REGARDS CROISÉS SUR LES RELATIONS JUDÉO-MUSULMANES À LA VEILLE DE LA GUERRE D'A

REGARDS CROISÉS SUR LES RELATIONS JUDÉO-MUSULMANES À LA VEILLE DE LA GUERRE D'ALGÉRIE Benjamin Stora Les Belles lettres | « Archives Juives » 2012/2 Vol. 45 | pages 129 à 140 ISSN 0003-9837 ISBN 9782251694351 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-juives1-2012-2-page-129.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Les Belles lettres. © Les Belles lettres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Avec l’abrogation du décret Crémieux, le 7 octobre 1940, les Juifs n’étaient plus des citoyens français, même si, en droit, ils restaient de nationalité française. Ils se retrouvaient en situation d’indigénat, privés des droits du citoyen jusqu’en 19431. L’abrogation de ce décret est une mesure réclamée par l’extrême droite française depuis son adoption en 1870. La campagne pour l’abroga- tion monte en puissance, notamment au moment de l’affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, se développe après la Première Guerre mondiale, culmine enfin en 1936, au moment de l’arrivée au pouvoir du Front populaire dirigé par Léon Blum. De manière logique, abroger le décret Crémieux est donc l’une des premières mesures antisémites prise par le régime de Pétain, dès octobre 1940. Ce nouveau Statut pour les Juifs d’Algérie est particulièrement dur. Une clause portant numerus clausus, inexistante en métropole, touche immé- diatement les élèves des écoles du primaire et du secondaire. Regards croisés sur les relations judéo-musulmanes à la veille de la guerre d’Algérie Benjamin Stora Moïse et Adèle Saïd entourés de trois de leurs huit enfants et, un peu en retrait, pieds nus et foulard sur la tête, de leur toute jeune bonne musulmane, Meul Rhel (Les Attafs, Algérois, 1926). Coll. Serge Bensaïd. Mémoires Juives – Patrimoine photographique © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) 130 – Dossier : Français, Juifs et Musulmans dans l’Algérie coloniale Cette forte propagation de l’antisémitisme européen n’a pas manqué d’inquiéter les responsables de la communauté juive d’Algérie bien avant la guerre de 1939. Ce sentiment inspire à Joseph Kanoui, président du Consistoire, cet appel à l’unité, lors de la remise de la Légion d’honneur à Albert Lellouche, le 11 novembre 1935 : En ces temps très sérieux où les nuages s’accumulent, semblent obscurcir l’horizon, n’oublions pas que si l’orage doit éclater un jour prochain, c’est nous, qui, les premiers, en subiront les atteintes ; aussi, combien il importe que nous sachions nous entendre, nous grouper, nous unir. Combien de fois faudra-t-il répéter que de nos ressentiments personnels, de nos divisions, nos ennemis sauront profiter toujours, et que, pour résister aux assauts de la jalousie, de la basse calomnie, des menées occultes, malfaisantes, il est indispensable que nous sachions faire taire nos rancunes, nos ressentiments, et marcher la main dans la main2. En dépit de ces attaques et de ces humiliations, les Juifs d’Algérie n’ont cessé d’accorder, de 1870 à 1940, une grande confiance en la France, un pays pour lequel ils avaient « versé leur sang » lors de la Première Guerre mondiale. Passionnément attachés à la République française, ils savent depuis octobre 1940 que les campagnes incessantes livrées pour l’abrogation du fameux décret de 1870 peuvent aboutir. Le philosophe André Akoun témoigne : On comprendra combien fut dure la secousse qu’imposa l’abrogation, en octobre 1940, du décret Crémieux qui avaient fait de lui [il s’agit d’Akoun lui- même] et de ses pères, des citoyens français et qu’il découvrait au moment où celui-ci cessait d’être. Désormais ils devenaient des « juifs indigènes algériens », soumis à la loi du numerus clausus (Indigène c’était, pour lui, la façon inju- rieuse, la façon ampoulée, de dire arabe, comme on dit israélite pour montrer qu’on n’est pas antisémite, alors que juif !). Son père et ses oncles feignaient d’en rire et disaient « les Gaulois ne sont plus nos ancêtres ». Lui, lorsqu’au troisième mois de sa classe de sixième, on lui annonça qu’il était interdit de lycée, son premier sentiment fut le soulagement. Il n’aurait donc pas à rendre la