108 | V A N I T Y F A I R O C T O B R E 2 0 1 6 À L’ÉCOLE DU POUVOIR Dans le su
108 | V A N I T Y F A I R O C T O B R E 2 0 1 6 À L’ÉCOLE DU POUVOIR Dans le summer camp de l’Insead, les jeunes ne se refusent rien. À 16 ans, ils rêvent déjà de prendre les rênes d’une entreprise... ou de leur pays. VANITY FAIR POUVOIR P H O T O G R A P H I E A L E X A N D R E H A L B A R D I E R « Quand je serai président » Ils ont entre 15 et 17 ans, des parents qui les poussent et de hautes ambitions. Cet été, pendant que leurs copains chassaient les Pokémon, ces ados venus des cinq continents ont passé deux semaines à l’Insead, la meilleure business school au monde. SOPHIE DES DÉSERTS s’est glissée sur le campus de Fontainebleau pour espionner ces leaders de demain. CO - école Insead [P].indd 108 01/09/16 19:12 O C T O B R E 2 0 1 6 V A N I T Y F A I R | 1 09 » CO - école Insead [P].indd 109 01/09/16 19:12 ALEXANDRE HALBARDIER 11 0 | V A N I T Y F A I R | www.vanityfair.fr O C T O B R E 2 0 1 6 A vant de s’envoler pour la France, Marc a envoyé un courrier à la Maison Blanche. De son écriture ciselée, tout en lettres majestueuses, le garçon de 1 7 ans a demandé à Barack Obama de modifi er la loi afi n qu’un résident américain né à l’étranger puisse se présenter à la candidature suprême. « Actuellement, c’est impossible, ex- plique-t-il en récitant l’article II de la Constitution qui fi xe les condi- tions d’éligibilité du chef de l’État. Moi, je vis depuis toujours aux États-Unis mais je suis né aux Pays-Bas. J’espère faire bouger les choses car j’envisage sérieusement de devenir président des États- Unis. » Il le dit d’un trait, sans ciller, d’une voix de vieux sénateur qui détonne avec ses joues tendres et ses taches de rousseur. On peine à retenir un sourire ; il reste droit dans sa chaise, avec son corps de géant crispé par une jambe raide depuis la naissance. Marc ne peut pas courir mais il est sûr de sa destinée. En cette fi n d’après-midi, un rayon de soleil illumine ses yeux clairs. Il a quelque chose de Bill Gates. Autour de lui, sur la pelouse, des ados jouent aux échecs, au foot, à Candy Crush. Joyeuse mêlée de toutes les couleurs, têtards à lunettes, grandes asperges, nymphettes en short, fi ls à papa gorgés de doutes ou de morgue. Ils sont venus d’Alle- magne, de Chine, de Russie, du Nigeria, du Qatar, du Brésil, d’Aus- tralie pour se retrouver ici, à Fontainebleau, au Sud de Paris, à l’In- sead, la prestigieuse école de commerce numéro un au classement mondial pour son MBA, devant Warwick et Harvard, d’après le palmarès du Financial Times. C’est là qu’ont été formés l’ancien patron de L’Oréal, Lindsay Owen-Jones, le directeur de Google France, Nick Leeder, les héritiers des Galeries Lafayette, Philippe et Nicolas Houzé ; là encore que le ministre Arnaud Montebourg a opéré sa conversion aux aff aires, tout comme le mannequin Natalia V odianova sur les conseils d’un ancien élève, son mari Antoine Arnault, fi ls du fondateur de L VMH. Les jeunes éparpillés sur la pelouse l’ignorent. Eux, ils savent simplement qu’ils sont à Top Gun. Ils ont entre 1 5 et 1 7 ans, des ambitions folles, un avenir à bâtir. Ils se préparent dans ce camp de vacances unique au monde. Au programme, challenges et jus de cerveau, initiation au business, au marketing, à la négociation. Deux semaines à 5 200 euros pour entrer dans la peau d’un futur dirigeant. Soixante-dix lycéens ont signé, souvent poussés par les parents. Ils ne le disent pas, ils sont si fi ers. « Nous avons une chance inouïe », confesse Marc en feuil- letant un bilan fi nancier qu’il doit décortiquer dans la soirée. Il s’excuse, impossible de traîner : à 23 h, c’est l’extinction des feux. 1 2 CO - école Insead [P].indd 110 01/09/16 19:12 ALEXANDRE HALBARDIER www.vanityfair.fr | V A N I T Y F A I R | 1 11 O C T O B R E 2 0 1 6 DEVOIRS DE VACANCES (1) Adrian Johnson, le professeur créateur d’un cours d’entreprenariat dont les élèves raffolent. (2 et 5) Révisions jusqu’à l’extinction des feux. (3) Ilaan, 16 ans, venu de Madagascar, et Tatiana, parisienne. (4) Daria, originaire de Moscou, inscrite au programme avec son frère jumeau. Insuffl er la niaque à des enfants gâtés, c’était l’objectif premier de ce summer camp