Thème du mois 4 La Vie économique Revue de politique économique 1/2-2010 À notr
Thème du mois 4 La Vie économique Revue de politique économique 1/2-2010 À notre époque, 90 ans d’histoire écono- mique représentent presque une éternité. En 1920, le revenu moyen était cinq fois plus bas que maintenant et la Suisse comptait moitié moins d’habitants. Les deux tiers des person- nes actives travaillaient soit dans l’agriculture (26%), soit dans l’artisanat et l’industrie (44%), alors que ces secteurs en emploient actuellement à peine plus d’un quart. Avant, la vie était plus dure, plus courte et plus dan- gereuse. La grippe espagnole qui a sévi entre 1918 et 1919 a fait 25 000 victimes en Suisse et l’espérance de vie moyenne se situait autour des 60 ans. En matière de politique économique, deux mondes séparent 1920 de l’époque ac- tuelle. Les relations entre les patrons et la classe ouvrière ont été profondément désta- bilisées par la grève générale de novembre 1918. Les partis bourgeois et de gauche avaient des positions très éloignées. Lors de son congrès de 1920, le parti socialiste suisse (PSS) a voté un nouveau programme qui condamnait la démocratie bourgeoise et prévoyait la dictature du prolétariat après l’obtention de la majorité parlementaire. Certaines factions des partis bourgeois sou- haitaient, en revanche, un retour à l’autori- tarisme afin de faire plier le mouvement des travailleurs. Il a fallu attendre les an- nées trente pour que la gauche et la droite commencent à se comprendre. Le PSS a ob- tenu son premier siège au Conseil fédéral en 1943. Si l’on compare l’époque actuelle avec le passé, ce ne sont pas les différences qui ont besoin d’être expliquées, bien qu’elles sautent aux yeux. L’histoire économique de notre pays est davantage marquée par la constance, puisqu’il comptait déjà, à cette époque, par- mi les plus florissants au monde. Comment cela s’explique-t-il? Pourquoi la Suisse est-elle riche? L’histoire économique nous répond Tobias Straumann Institut de recherche économique empirique de l’université de Zurich L’histoire nous apprend qu’il est quasiment impossible de réussir sans des circonstances favorables. Cela s’applique également à l’his- toire écono mique suisse de ces 90 dernières années. Trois fac- teurs exogènes ont eu un effet particulièrement favorable dans cette réussite: une paix perma- nente, la croissance de nos grands voisins à partir de 1945 et la structure économique héritée du XIXe siècle. L’histoire nous montre aussi que pour réussir il faut sa- voir saisir la balle au bond. Parmi les atouts suisses, on trouve l’ex- cellente qualité de son capital hu- main et une politique économique axée sur la stabilité. En d’autres termes, la chance et l’intelligence sont à l’origine de la réussite de l’économie suisse des 90 derniè- res années. Nous analysons ci- après ce mélange singulier. Le succès de l’économie suisse résulte à la fois de l’effort personnel et de circonstances favorables. La qualité du capital humain fait partie des forces internes de la Suisse. En illustration: carte postale de 1920 de l’École polytechnique fédé- rale de Zurich fondée en 1854. Photo: Keystone Thème du mois 5 La Vie économique Revue de politique économique 1/2-2010 guerre, ou l’inflation ou la confiscation. Le fait que les banques étaient à même d’offrir une protection particulièrement élevée de la sphère privée a favorisé indubitablement ce processus, à moins qu’il ne l’ait même dé- clenché. La stabilité politique et économique d’une Suisse épargnée par la guerre a été dé- terminante. À la remorque des grands voisins Il faut dire aussi que la Suisse, qui a une économie nationale ouverte mais de faible ampleur, est entourée de voisins économi- quement puissants, surtout l’Allemagne qui a connu une sorte de renaissance après la Se- conde Guerre mondiale. De même, la de- mande venant de France et d’Italie du Nord a stimulé l’industrie exportatrice suisse après la Seconde Guerre mondiale. Au cours des dernières décennies, l’importance du marché européen s’est relativisée mais les trois quarts de nos exportations s’écoulent toujours dans les pays voisins. Si l’Allemagne a des problè- mes, les exportations suisses en souffrent im- médiatement, comme le prouve la crise éco- nomique actuelle. Outre les exportations, les activités finan- cières et le tourisme ont aussi profité de la prospérité croissante de nos grands voisins. À cela s’ajoute que l’immigration d’ingé- nieurs et de scientifiques a permis de résou- dre le problème de la relève indigène, laquelle était trop modeste dans les domaines où la Suisse excelle. La chimie bâloise et les gran- des entreprises de l’industrie des machines, par exemple, n’auraient pas pu se développer de la sorte sans spécialistes venus de l’étran- ger. Autre motif et non des