Une exploitation durable des produits forestiers par les citadins d’Afrique cen

Une exploitation durable des produits forestiers par les citadins d’Afrique centrale : une gageure? Théodore Trefon* L'avenir des forêts tropicales et des peuples forestiers se joue paradoxalement en ville1. Les populations citadines, à la démographie galopante, emploient la forêt et ses produits d'une manière peu harmonieuse avec une exploitation durable. Leur perception de l'espace forestier et de ses ressources contribue en partie à cette exploi- tation. Ceci est vrai aussi bien pour les couches populaires que pour les élites. Le déboisement périurbain et la disparition des espèces sont directement liés à la précarité économique dans les villes en Afrique. Cette situation risque de s'accentuer et donc d'avoir un impact négatif sur les relations entre les peuples forestiers et leur environnement, autrefois caractérisés par une symbiose relative. Les répercussions socio-économiques ainsi qu'environnementales qui en découlent peuvent être dramatiques. Une réflexion sur l'interface ville-forêt a commencé suite à une inter- rogation apparemment simple : la forêt est-elle dans la ville ou la ville dans la forêt? Cette question s'est révélée néanmoins une véritable énigme. Le volet ville-forêt du projet APFT a donc comme objectif de mieux comprendre comment des populations urbaines contribuent aux dégradations environnementales, surtout en zone périurbaine, et comment elles peuvent aider à ralentir le processus. - 183- *APFT/Centre d’anthropologie culturelle, Université Libre de Bruxelles 44 avenue Jeanne, 1050 Bruxelles 1Cette recherche est poursuivie dans le cadre du projet européen « Avenir des Peuples des Forêts Tropicales ». Des versions préliminaires de ce papier ont été présentées à la African Studies Association, Annual Meeting, novembre 1995, Floride (Etats-Unis) et à l'Université de Kent à Canterbury (Angleterre), février 1996. L'importance de cette interface découle d'une série de priorités inter- nationales dont les plus évidentes sont le développement économique et social, la protection de l'environnement, la maintenance de la biodi- versité et une tentative de gestion de la crise urbaine liée à la croissance démographique. Bien que de nombreuses recherches de pointe aient été menées pour chacun de ces thèmes - et beaucoup ont combiné deux d'entre eux -, aucune tentative n'a été faite jusqu'à maintenant de juxtaposer les trois en un paradigme théorique unique. Afin d'y contribuer, nous allons aborder la question suivante : les besoins d'approvisionnement des citadins en produits forestiers sont- ils compatibles avec une exploitation durable? Deux éléments qui nous amènent vers une réponse sont d'abord le processus de l'urbanisation et la complexité du changement démographique qui en résulte et ensuite les motivations de la consommation urbaine des ressources forestières. L'analyse qui suit est basée sur une revue bibliographique et une description de nos résultats préliminaires. La croissance urbaine L'expansion des villes d'Afrique subsaharienne due à l'exode rural, l'explosion démographique naturelle alarmante et la sévérité des conditions matérielles et politiques ne laissent que peu d'espoir aux urbanistes d'en renverser le cours (Stren et al., 1993). Bien que le phénomène d'urbanisation soit relativement récent, une très large partie de la population du continent vit aujourd'hui en ville. Les données fiables manquent mais on estime que plus de 50% des Camerounais, Congolais et Zaïrois vivent en ville. Selon le dernier recensement, 73 % des Gabonais sont des urbains (République Gabonaise, 1993, p. 7). En Guinée équatoriale, plus de 60% de la population se trouvent à Malabo (Sayer, et al. 1992, p. 161). En 1990 il y avait 18 villes en Afrique subsaharienne avec plus d'un million d'habitants : selon les prévisions, il y en aura 70 en 2020 (Venard, 1995, p. viii). Une ville, selon les définitions de différentes organisations nationales et internationales, est une agglomération avec une population minimum de 5.000 à 20.000 habitants. Les critères purement numériques ne sont cependant pas d'une importance prédo- minante ici car la pression culturelle sur des ressources forestières, par exemple, peut être aussi forte que la pression matérielle. Ainsi, certains produits forestiers peuvent être autant menacés par une ville comme Libreville avec ses 500.000 habitants que par une mégalopole comme Kinshasa avec 5.000.000. D'autres critères s'ajoutent à celui-ci pour définir la nature urbaine d'un peuplement humain, comme par exemple l'existence d'une activité économique spécialisée à plein temps, la structure de l'habitat, l'organisation de l'infrastructure, ou la - 184- durabilité de l'agglomération (Bairoch, 1996, p. 21-22). Le concept de « ville » dans notre analyse est plus fonctionnel que quantitatif ou matériel et il trouve son sens dans une définition articulée par Marcel Wertheimer pour les villes africaines. Pour lui, une ville secondaire est « une agglomération dont les habitants exercent de façon permanente les fonctions diversifiées de l'administration, du commerce, de l'industrie et/ou de l'artisanat, des