l'homme et il convient de citer, à ce sujet, les sévères appréciations de M. HEIM : « L'instinct de lutte, le désir de vaincre, ont donné naissance au besoin de détruire, ce qu'on appelle de nos jours la chasse sportive. La peur ancestrale est devenue plaisir du risque, appel du danger... En vérité, s'agit-il du (*) Destruction et protection de la nature, par Roger HEIM. Armand Collin, éd., 224 p. LA PROTECTION DE LA NATURE Söi goût du risque ? L'homme moderne se sert plus de sa prodigieuse technique que de son courage. La carabine est plus sûre que le ja- velot. Il chasse par un réflexe de vanite, pour la satisfaction de réaliser la preuve de son adresse et dans un sourd désir de triom- phe ». Détruire un animal devenu rare, compromettre la survivance d'une espèce « est, sur le plan philosophique et scientifique, aussi grave peut-être que le meurtre d'un homme et aussi irréparable que la lacération d'un tableau de Raphaël ». Parfois, des animaux ont été pourchassés par instinct de lucre, tels les Chinchillas, petits ron- geurs des Andes, dont la fourrure « a permis de vêtir des femmes élégantes dont il ne reste ni la silhouette, ni le souvenir, pas même .celui de leurs manteaux d'hiver... tandis qu'irrémédiablement les Chinchillas ont disparu ». D'autres sont victimes de superstitions, comme le Rhinocéros de Java, à la corne duquel on attache de mer- veilleuses vertus curatives. Quelle qu'en soit la cause, le résultat de ces destructions inconsidérées est la présence, dans le monde animal, d'espèces réduites à un petit nombre d'individus, dont l'existence est plus ou moins précaire et qui sont de véritables reliques dont l'extermination est déjà prévisible. S'il y a, du fait de l'homme, appauvrissement de la faune, il y a aussi amenuisement de la flore. En ce cas, l'action destructrice s'exerce indirectement par modification de la station ou directement par cueillette ou arrachage. Le dessèchement, le boisement d'une pe- louse, l'exploitation à blanc étoc d'une forêt, l'incendie d'une lande, peuvent amener la disparition d'espèces qui ne trouvent plus les conditions qu'elles exigent. On sait combien le pâturage, dès qu'il est pratiqué avec quelque intensité, peut déterminer la raréfaction progressive et même la disparition de certaines plantes. Des espè- ces à fleurs ornementales peuvent disparaître du fait de la cueillette : c'est le cas de cette belle Orchidée, le Sabot de Vénus {Cypripedium calceohis) dans des vallons boisés de l'Est, du trop recherché Edel- weiss {Le onto podium alpinum) dans les pelouses alpines, et de bien d'autres en des stations diverses. Le Bois gentil {Daphne mezereum) recherché à cause de sa floraison printanière, le Laurèole {Daphne laureola) estimé à cause de son feuillage persistant, ont été très ra- réfiés dans des forêts au voisinage des villes. Utilisé pour faire des infusions ou des liqueurs, le Génépy {Artemisia mutellind) est de- venu rare dans les Alpes. L'arrachage de plantes par des horticul- teurs ou des amateurs de jardins est encore plus funeste. Les bota- nistes herborisants même ont trop souvent une lourde responsabilité dans la destruction d'espèces rares: il en est « dont l'esprit de col- lectionneur étouffe la conviction du naturaliste ». Des exemples analogues nous sont fournis par certaines essences forestières. Le Sapin de Sicile {Abies nebrodensis) formait encore au xvine siècle des massifs de quelque étendue. L'exploitation et le pâturage l'ont fait disparaître à tel point qu'au début du xxe siècle on n'en connaissait qu'un seul pied, dans l'enceinte d'un couvent. En 502 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE 1927 a été découvert en Algérie, dans le Djurdjura, un petit boque- teau de Pin laricio qui, jusque là, avait échappé aux investigations : c'est une forme assez spéciale, que l'on a dénommée Pinus laricio var. mauretanica. Depuis est survenu un incendie et il ne subsiste plus que quelques arbres (*). Pour les plantes comme pour les animaux, il est des espèces qui, soit par leur rareté et leur stricte localisation, soit par leur isole- ment en une station aberrante, sont de véritables reliques. On cite le cas d'une Crucifère, YAlysium pyrenaicum, dont il n'existe que quelques pieds sur un rocher des Pyrénées orientales ; aux Iles Glénans croît une espèce spéciale de Narcisse. D'autres reliques sont des survivants maintenant isolés d'une végétation jadis instal- lée à la faveur d'un climat différent. On explique ainsi la présence du Bouleau nain (Betula nana), espèce boréale, dans une tourbière de la Margeride, du Styrax {Styrax officinalis), espèce du bassin oriental de la Méditerranée, en une seule station provençale, la fo- rêt de Montrieux (Var), de l'Alaterne (Rhamnus alaternus), nette- ment méditerranéen, en un point des falaises de la Basse-Seine, près d'Elbeuf. Quelles qu'elles soient, ces reliques sont particulière- ment exposées à être détruites ou raréfiées. * TRANSFORMATION DE LA NATURE De manières diverses, l'homme détruit des animaux et des plan- tes, raréfie certaines espèces, en anéantit d'autres. S'opposer à cette action, permettre, le plus possible, le maintien de la faune et de la flore dans leurs caractères primitifs, c'est faire œuvre de protection de la nature. Une telle préoccupation laisse bien indifférente la grande masse du public, qui a tendance à ne voir dans ce souci de conservation d'un capital vivant que sentimentalité d'artiste ou ma- nie de scientifique. Mais l'action destructrice de l'homme peut avoir des répercussions autrement graves qui compromettent le bien-être et même l'existence de l'humanité. A leur sujet, l'ignorance est fu- neste et l'indifférence coupable. La question de la protection de la nature doit prendre place dans les préoccupations de l'opinion mon- diale. Rupture des équilibres naturels Le danger de l'action humaine sur la nature dérive essentielle- ment de ce que, par des interventions plus ou moins réfléchies, (*) Grâce à des greffons que le dendrologue DODE a pu faire venir de Sicile, Y Abies nebrodensis est représenté par plusieurs pieds dans l'Arboretum des Barres. De même, des plants issus de graines de Pinus laricio var. maureta- nica, envoyés en 1928, ont permis de constituer dans des arboretum de pe- tits massifs de cette essence. Des espèces en danger de disparition totale dans la nature sont ainsi maintenues en culture. Le cas du Ginkao biloba, inexistant à l'état spontané, et qui n'a été conservé depuis des siècles que grâce à sa culture près des temples, est classique. LA PROTECTION DE LA NATURE 503 l'homme provoque la rupture des équilibres naturels établis au cours des temps entre les êtres vivants rassemblés sur une même surface. Du fait des interréactions entre végétaux soumis aux mêmes condi- tions de milieu, se constitue un groupement que l'on peut définir par son aspect ou par sa composition. On sait que, suivant le point de vue adopté, le groupement est une formation, où les espèces se révèlent par leur physionomie et leur importance numérique, ou bien une association, où les espèces, liées à des conditions d'existence uniformes, se mêlent en proportions déterminées. Mais aux plantes s'associent des animaux qui trouvent dans la station garnie de vé- gétation leur habitat, leur biotope ; les interréactions entre animaux et plantes concourent à expliquer l'ensemble du groupement d'êtres vivants, la biocénose. C'est à propos de ces groupements, où dominent les végétaux li- gneux, les forêts, que Ton peut observer les plus remarquables exemples d'équilibre naturel et uploads/Geographie/ rff-1953-7-8-500.pdf

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