version latine sur « les pyramides d’Égypte « à laquelle il n’avait rien compris. Ni honte d’être exclu ni sentiment d’injustice. Décidément la politique n’entrait pas comme telle dans sa vie3. Un doute s’est donc installé dans la communauté juive après la guerre, du fait de l’abrogation du décret, mais aussi de la lenteur mise à le rétablir, à la fin du mois d’octobre 1943, presqu’une année après le débarquement anglo-américain de novembre 1942. Même si l’atta- chement, la passion pour la République des Lumières et l’émancipation révolutionnaire restent toujours aussi forts chez la plupart d’entre eux, le rapport des Juifs d’Algérie à la France s’en trouve malgré tout modifié après 1945. © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) Sur les relations judéo-musulmanes à la veille de la guerre d’Algérie – 131 1945-1955 : Sortie de guerre Dans la jeunesse juive deux tendances se dessinent, encore très minoritaires mais actives. Tandis que certains jeunes Juifs s’ancrent dans le communisme et l’internationa- lisme politique par défiance vis-à-vis du nationalisme français, d’autres rejoignent les courants sionistes. Ils sont plusieurs centaines dans ce cas, surtout dans la ville de Constantine, et dans l’ouest du pays, comme le note le Bulletin de la Fédération des Sociétés juives d’Algérie, au moment de la création de l’État d’Israël en 1947-19484. Tandis que les uns regar- dent vers « la patrie du socialisme », l’URSS, les autres n’ont d’yeux que pour l’État d’Israël. L’apparition de ces deux mouvements indique en soi que les perspectives des Juifs d’Algérie ne sont plus exclusivement ni inconditionnellement françaises de même que leurs attaches, sans que soient pour autant rompus les liens très puissants tissés avec cette métropole admirée et fantasmée, que peu des Juifs d’Algérie connaissent réellement. Du côté des Algériens musulmans, l’éloignement à l’égard de la France coloniale et des promesses d’intégration se fait de plus en plus évident. Puisque le régime de Pétain a enlevé la nationalité française aux Juifs, c’est bien la preuve à leurs yeux que la France « peut retirer d’une main ce qu’elle a donné de l’autre », selon l’expression du leader de l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA), le nationaliste modéré Ferhat Abbas. Assurément, beaucoup d’entre eux ont caressé l’espoir, entre 1940 et 1942, de tirer profit des mesures d’interdictions professionnelles et du numerus clausus appliquées aux membres juifs des professions libérales. Certains musulmans naturalisés ont aussi compté se voir attribuer les emplois de fonctionnaires perdus par les Juifs évincés par le Statut. Dans son enquête, Marcel Reggui écrit : Après 1940, la route du commerce clandestin était libre, facile, fructueuse. Les musulmans usèrent de ce providentiel concours de circonstances pour améliorer leur vie ou élargir leurs entreprises ou en créer de nouvelles. Ils appri- rent, de 1940 à 1942, à commercer hardiment et collectivement. Aussi lorsque la venue des Alliés rendit aux israélites leur liberté commerciale, ceux-ci se trou- vèrent-ils en concurrence serrée avec les musulmans, ces derniers ayant acquis l’avantage du nombre, de la technique et de la cohésion5. Pourtant, sur le plan politique, les responsables musulmans font le choix, dès le début de l’année 1941, de demeurer dans l’expectative. On trouve ainsi dans les archives déposées à Aix-en-Provence, parmi les notes sur « l’Attitude des Israélites à l’égard des Indigènes », ce texte adressé au préfet le 13 septembre 1940 par le commissaire de Constantine, chef de la Police spéciale départementale : © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) 132 – Dossier : Français, Juifs et Musulmans dans l’Algérie coloniale Les indigènes se tiennent à l’écart du mouvement d’antisémitisme à Alger. Des mots d’ordre très nets ont été répandus parmi la population musulmane d’Alger, pour que les indigènes, quels que soient leurs griefs à l’égard des juifs, se tiennent uploads/Histoire/ aj-452-0129.pdf

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  • Publié le Mar 05, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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