L e s É t u d e s d u C E R I N° 107-108 - septembre 2004 Le Soudan d’un confli

L e s É t u d e s d u C E R I N° 107-108 - septembre 2004 Le Soudan d’un conflit à l’autre Roland Marchal Centre d'études et de recherches internationales Sciences Po Les Etudes du CERI - n° 107-108 - septembre 2004 2 Roland Marchal Le Soudan d’un conflit à l’autre Résumé La guerre au Sud-Soudan qui a débuté en 1983 semble toucher à sa fin grâce à la signature d’accords de paix en mai 2004. Pour tenter d’évaluer les chances de la paix, il convient de cerner l’évolution du régime islamiste depuis sa prise de pouvoir en 1989, et les effets produits par ses divisions internes et l’accès à des revenus pétroliers significatifs, comme par l’impact régional du 11 septembre. Il faut également s’interroger sur le contenu des accords et les difficultés auxquelles les Sud-Soudanais devront faire face dans leur délicate mise en oeuvre. La crise au Darfour souligne la modestie des résultats obtenus malgré une forte intervention internationale. D’une part, les problèmes structurels du Soudan (citoyenneté, forme de l’Etat) n’ont pas été résolus ; de l’autre, le régime ne paraît pas disposé à se réformer radicalement. Roland Marchal Sudan. From one conflict to the next Abstract The peace agreements that were signed in May 2004 may imply the end of the war in South Sudan. In order to assess the likelihood of success, one has to discuss the changes after the Islamists were brought to power in 1989 by a military coup. Of special interest are the impacts of their internal divisions, the emergence of oil money as significant revenues for the State and the consequences of 9/11 in the Middle East. Moreover, difficulties to implement the agreements in South Sudan should not be underplayed. The underdevelopment of this region, the existence of militias still supported by Khartoum and the history of the civil war among Southern Sudanese could give room to bitter divisions and proxy wars involving Khartoum’s government. The current crisis in Darfur reflects the weaknesses of the peace process despite a strong international involvement. Structural issues such as citizenship have not been addressed and this very crisis shows how little the regime intends to reform itself. Les Etudes du CERI - n° 107-108 - septembre 2004 3 Le Soudan d’un conflit à l’autre Roland Marchal CERI/CNRS Le 26 mai 2004, le vice-président soudanais, Ali Osman Mohamed Taha, et le dirigeant du MPLS/APLS1, John Garang de Mabior, signaient trois accords qui concluaient le cœur d’une négociation entamée en juin 2002 et laissaient espérer un accord global et final pour l’automne 20042. La paix semblait probable et non plus seulement possible, au terme d’un conflit qui avait débuté en mai 1983, après un premier épisode guerrier, de 1955 à 1972, et un premier accord signé alors entre insurgés sudistes et gouvernement de Khartoum à Addis-Abeba3. Pour la seconde fois depuis son indépendance, le 1er janvier 1956, le Soudan pouvait entrevoir le retour à une situation normale et bénéficier de la récente manne pétrolière (aujourd’hui près de 300 000 b/j) pour doper son développement. Pourtant, à l’annonce de cette nouvelle, la liesse populaire ne fut pas aussi grande qu’auraient pu l’escompter les observateurs internationaux. D’une part, la crise du Darfour et les accusations de génocide et de nettoyage ethnique à l’encontre du gouvernement troublaient quelque peu l’image d’une paix retrouvée : plus d’un million de personnes avaient été obligées de fuir leurs habitations en quelques mois, des milliers étaient mortes dans des combats, d’autres encore plus nombreuses allaient mourir des conséquences de leur déplacement forcé et des difficultés de l’accès à 1 Mouvement populaire de libération du Soudan/Armée populaire de libération du Soudan. 2 Le meilleur site pour se tenir informé de l’actualité soudanaise est http://www.sudantribune.com/ 3 La meilleure synthèse disponible sur cette guerre est celle de Douglas Johnson, The Root Causes of the Civil War in the Sudan, Oxford, James Currey, 2003. Cette lecture indispensable peut cependant être complétée par d’autres livres plus anciens et parfois plus partisans qui éclairent certaines facettes du conflit, notamment Lam Akol, SPLM/SPLA: Inside an African Revolution, Khartoum, Khartoum University Press, 2001 ; Abel Alier, Southern Sudan: Too Many Agreements Dishonoured, Exeter, Ithaca Press, 1990 ; Lazarus Leek Mawut, The Southern Sudan: Why Back to Arms ?, Khartoum, St George Printing Press, 1986. Les Etudes du CERI - n° 107-108 - septembre 2004 4 l’aide d’urgence. D’autre part, certains secteurs de la population urbaine entendaient exprimer leur réserve sur les implications de ces accords, peut-être moins sur leur contenu que sur l’identité des signataires. Les accords eux-mêmes garantissaient en effet pour plusieurs années encore le maintien aux