services publics et privés, de l'agri- culture, mais où la fonction agricole n'est pas dominante. Une ville primatiale est celle où toutes les fonctions.sont présentes et auxquelles s'ajoutent la fonction gouvernementale et la fonction de relation privilégiée avec l'étranger » (Wertheimer, 1985, p. 138). Pour des citadins en général, l'intégration dans la vie urbaine est marquée par une transition de l'économie d'autosubsistance vers une économie de service ou de marché. La plupart des villes importantes d'Afrique subsaharienne d'aujour- d'hui furent fondées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle afin de servir l'entreprise coloniale triple : administration, commerce, prosélytisme. Néanmoins, «...les villes avaient existé un peu partout en Afrique depuis très longtemps...» (Coquery-Vidrovitch, 1993, p. 33- 37). Les facteurs économiques, agricoles et politiques ont influencé directement le phénomène d'urbanisation. Pour la partie ouest d'Afrique centrale, les origines urbaines sont liées à un contexte écologique favorable, le développement du commerce à longue distance, la production de quelques biens de consommation ainsi que l'émergence d'une société complexe et très centralisée (de Maret, sous presse). Les puissances coloniales ont contrôlé l'organisation spatiale des villes selon une ségrégation stricte entre Européens et Africains. Elles ont aussi veillé sur la taille de la population urbaine afin de satisfaire leurs besoins de main-d'œuvre et de garantir une stabilité politique. Dès l'indépendance, cependant, les villages se vidaient des jeunes qui allaient tenter leur chance en ville. Certains cherchaient des emplois, des services de santé, des écoles ou les divertissements, tandis que d'autres voulaient s'échapper d'une vie rurale caractérisée par un travail physique éprouvant, le sentiment d'ennui et des codes sociaux souvent astreignants. La peur de la sorcellerie, considérée comme omniprésente dans les villages, a aussi été avancée comme une raison de cette migration (Rowlands et Warnier, 1988, p. 121). Les migrants étant en général jeunes, leur taux de fertilité élevé, la natalité urbaine est plus importante que dans les zones rurales. Ces facteurs combinés font de ces enclaves de modernité relative des melting pots de groupes ethniques très hétérogènes qui continuent à croître. Un peu partout en Afrique centrale, la gabegie est généralisée et les populations urbaines sont extrêmement pauvres : ils vivent dans une précarité dramatique caractérisée par la malnutrition, toutes sortes de maladies - 185- Villes du Sud et environnement endémiques, une criminalité croissante, des problèmes psycholo- giques, etc. Encore pire, la pauvreté urbaine est un phénomène cumulatif (Iliffe, 1987, p. 164-192). Au fur et à mesure que ces populations se rendent compte combien il est difficile de trouver un logement, la nourriture, un travail et les autres services qu'elles associent à « la vie urbaine », la tendance à retourner au village pourrait se développer davantage : jusqu'à présent il n'y a que relativement peu de mouvement dans cette direction. Par contre, le phénomène de « l'africanisation de la ville africaine » est très visible (Stren, 1995) : la ville commence à ressembler de plus en plus au village à cause d'une nouvelle organi- sation de l'espace due à des changements d'attitudes et des comporte- ments influencés par les exigences socio-économiques. Malthus et au delà Est-ce que l'augmentation de la population urbaine constitue réellement une menace environnementale ou un danger d'épuisement des ressources forestières? Jusqu'à il y a peu de temps, les observa- teurs des tendances démographiques africaines ont effectivement perçu le problème de la croissance urbaine selon l'interprétation malthusienne : le rapport entre l'augmentation de la population et la pression sur des ressources naturelles étant directe. Cette analyse existe déjà dans un cadre historique : «la Rome Antique [une des premières villes à compter plus d'un million d'habitants] est un exemple frappant de l'effet parasite de la vie urbaine. Pour nourrir sa population, de vastes régions fertiles d'Espagne et d'Afrique du Nord ont été surexploitées et se sont finalement désertifiées. Les forêts des régions méditerranéennes ont été déboisées et le phénomène a été irréversible » (Oestereich, 1992, p. 58-59). Des échos d'une telle interprétation sont encore fréquents et énoncés par exemple, par la Banque Mondiale : « en Afrique subsaharienne, l'agriculture itinérante sur brûlis - face à une croissance démogra- phique - est en train de provoquer un cycle pervers de dégradation du sol et de productivité réduite » (Serageldin, 1994, p. 1, notre traduction). De même, pour le Biodiversity Support Program : « les produits forestiers subissent toutes sortes de pressions mais l'aug- mentation de la population est peut-être la plus importante. Étant donné les faiblesses infrastructurelles dans bien des secteurs de la vie uploads/Geographie/ trefon-theodore-une-exploitation-durable-des-produits-forestiers-par-les-citadins-de-l-x27-afrique-centrale-une-gageure.pdf

  • 38
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager