Cahiers de l'Association internationale des études francaises Introduction aux

Cahiers de l'Association internationale des études francaises Introduction aux problèmes de l'archaïsme Pr. Paul Zumthor Citer ce document / Cite this document : Zumthor Paul. Introduction aux problèmes de l'archaïsme. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1967, n°19. pp. 11-26; doi : https://doi.org/10.3406/caief.1967.2328 https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1967_num_19_1_2328 Fichier pdf généré le 20/04/2018 INTRODUCTION AUX PROBLÈMES DE L'ARCHAÏSME Communication de M. Paul ZUMTHOR {Amsterdam) au XVIIIe Congrès de Г Association, le 27 juillet 1966. I. — Le mot. Le mot archaïsme apparaît pour la première fois en français dans une lettre de Chapelain, en 1659 (1). Formellement et sémantiquement, c'est un emprunt au vocabulaire grec de la rhétorique. Chapelain, dissertant de quelques poètes espagnols, écrit de l'un d'eux que, en vue d'obtenir un effet de gravité, il « affecte l'archaïsme ». Il s'agit donc d'un procédé ďornatus, désigné en grec par archaïsmos, en latin par anti- quitas. Les textes cités par Lausberg (2) mentionnent ce procédé tour à tour comme un vice ou un défaut de Velocutio, selon que l'emploi de vetera verba contribue à la venustas ou nuit à la perspicuitas... Mais je ne ferai pas ici l'histoire du mot archaïsme : il me paraît plus important de l'observer dans l'usage moderne. Or, (1) Édition Tamisey de Laroque des Lettres, II, p. 74. — Le dictionnaire étymologique de Bloch-Wartburg (édition de i960) fait remonter le mot à « Balzac, 1659 ». C'est là évidemment une confusion avec Chapelain, Balzac étant mort en 1654. Au reste, le mot apparaît à plusieurs reprises (toujours dans le sens rhétorique) chez les doctes dans les années 1660 et suivantes : v. la note de Tamisey. (2) Handbuch der literarischen Rhetorik, paragr. 467, 546, 1058, et 1068. 12 PAUL ZUMTHOR il est frappant de constater que l'ancienne acception rhétorique est encore vivante, bien que le champ sémantique dont elle faisait partie ait été presque entièrement démantelé. Les dictionnaires semblent même ignorer qu'archaïsme puisse évoquer une autre notion. Il est vrai qu'ils le définissent dans deux perspectives différentes : celle, abstraite, des fins (« usage d'expressions et de tours vieillis ») et, conformément à l'usage le plus commun, celle, concrète, des moyens (« expression, mot, tour qui n'est plus en usage »). Tel est le contenu, à peine différent dans la formulation, de l'article archaïsme dans Littré et chez Robert. Grévisse (3) ne conserve que le second sens, lexical et grammatical. Il semble donc, à nous en tenir à ces sources et à d'autres semblables, qu'archaïsme désigne : d'une part, un objet particulier, tel ou tel mot ; d'autre part, une situation, un état de langue ou de style, impliquant un ensemble de relations et, selon toute apparence, d'intentions. Toutefois, la préface de Littré (citée, sans commentaire, par Robert) emploie le mot de façon différente, parlant, d'une manière générale, de l'archaïsme dans la langue comme de l'une des stratifications constituant l'épaisseur de celle-ci à chaque moment de l'histoire : « Toute langue... présente trois termes : un usage contemporain, ... un archaïsme qui a été lui-même autrefois usage contemporain ; et... un néologisme » (4). Nous sommes là sortis du vocabulaire de la rhétorique proprement dite. Mais si même cette acception est, comme il me semble, désuète aujourd'hui, du moins atteste-t-elle qu'<zr- chaïsme, comme bien d'autres termes modernes de linguistique, fut puisé par les linguistes dans l'arsenal lexical des rhétoriciens. Ce fait éclaire la définition légèrement ambiguë donnée par le Lexique de la terminologie linguistique de Marouzeau : « Archaïsme : caractère d'une forme, d'une construction, d'une langue qui appartient à une date antérieure à la date où on la trouve employée. » Le mot désigne ici un fait en tant qu'engagé dans une relation, en tant que mesu- (3) Le bon usage, p. 78. (4) P. IV. INTRODUCTION AUX PROBLÈMES DE L'ARCHAÏSME 13 rant ou révélant une distance entre deux points de la durée écoulée, et comme le passage de l'un à l'autre. Il suppose comparaison ; il invite à constater une dysharmonie... On relève donc un trait sémantique commun aux deux emplois d'archaïsme : une nuance relative à quelque sentiment d'une distance dans le temps, d'un écoulement de durée dont le locuteur prend conscience d'une manière qui l'engage plus ou moins, et implique de sa part un jugement de valeur (5). IL — Les faits désignés : en diachronie. Ce que l'on nomme l'archaïsme, sous quelque définition et dans quelque registre que ce soit, se rapporte évidemment au caractère historique de la langue. L'archaïsme, quel qu'il puisse être, n'est pensable