initié par les dirigeants émiratis préoccupés par leur jeunesse. À Abu Dhabi où l’Insead possède depuis dix ans une antenne, le professeur de stratégie Peter Zemsky a sou- vent échangé avec l’infl uente Amal Al Qubaisi, la responsable du conseil supérieur de l’éducation du royaume, aujourd’hui à la tête du Parlement. « En 2014, elle m’a demandé de réfl échir à un programme pour transmettre aux jeunes de son pays le goût d’entreprendre », se souvient l’enseignant toujours en quête de programmes novateurs et rentables pour son école. Au soleil de Fontainebleau, sur la terrasse de la cafétéria, Zemsky bouillonne dans sa chemise Oxford ; allure d’éternel étudiant, large sourire qui ne se met pas en avant. « C’est l’ancien patron de Vuitton, Yves Carcelle – décédé il y a deux ans – qui m’a suggéré de faire venir les Émiratis sur le campus de Fontainebleau. J’ai alors imaginé, en tâtonnant, ce stage pour les 1 5-1 7ans. L’idée est de les faire réfl é- chir à leur avenir, les initier au monde des aff aires, les préparer s’ils veulent être les meilleurs. » Que peut-on saisir du management à l’âge des premières rébellions ? Et quid d’un business plan quand on taxe régulièrement ses parents ? Faut-il vraiment plonger si vite dans le grand bain de la compétition ? Zemsky soupire, presque gêné : « Aujourd’hui, c’est ainsi. Pour décrocher les bonnes écoles, il faut partir de plus en plus tôt. » L’expérience a commencé à l’été 201 5, principalement avec des jeunes Émiratis fi nancés par leur pays. Quelques mois plus tard, avec la chute des revenus pétroliers, Abu Dhabi jetait l’éponge. Alors le summer camp a été proposé à d’autres enfants, et d’abord à ceux des anciens élèves de l’Insead. À plus de 5 000 euros l’ins- cription, sans compter le voyage, il ne devait pas y avoir foule ? « Détrompez-vous, cet été, on a plus de trente nationalités, note Zemsky, en regardant les petits Chinois qui lèchent leur crème brûlée à la table d’à côté. Nous avons même refusé des candi- dats. » La sélection s’est faite sur bulletins scolaires et lettre de mo- tivation, avant un entretien via Skype en anglais. On ne rentre pas comme ça dans le cercle des graines de leaders. J’ai pu m’y glisser durant plusieurs jours et assister aux cours, à condition de ne pas dévoiler l’identité des participants, sauf si leurs parents donnent leur autorisation. Ces derniers n’ont pas forcément envie que leurs noms apparaissent. Ils sont souvent propriétaires ou dirigeants d’un grand groupe, cadres haut placés d’Apple, Visa, Microsoft, avocats d’aff aires, stars de la fi nance... Un père confi e que son fi ls 3 4 5 « POUR DÉCROCHER LES BONNES ÉCOLES, IL FAUT DÉMARRER DE PLUS EN PLUS TÔT. » peter zemsky (professeur de stratégie) CO - école Insead [P].indd 111 02/09/16 16:27 ALEXANDRE HALBARDIER 11 2 | V A N I T Y F A I R | www.vanityfair.fr O C T O B R E 2 0 1 6 DREAM TEAM (1) Détente à l’heure du déjeuner. Akram (2) et Marc (3) ambitionnent tous deux de devenir présidents de leurs pays. (4) Siji, le Nigérian scolarisé dans un pensionnat anglais, rêve de devenir footballeur. (5) Gaspard, le Français, ancien de Saint-Jean de Passy, aujourd’hui pensionnaire à Lille, vise Polytechnique Lausanne. l’a appelé un soir en panique : « Papa, ils viennent tous de familles avec des jobs de ma- lades. » C’était le premier jour, alors que quelques vantards se plaignaient d’avoir écourté leurs vacances à Miami ou Ibiza. L’un d’eux avait même rejoint Paris en jet. Ceux-là débarquaient bron- zés en polo Ralph Lauren, le cœur fâché contre les parents, l’œil morne devant les fi lles à lunettes. Ils n’avaient pas encore décou- vert Fiona, Anna, Suzanne, Rebecca, ces fusées pleines de grâce qui, bientôt, leur en mettraient plein les yeux. Chacun regagnait sa chambre, tout de même rassuré d’être logé comme à l’hôtel avec une grande télé et un lit douillet. Le deuxième jour, après une séance de team building dans la forêt – courses, jeux, escalades entre les rochers – on ne se regarde plus de travers. Le travail en groupes, supervisé par des uploads/Geographie/ vanity-fair-oct-2016.pdf
Documents similaires
-
18
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 01, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 2.3612MB