Mohsen Ben Hadj Salem Architecte, Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme

Mohsen Ben Hadj Salem Architecte, Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, Doctorant au laboratoire Cresson (Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain), Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble. 1. Brève mise au point sur l’ « identité » Si habiter l’espace c’est exister dans le monde, ainsi que l’a affirmé Martin Heidegger, l’architecture définit l’existence même de l’homme et détermine également son positionnement par rapport au monde. Ce faisant elle prend une part active dans la définition de son identité. L’architecture serait ainsi doublement liée au concept d’identité, jouant simultanément le rôle d’instrument et de convoyeur. Son rapport avec l’identité, induite ou reflétée, résulte de la conjonction de ses composants matériels et de sa charge émotionnelle. L’architecture raconte une histoire, voire incarne l’histoire même, qu’elle enferme dans ses parois et ses formes. Ainsi le concept d’identité apparaît semblable à un jeu de miroirs. Cette identité n’est pas pour autant immuable. Au contraire, elle sujette à de continuelles réévaluations de la substance identitaire elle-même. Ceci devrait théoriquement expliquer la multiplicité des réponses qu’apporte l’architecture à la quête identitaire. Or, il est inutile de rappeler que la réalité à laquelle nous assistons tous les jours, annule cette théorie. a/ Référents d’identification : Pour que l’architecture devienne « parlante », pour qu’elle révèle sa « signification », elle a besoin de s’appuyer sur des référents d’identification ; ainsi se sert-elle de ses deux coordonnées fondamentales, l’espace et le temps. Apparemment, l’espace détiendrait la primauté en tant que référent identitaire, car poser des fonctions sur un site préoccupe les architectes depuis toujours. b/ Le rapport avec le temps : En architecture, c’est le rapport avec le temps qui incite la quête identitaire. L’image identitaire est construite explicitement à partir des grandes œuvres du passé, dans lequel on puise comme dans un précieux gisement. L’architecture est perçue, donc, comme marque identitaire, d’autant plus que ses édifices sont les premiers à accueillir le voyageur étranger et à lui forger une image de la grandeur du peuple qui les a construits. Mais pour parler fièrement de ce que l’on appelle un « style national », il n’est pas suffisant de reconnaître aux sources historiques leur dimension identitaire si l’approche n’est pas explicitement engagée. Utilisant le temps comme référent d’identification, l’architecture relie le passé, où elle a ses racines, à l’avenir, qu’elle vise constamment en « bâtissant » un héritage pour les générations futures. c/ Le rapport avec l’espace : L’espace abstrait, en tant que coordonnée fondamentale de l’architecture, supporte des lectures différentes, qui se traduisent par des espaces spécifiques : nature, lieu, milieu, site, contexte, environnement. Le recours à l’espace comme référent identitaire déplace l’accent de l’histoire vers l’ethnicité. Ainsi, la compréhension de la tradition gagne en complexité. L’architecture n’est pas uniquement le résultat des époques passées, mais aussi (et surtout) le fruit du sol où elle est érigée et la production du peuple qui l’habite. Là où le créateur de « style national » s’évertuait à bâtir la spécificité, le régionaliste et le moderne sensible au génie des lieux devraient chercher à surprendre le particulier. Tandis que le rapport avec le temps nécessite une médiation, le rapport avec l’espace est immédiat ; dans un cas, il est question d’interprétation, dans l’autre d’appropriation et d’adaptation. 2. Analyser la ville en attendant son train Aujourd'hui, les divers acteurs scientifiques, culturels et politiques dans toute la région du Maghreb remettent en cause le concept de l'identité régionale. L’architecture et l’urbanisme, dans leurs théories comme leurs pratiques variées, sont passés à la loupe pour les ré intégrer dans une réflexion globale sur le devenir des villes. Plusieurs échelles et typologies architecturales et urbaines se trouvent abordées selon des méthodologies diverses qui traduisent un cloisonnement des disciplines engagées. Au lieu de se perdre dans une définition globale et statique du concept d’« identité régionale », nous allons cibler la place de l’identité ferroviaire d’une région dans son identité globale. En effet, suivre l’évolution du statut du chemin de fer suburbain est susceptible de dynamiser nos représentations des villes que nous habitons. La géographie domine très largement les travaux sur les transports des villes du Maghreb, d’ordinaire dominés par l’économie. En Tunisie, les bâtiments ferroviaires sont des symboles culturels, des signes qui ne renvoient à rien d’autres qu’eux-mêmes. Tunis demeure la ville la plus couverte sur le thème des transports et enregistre plusieurs thèses anciennes sur la question (Amor Belhedi [1980], Taoufik