affaires des principaux responsables du conflit. Lors de son premier discours au soir du coup d’Etat, le 30 juin 1989, le général Omar Hassan el-Beshir, chef de la junte militaire et président de facto du pays, avait promis la paix des braves et, bien évidemment, l’éradication de la corruption. La guerre, plutôt que la paix, avait pourtant été à l’ordre du jour pendant la décennie suivante et cela n’avait changé que grâce à des pressions internationales extrêmement fortes après le 11 septembre 20014. Encore, leur accouchement avait été difficile depuis la signature du premier protocole, en juillet 2002, à Machakos (Kenya): il avait fallu attendre deux ans durant lesquels celle-ci avait été promise jour après jour. A l’été 2004, le Soudan fait donc face à plusieurs paradoxes. Après avoir tenté avec un réel succès de se réinscrire comme un partenaire normal sur la scène régionale et internationale depuis 1996, certes non sans ambiguïtés, Khartoum est aujourd’hui pratiquement accusé du plus grave de tous les crimes, celui de génocide, par certaines organisations de défense des droits de l’homme5. Comment expliquer que pour régler un conflit sans apparente importance stratégique, les dirigeants soudanais aient adopté une stratégie militaire si violente et si coûteuse en termes diplomatiques ? Quant aux accords de paix, le débat sur leurs implications ne fait également que commencer. En effet, leur logique est de porter les nouvelles autorités du Sud-Soudan au niveau le plus proche de l’indépendance au sein du Soudan. Si cette lecture peut être contredite de multiples manières par une lecture attentive des textes, il reste que le mouvement de John Garang disposera pour une période intérimaire de plus de six ans d’une armée sous son propre contrôle, aura sa propre banque centrale, mettra en place un système judicaire spécifique. Un tel résultat valait-il les sacrifices consentis ou imposés depuis deux décennies ? Telle est la question que peuvent se poser notamment les familles desdits martyrs partis mener la guerre sainte (djihâd) au Sud- Soudan sur les injonctions de ce régime. Le présent texte tente une analyse de cette période singulière : un entre-deux entre la guerre qui n’a pas encore trouvé son terme dans quelques poches isolées du Sud- Soudan et se redéploie au Darfour, et une paix rêvée qui devrait être plus que le 4 Affirmer cela n’implique nullement qu’il y ait un lien organique entre les deux événements. La nomination du sénateur J. Danforth comme représentant spécial du président G. W. Bush date du 6 septembre 2001 et marque le début d’un processus diplomatique qui a conduit à la situation actuelle. Les événements du 11 septembre et leurs conséquences ont convaincu les dirigeants soudanais que des menaces américaines ne seraient plus seulement rhétoriques comme cela avait été, pour l’essentiel, le cas sous la présidence démocrate. 5 Human Rights Watch, Darfur Destroyed: Ethnic Cleansing by Government and Militia Forces in Western Sudan (http://hrw.org/reports/2004/sudan0504/) et Amnesty International, Sudan: Security Council has a Moral and Legal Responsibility to Act (http://www.amnesty.org.uk/) ainsi que Physicians for Human Rights (http://www.phrusa.org/research/sudan/). Seule cette dernière organisation soutient sans réserve l’accusation de génocide au moment où ce texte est écrit. Les deux autres organisations demandent de pouvoir se rendre au Soudan pour vérifier des données avant de donner un avis définitif, ce que leur refuse le gouvernement soudanais. Les Etudes du CERI - n° 107-108 - septembre 2004 5 cessez-le feu dont bénéficient les populations des monts Nouba, de la région du Nil bleu et d’une grande partie du Sud-Soudan depuis près de deux ans. Une telle analyse ne peut escompter rendre compte de la multiplicité des scénarios possibles ; elle peut à peine prétendre donner un aperçu sur quelques aspects cruciaux et certains points aveugles importants du discours politique actuel sur le Soudan. En particulier, à la question rituelle de savoir si la paix va prévaloir, la seule réponse possible est de souligner, au-delà de la complexité du processus politique enclenché par ces accords et de la très grande méfiance qui demeure entre les protagonistes, les énormes ambiguïtés qui parsèment les textes. Dans une première partie, cette étude rappelle l’évolution politique qui a incité depuis 1996 le régime à une certaine ouverture, lui a permis de se réinsérer sur la scène régionale, grâce au conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie engagé en mai 1998, et lui a donné dans sa division interne en 1999 les gages apparents d’un aggiornamento idéologique. Cette partie souligne uploads/Histoire/ etude-107.pdf

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  • Publié le Nov 24, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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