que parce que la langue existe dans la durée et comporte une succession d'états. Or, les théoriciens grecs qui créèrent le terme archaïsmes entendaient désigner par là une situation stylistique particulière où, par artifice, un état de langue passé se trouve partiellement et provisoirement réassumé au sein d'un état présent. Cette valeur survit, plus ou moins estompée, jusqu'à nos jours dans toutes les acceptions du mot : archaïsme dénote toujours la constatation d'un contraste présent entre deux états considérés comme normalement successifs. C'est-à-dire que ce mot implique, fondamentalement et simultanément, une double notion : celle d'être-passé et de redevenir-présent ; celle de vieillissement et celle de résurgence. A) Vieillissement. — Les mots et, dans une mesure moindre, les formes grammaticales s'usent, s'estompent, meurent, pour être remplacés par d'autres. C'est là un processus (5) Cette nuance a, dans le mouvement de pensée qui provoqua l'emprunt du mot archaïsme, précédé celui-ci. V. dans F. Brunot, Histoire de la langue, III, I, p. 95 suiv., le lent dégagement, dans la première moitié du XVIIe s., d'une notion de vieillesse des mots, et les colorations affectives qu'elle reçut ; v. aussi G. Guillaumie, Guez de Balzac et la prose française, Paris 1927, p. 124-132. 14 PAUL ZUMTHOR continu ; mais, au niveau de chaque forme qu'il affecte, on peut distinguer dans ce processus deux « moments », successifs ou simultanés : la forme en question doit en effet : à) sortir d'usage ; h) être considérée comme vieillie. C'est là une distinction théorique. Les faits sont en réalité plus embrouillés. D'une part, en effet, sortir d'usage est, sauf dans des cas exceptionnels, une évolution progressive, pouvant comporter de multiples étapes. D'autre part, la forme sera considérée comme vieille avant d'être parvenue à la dernière de ces étapes. Enfin les causes du processus restent confuses (6). Si nous laissons de côté les mots qui s'étiolent parce que l'objet qu'ils désignaient a cessé d'exister, nous sommes, en fait, dans chaque cas particulier, reportés au plan du discours individuel. C'est ainsi qu'à une certaine époque le mot goupil a. cédé la place au mot renard. Sur le plan de la langue, on peut déterminer, d'une part, la date à laquelle renard a cessé d'être uniquement un nom propre et fut employé pour la première fois comme nom commun, d'autre part, la date à laquelle goupil a été employé pour la dernière fois (7). Normalement ces deux dates ne coïncident pas. Il y eut une période de concurrence croissante entre les deux mots. C'est durant cette période que goupil put être affecté d'un indice de valeur chronologique (ou sociale), et a pu être senti comme vieilli, ou comme paysan ou comme quoi que ce soit de ce genre. J'insiste sur senti : en effet, objectivement, la vieillesse se constate au fait que la forme ou la structure en question n'a plus d'avenir ; or, un tel critère n'est utilisable, en toute rigueur, que pour juger d'états de langue passés. En toute autre occasion, l'application de l'indice de vieillissement implique un jugement de valeur. Il existe, parmi les (6) Déjà F. Brunot, Histoire de lajlangue, IV, I, p. 242-243, s'interrogeait à propos de la disparition de tant de « vieux » mots au XVIIe s. : qu'est- ce qui les fit, en l'espace de peu d'années, tomber en désuétude ? Une trop grande ancienneté ? Un certain manque de vitalité ? Des préjugés d'origine littéraire ? Aucun de ces facteurs ne fut tout à fait déterminant. (7) F. E. W. XIV, 644 et XVI, 688. La période de concurrence entre les deux mots a pu s'étendre sur trois siècles (xive-xvie). INTRODUCTION AUX PROBLÈMES DE^L'ARCHAÏSME 15 sujets parlants et écoutants, un sentiment confus, et inégalement réparti, que tel mot est moribond : de préférence, on évitera ce mot ; ou bien on le recherchera, au contraire, à cause même de ce caractère (8). Mais ce sentiment peut difficilement être collectif et général, chaque locuteur, quelle que soit sa culture, ne possédant qu'une partie de la langue. La notion de vieillesse d'un signe linguistique est donc ambiguë et difficile à manier . Des mots comme ridicule, jadis, se remémorer furent taxés de « vieux » par plusieurs lettrés du xvne siècle ; ils conservèrent pourtant leur vitalité et ne sortirent pas d'usage. Monopole, succès, réussir, ne vieillirent que par un de leurs sens, l'autre y gagnant même en vitalité. Cité a vieilli, sauf quand il désigne la partie haute ou centrale d'une ville. Malice au sens de « méchanceté » n'a vieilli qu'en dehors d'un certain uploads/Histoire/ caief-0571-5865-1967-num-19-1-2328.pdf

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  • Publié le Aoû 24, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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