AVANT-PROPOS Dans un volume, paru il y a une année, nous avons exposé les « Ori
AVANT-PROPOS Dans un volume, paru il y a une année, nous avons exposé les « Origines de la question du Tong-kïn ». Il a été en quelque sorte l'intro- duction du présent ouvrage. Dans ce premier volume, j'ai dit comment, au cours de mes voyages, nous fûmes amené à rechercher s'il n'é- tait pas possible de relier à la mer par une voie directe les riches provinces de la Chine sud-occi- dentale. Nous y avons montré comment nous eûmes le bonheur de gagner la confiance des mandarins de ces provinces et surtout du Yûn- nân, au nom et au service de qui fut effectuée l'exploration du cours du Fleuve Rouge. Par cette voie, nous ne tardâmes point à faire VI AVANT-PROPOS. remonter au Yûn-nân, dans l'espace de quelques mois, deux convois d'armes et de sel qui per- mirent au gouvernement chinois d'achever la pacification de ces contrées, troublées depuis longtemps par la rébellion musulmane. La voie nouvelle était découverte. Il fallait dé- sormais qu'un gouvernement l'ouvrît officielle- ment au commerce et se chargeât d'y protéger les commerçants de toute nationalité. Nous fîmes appel à la France, notre patrie, pour remplir cette mission, et c'est à ce moment que prit fin ce pre- mier volume. La France intervint. C'est l'histoire de cette intervention qui se trouve exposée dans le livre que nous publions aujourd'hui. Ce ne fut pas la France officielle qui se montra, mais seulement des Français isolés, qui agirent au nom de leur pays : lamentable histoire, qui n'est qu'une triste page de plus à ajouter à notre histoire coloniale, toute faite de tergiversations et d'hésitations plus funestes les unes que les autres. Pour composer ce volume, nous n'avons guère mis en oeuvre que des documents relevés clans différentes publications ainsi que les lettres, pro- AVANT-PROPOS. VII clamations et traités, dont il nous a été possible de prendre copie, soit sur les lieux mêmes, au cours des événements, à Hué notamment, soit à Canton, soit à Saïgon. Nous y avons ajouté quelques souvenirs personnels inédits, laissant de côté tout commentaire, car l'histoire des faits est suffisamment éloquente par elle-même. LE TONG-KIN ET L'INTERVENTION FRANÇAISE PREMIERE PARTIE LA SITUATION EN 1873 L'histoire des relations entre la France et l'An- nam est assez connue aujourd'hui pour qu'il soit permis d'en dégager la loi générale. Bien que cette histoire se jalonne de traités et de conven- tions pacifiques, nous assistons à une longue et monotone série de conflits, à la lutte opiniâtre de deux races et de deux principes. C'est la lumière et le progrès aux prises avec l'obscure ignorance et la fourberie. Dans cette histoire, le beau rôle est à la France toutes les fois que ses représentants ont l'habileté de rester sur le terrain de la franchise et de la loyauté. LE TONG-KIN. 1 2 LE TONG-KIN Malheureusement, ce rôle, la France ne l'a pas toujours eu; c'est ainsi que les événements et la politique que nous nous proposons d'esquisser dans ce volume ont abouti au triomphe d'une diplomatie incertaine et à la destruction d'une oeuvre, à la fois française et humanitaire, par des Français eux-mêmes. Il importe donc avant tout d'établir la situation telle que nous la trouvons au Tong-kïn au mo- ment de l'Intervention en 1873. I Historique. Il faudrait remonter au XVIIe siècle pour assister au premier débarquement de missionnaires fran- çais et de missionnaires espagnols sur une terre annamite. Nous ne le ferons pas. Les relations officielles entre la France et l'An-nam ne datent réellement que du séjour à Paris de Canh-dzué, prince héritier du trône d'An-nam. Ce prince était venu en France à la suite d'une formidable insur- rection, qui, d'un seul coup avait renverséles trois dynasties régnantes en Cochinchine, en An-nam et au Tong-kïn, celles des Trinh, des Nguyen et des Lê. En 1787, Canh-dzuéconclut, par l'entremise de Mgr Pigneau de Béhaine, avec la cour de Louis XVI ET L'INTERVENTION FRANÇAISE. 3 un traité d'alliance, puis il retourna dans son pays, accompagné d'un certain nombre d'officiers français. Ceux-ci prêtèrent à son père Nguyen- anh, plus tard le roi Gia-long, un secours assez efficace pour lui permettre de reconquérir ses Etats et même d'étendre sa domination sur le Tong-kïn. Hué devint seule capitale de tout le royaume, et Ha-noï ne fut plus qu'un chef-lieu de province (1802). Ce détail est important, si l'on se rappelle que depuis 1600 environ Annamites et Tongkinois avaient soutenu, avec des chances égales, une guerre presque incessante d'opiniâtre rivalité. Toutefois les deux peuples sont de même origine. Gia-long donna à la France des preuves de sa reconnaissance en laissant aux missionnaires et aux évêques catholiques une