moindres: la poli- tique monétaire de la Banque centrale alle- mande s’est avérée extrêmement efficace. Alors que les autres banques centrales euro- péennes déclenchaient des inflations et d’im- portants mouvements de capitaux qui pous- saient le taux de change réel du franc temporairement vers le haut, les gardiens de la devise de notre principal partenaire com- mercial veillaient à la stabilité. La situation s’est encore améliorée grâce à la Banque cen- trale européenne. Sans l’euro, la dernière crise financière aurait provoqué à coup sûr un effondrement de la monnaie encore plus grave en Europe, ce qui aurait sensiblement affaibli la compétitivité de l’industrie expor- tatrice suisse. Une structure économique flexible La structure économique héritée du passé doit être considérée comme une immense chance. La combinaison entre une agricul ture orientée vers l’exportation, une produc- La croissance grâce à la paix La Suisse n’a jamais été envahie durant les 90 dernières années. Certes, la chance a joué un grand rôle, personne ne le conteste. Si l’armée allemande, au printemps 1940, n’avait pas progressé aussi rapidement, elle aurait vraisemblablement ouvert un deuxiè- me front pour pénétrer en France et celui-ci serait passé par la Suisse. La plupart des autres petits États de l’Europe occidentale qui, comme nous, faisaient valoir leur neu- tralité en cas de conflit ont eu moins de chance. Attaquée par les troupes allemandes pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, la Belgique a essuyé de très lour- des pertes, surtout dans les années vingt lorsqu’elle a souffert, d’une part, des dom- mages dus à la guerre et, d’autre part, des conflits politico-financiers qui ont freiné sa croissance. À l’opposé, après les deux guerres mon- diales, la Suisse est entrée sur les marchés mondiaux avec un appareil productif intact. Cette paix chanceuse a été un critère impor- tant de la croissance spectaculaire de la ges- tion de fortune au XXe siècle. Déjà à la fin des années vingt, c’est-à-dire avant l’introduc- tion du secret bancaire en 1935, la Suisse était le leader européen de la gestion de fortune. Après la Seconde Guerre mondiale, le mon- tant des fortunes étrangères a continué à croître parce que de nombreux citoyens européens craignaient ou une nouvelle Encadré 1 Immigration et croissance Au cours des 90 dernières années, le taux moyen d’immigration a été nettement supérieur à celui de l’émigration, mais cette évolution ne s’est pas faite de manière linéaire. Si, à défaut de meilleures données, nous prenons comme indica- teur le taux d’étrangers dans la population rési- dante permanente, on distingue quatre étapes: de 1920 à 1945, la part de la population étran gère résidante a diminué de moitié pour passer de 10 à 5%. Cela provient de la politique d’immigra- tion rigoureuse qui avait été instaurée et de la Seconde Guerre mondiale. Une première grande vague d’immigration a eu lieu pendant la phase de haute conjoncture qui a duré de 1945 jusqu’à la grande récession du milieu des années sep tante, durant laquelle la part de la population étrangère résidante est passée de 5 à 17%. Après une forte diminution de courte durée (14%) due au renvoi par la Suisse de plus de 150 000 saison- niers étrangers afin de lutter contre le chômage, une deuxième grosse vague d’immigration, qui se prolonge encore aujourd’hui, a commencé dans les années quatre-vingt. L’immigration et la prospérité sont les deux côtés d’une même médaille. Une économie de pe- tite taille et ouverte comme celle de la Suisse ne peut croître régulièrement que si elle recrute de la main d’œuvre étrangère. L’immigration – qu’el- le soit appréhendée en termes de taux ou de ges- tion – est d’abord une question politique. D’un point de vue économique, il importe qu’elle ne serve pas seulement à repourvoir des postes va- cants, mais qu’elle contribue à augmenter la pro- ductivité. Cela n’a pas toujours été le cas tout au long de l’histoire économique de ces 90 dernières années. C’est surtout pendant la période de hau- te conjoncture de l’après-guerre que les branches structurellement faibles ont recruté de la main- d’œuvre étrangère, appliquant en cela une stra- tégie des bas salaires dans le but de différer leur inéluctable déclin. Il en a résulté un effondre- ment particulièrement dramatique dans les an- nées septante. En revanche, la Suisse a toujours attiré une main d’œuvre hautement qualifiée. Sans cet atout, l’histoire économique de la Suisse des 90 dernières années aurait évolué tout autre- ment. Thème du mois 6 La Vie économique Revue de politique économique 1/2-2010 uploads/Histoire/ 04f-straumann.pdf
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- Publié le Jui 28, 2022
- Catégorie History / Histoire
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