Belhareth [2004]). Pourtant, il nous semble qu’envisager une production scientifique relative à la ville et ses transports collectifs par champ disciplinaire est peu pertinente. Les travaux portent, soit sur les morphologies de la ville (centralité, polarité, etc.), soit sur les tracés techniques des réseaux de transports, mais rarement sur l’usager et les modalités de réception esthétique d’un service qui lui est destiné. C’est en réponse à cette insouciance sociale que la gestion urbaine répond par « une modernité individualiste » (Georges, 1991), issue de réponses ponctuelles. Mais la ville ne peut pas s’observer par strate disciplinaire, et c’est pourquoi nous avons souhaité s’engager dans une approche interdisciplinaire. Au Maghreb, au début du XXe siècle, les transports maritimes et ferroviaires apparaissent, colonisation oblige, et « relèvent plutôt des sciences juridiques » (Chanson-Jabeur, 1996). La même période a connu une multiplication des quartiers de gares, termes désignant les antennes du réseau ferré. L’auteur nous explique comment La seule expression de quartier de gare évoque un ensemble complexe « à la fois fonctionnel et social avec une morphologie utilitaire » : la gare elle-même, la place de la gare avec ses stationnements de voitures et d’omnibus à chevaux, vite relayés par les automobiles, les commerces au services des voyageurs, l’habitat des étrangers venus affronter la ville par le chemin de fer qui les a amenés de leurs campagnes. Aujourd’hui, l’hégémonie de l’automobile a conduit à l’appauvrissement des gares de chemins de fer, et pose une question plus importante dans le contexte tunisien contemporain, il s’agit de la ville perméable, de la ville trouée. Par une valorisation maîtrisée, les gares de chemins de fer peuvent devenir des marqueurs identitaires des villes, une qualité urbaine que le réseau routier tend à effacer. Aujourd’hui, dans les grandes villes dotées d’une infrastructure ferroviaire urbaine (uniquement Tunis dans le cas de la Tunisie), et au nom de la modernisation, des stations de transports publics collectifs apparaissent sans aucune harmonie avec le tissu urbain, d’autres sont abandonnées. A Tunis, les ancrages urbains des réseaux de transports (gare, station, abribus, parc de louages, taxis, etc.) ne font pas encore l’objet d’une réflexion approfondie touchant à l’intégration urbaine et paysagère ou le confort et la gestion qualitative des flux piétons. A notre sens, la question soulevée introduit l’existence d’une crise urbaine dont le déclencheur principal serait le rejet de la part du voyageur urbain des lieux d’ « habitat temporaire » qui lui sont destinés, à savoir les gares et les stations de métro ou de trains. Ce texte présente une lecture analytique des espaces de transitions que sont les stations de trains, et plus particulièrement le train Goulette-Tunis- Marsa qui traverse la banlieue nord de Tunis. Il est question de renouveler les approches unidisciplinaires de l’espace public tunisien, en se situant au carrefour d’une approche urbaine, une approche sensible et une approche anthropologique. Mais avant d’expliciter le croisement de ces approches, présentons d’abord les particularités du terrain d’investigation. 3. Le TGM: un Train “assigné à résidence” depuis 1872 « Tunis-Goulette-Marsa » est la première ligne suburbaine électrifiée du continent africain (Figure 1). Son origine remonte à l’époque des luttes pour le contrôle de la Tunisie dans les années 1870 . En 1905, le TGM connait deux grands changements ( Lazhar Garbi, 1991). L’électrification de la voie qui remplace le chemin de fer à vapeur et l’inauguration du premier tracé direct à travers le lac de Tunis. C’est désormais cette dernière qui prendra l’appellation de TGM. Figure 1: Inauguration du TGM en 1872. Gravure Smeeton-Tilly and Miranda. Source : SNT (Société Nationale des Transports). La ligne directe, Tunis-Goulette, est alors implantée sur une digue longeant le canal qui traverse le lac de Tunis. Elle permet de réduire le trajet de Tunis à la Goulette de 30 à 16 minutes, et celui de Tunis à Carthage de 45 à 26 minutes, grâce à prés de 65 trains journaliers dans chaque sens. C’est donc bien le TGM qui fut à l’origine de l’extension de Tunis vers le nord, créant ainsi ce qu’est devenue ensuite, en front de mer, la banlieue la plus prisée et la plus pittoresque de la capitale (Figure 2). Or, desservir et traverser la banlieue n’est pas une opération anodine ou passive. Figure 2: Tracé actuel de la ligne du TGM (Image Google Earth). D'abord, au début du vingtième siècle, s’éloigner de l'environnement urbain de Tunis était une manière de montrer sa richesse. La banlieue était alors un privilège (c’est encore le cas aujourd’hui mais pas pour les mêmes raisons), l’espace ouvert et calme de ses jardins et ses vues méditerranéennes paraissaient plus reposantes. La banlieue aurait uploads/Geographie/ tgm-mohsen-ben-hadj-salem-archi-mag-2008.pdf

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