très large liberté. Mais, dès 1820, ses successeurs Minh-mang, Thien- tri et Tu-duc, eurent vite fait d'oublier les servi- ces rendus. Des persécutions de plus en plus vio- lentes, sur tous les points du royaume, amenèrent la prise de Tourane, puis, bientôt après, la con- quête par les Français et les Espagnols des trois provinces de la Basse-Cochinchine, My-tho, Saï- gon et Bien-hoa, concédées à la France par le traité du 5 juin 1862. Cette première prise de possession, ce premier échec des Annamites, coïncidait avec un soulève- 4 LE TONG-KIN ment général des Tongkinois. Ceux-ci voyaient dans les Français des libérateurs et des alliés na- turels puisqu'ils faisaientla guerre àleurs oppres- seurs de l'An-nam. A plusieurs reprises, le chef de la révolte, Lê-phung, — qui se disait être un des- cendant de l'ancienne dynastie nationale des Lê, — vint demander avec instance au vice-amiral Rigault de Genouilly, puis au contre-amiral Bon- nard, le concours d'une seule canonnière et de quelques hommes. Il offrait en échange d'accepter le protectorat de la France. Lesautorités françaises refusèrent d'intervenir. Cependant la révolte triomphait et Lê-phung comptait plus de quinze victoires, lorsque Tu- duc, aux abois, signa le traité du 5 juin. Il put aussitôt diriger toutesses forces contre les Tongki- nois victorieux, mais déjà fatigués de la guerre et pressés de retourner aux travaux de la campagne. Larésistancefut opiniâtre, mais enfin Lê-phungfut battu et mis à mort dans la plus cruelle des tor- tures. Écrasée aujourd'hui, l'insurrection allait re- naître demain. Toujours du sein du peuple ou du fond des montagnes de Dong-trieu surgissait un nouveau descendant — vrai ou faux, qu'impor- tait! — dela dynastie nationale des Lê. Et toujours le peuple était prêt à suivre l'étendard de la ré- volte. Cet état d'esprit s'explique aisément. ET L'INTERVENTION FRANÇAISE. 5 Les Annamites étouffaient la rébellion par la violence. Jamais ils n'essayaient d'en supprimer les causes, qu'il faut chercher avant tout dans l'oppression tyrannique et arbitraire des man- darins de Hué. Il faudrait un volume pour dire les vexations de tout genre dont on accablait la population indigène, après avoir détruit chez elle tout moyen de résistance. Toutes les fonctions publiques étaient données aux Annamites exclu- sivement. Pour se maintenir, ceux-ci venaient s'installer dans les villes, escortés de leurs parents et amis, toute une nombreuse et arrogante clien- tèle. Les Tongkinois, toujours exploités, ne pro- duisaient que ce qu'il leur fallait pour vivre misé- rablement. S'il leur restait un surplus à revendre, ils ne pouvaient le vendre qu'aux mandarins ou entre eux après y avoir été autorisés. Ils ne pou- vaient voyager d'un village à l'autre sans décla- rer le but et sans donner le détail de leur prome- nade. Pour éviter qu'on ne forgeât en secret des armes, tout achat de fer était surveillé et devait être déclaré, et dans la charpente des maisons les clous étaient remplacés par des chevilles en bois. Un esprit de méfiance et de haine régnait partout, et le pauvre paysan était trop heureux d'aban- donner au mandarin sa récolte pour n'être pas traîné en prison sous un prétexte quelconque. C'est ainsi qu'au moment où la France va inter- oppression peuple par mandari annamites 6 LE TONG-KIN venir, nous trouvons une population pauvre et misérable au milieu d'un pays très riche. « Les mandarins ruinent et oppriment le peuple; ils ne songent qu'à s'engraisser de ses dépouilles. » C'est le roi Tu-duc lui-même qui parle ainsi dans un édit de juillet 1864. « Les contributions que lèvent les mandarins, écrit neuf ans plus tard un évêque missionnaire du Tong-kïn, sont arbitraires et exorbitantes.Le peuple est accablé de vexations; le mécontente- ment est général. La misère est partout. « Quant à l'état social et politique de ce royaume, mieux vaudrait n'y point penser. Vous dire que tout va à la dérive, que tout s'écroule, c'est vous en faire la complète description. « L'armée et la marine sont dans un état déri- soire ; la politique n'est qu'un tissu de fraudes et d'injustices. Le commerce est soumis à des entra- ves sans nombre. » ands et pi- rates. Les indigènes qui ont eu l'heur d'échapper à la rapacité des autorités ont mille chances d'être les victimes des brigands et des pirates, contre lesquels mandarins et troupes royales demeu- rent impuissants. Si, à leur défaut, les popu- lations résistent elles-mêmes, c'est encore pis. Les pirates, alors, se réunissent en nombre et vont de village uploads/Histoire/ avant-propos-paru-la.pdf
Documents similaires










-
44
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 14, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
- Taille du fichier 6.0090MB