DE LA PÉRIODISATION EN HISTOIRE AFRICAINE. PEUT-ON L'ENVISAGER ? À QUOI SERT-EL

DE LA PÉRIODISATION EN HISTOIRE AFRICAINE. PEUT-ON L'ENVISAGER ? À QUOI SERT-ELLE ? Catherine Coquery-Vidrovitch Verdier | Afrique & histoire 2004/1 - vol. 2 pages 31 à 65 ISSN 1764-1977 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2004-1-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Coquery-Vidrovitch Catherine , « De la périodisation en histoire africaine. Peut-on l'envisager ? À quoi sert-elle ? » , Afrique & histoire, 2004/1 vol. 2, p. 31-65. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Verdier. © Verdier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.81.113.184 - 14/11/2011 15h16. © Verdier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.81.113.184 - 14/11/2011 15h16. © Verdier De la périodisation en histoire africaine. Peut-on l’envisager ? À quoi sert-elle ? Catherine Coquery-Vidrovitch Cet article propose aux contemporanéistes de repenser une périodisation de l’ Afrique à l’échelle continentale, en dépit des difficultés de l’entreprise dues à l’immensité et à la diversité du continent dans le temps et dans l’espace. Une relative unité culturelle peut néanmoins être définie qui dépasse la vision occidentale (avant, pendant et après l’impérialisme colonial). Cette périodisation, tout en exigeant d’être afrocentrée, ne peut être isolée du reste du monde auquel l’ Afrique a appartenu depuis les origines. Elle doit donc à la fois tenir compte de mouvements proprement africains (contraintes de l’environnement, chronologie climatique, évolutions démographique et migratoire, processus culturels…) et de grands événements souvent commandés par l’extérieur qui furent autant de formes de mondialisation: ainsi la domination grecque de l’Égypte puis la conquête romaine de la province d’ Afrique, l’irruption de l’islam, l’arrivée des Portugais, les traites négrières, l’impérialisme colonial, la vague récente des indépendances… Au résultat, un effort mixte, qui témoigne à la fois de facteurs autocentrés et autonomes d’évolution et de manifestations renouvelées de dépendance à travers l’histoire. Il y a eu en , sur le réseau internet international des historiens de l’Afrique (H-Africa), une discussion approfondie pour une périodisation qui ne soit pas démarquée de l’histoire occidentale . Les débats ont été vifs pour, en définitive, conclure à l’extrême difficulté de s’entendre: la périodisation est-elle ou non conce- vable sur un espace si ample, aux histoires si variées? Dépasse-t-elle l’objectif modeste d’un enseignement organisé, destiné à faciliter l’absorption de la com- plexité par des étudiants peu informés ? La question interpelle les contempo- ranéistes, influencés par l’air du temps portant sur la « globalisation » des pro- cessus. Davantage que des collègues spécialisés dans des temps et des aires plus anciens – l’Égypte pharaonique, l’Éthiopie médiévale, le monde musulman des empires… – qui peaufinent des techniques très spécifiquement élaborées, ils Catherine Coquery-Vidrovitch, ancienne élève de l’ENS, est professeur émérite à l’université de Paris VII-Denis-Diderot. Elle est l’auteure, entre autres, de L’Afrique et les Africains au XIXe siècle (A. Colin, ), Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, -(éd. l’EHESS, e éd. ), et, en collaboration avec Henri Moniot, L’Afrique noire de à nos jours (e éd. révisée ). . H-Africa, -nov. , <http://www.h-net.msu.edu/>. 31 De la périodisation en histoire africaine A f r i q u e & h i s t o i r e , 2 0 0 4 , n ° 2 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.81.113.184 - 14/11/2011 15h16. © Verdier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.81.113.184 - 14/11/2011 15h16. © Verdier ressentent le besoin de comprendre le présent – qui est leur champ privilégié – à tra- vers des plongées récurrentes dans le temps long des flux et des héritages. Il importe de restituer ceux-ci dans leur profondeur et leur diversité. Cet essai de périodisation n’a pas de prétention universelle. L’objet est tout au plus de proposer aux contempo- ranéistes, ces généralistes de l’histoire longue (quelle que soit leur spécialité pointue), des grilles de lecture aidant à saisir la complexité du passé qu’ils ont à manier . Je voudrais, dans cette optique, plaider pour l’intérêt de repenser la périodi- sation de l’histoire africaine à l’échelle du continent; à cette échelle, il n’y a pas « une » solution; mais l’exercice s’impose, d’abord parce que, que nous le vou- lions ou non, la vision continentale relève d’une définition spatiale adoptée par les cartographes depuis l’aube des temps modernes, ensuite parce qu’une pério- disation rudimentaire préalable traîne dans les esprits, très peu afrocentrée (« pré- coloniale, coloniale, postcoloniale »); enfin parce que, si la généralisation à petite échelle gomme les variantes immédiates de même qu’une courbe lissée néglige les variations événementielles, elle permet en revanche de procéder à l’histoire comparée: les processus humains sont plus similaires qu’il n’y paraît à première vue d’un bout à l’autre du temps et de l’espace. L’exercice de périodisation aide à déchiffrer les métissages et diffusions culturels incessants chez des populations en mouvement, tardivement sédentarisées. La tentative est audacieuse, car il sera toujours facile, en contrepartie, de critiquer tel ou tel choix, en fonction du domaine de prédilection du lecteur qui ne correspond pas nécessairement à celui de l’auteur ! Pour périlleux qu’il soit, le comparatisme autorise des hypothèses systémiques riches d’idées qui suggèrent, voire exigent à leur tour des études de cas destinées à infirmer ou confirmer les intuitions ainsi canalisées. C’est le mes- sage que propose Lucette Valensi à propos du monde musulman dans une récente livraison des Annales, plaidant pour l’exercice de la comparaison dans les sociétés plurielles : comparer au plus proche, mais aussi à distance, et enfin « comparer l’incomparable », pour « éviter […] l’essentialisme de l’approche endogène; mais aussi pour saisir, s’il y a lieu, les interférences et les résonances entre ensembles présumés distincts ». Cet objectif fait écho au manifeste bref mais percutant de Marcel Détienne . Dans le débat instauré par H-Africa, ans après l’Histoire générale de l’Afrique en huit volumes (UNESCO), les historiens sont partis du mauvais pied. Chacun cherchait à étendre à l’ensemble du continent ce qui ne concernait qu’un fragment de son histoire. Il n’y avait pas adéquation entre l’espace et le temps… Et si la . Les spécialistes des périodes anciennes devront admettre que la périodisation vue à partir du présent ne prétend pas à une précision minutieuse, même si quarante ans d’enseignement universitaire ont imposé à l’auteure de redresser les erreurs majeures (du moins on l’espère) de sa gymnastique intel- lectuelle… Merci aux rédacteurs de la revue, et aussi à Pierre Kipré, pour leur relecture attentive. . L. Valensi (: -). . M. Détienne (). Catherine Coquery-Vidrovitch 32 D o s s i e r Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.81.113.184 - 14/11/2011 15h16. © Verdier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.81.113.184 - 14/11/2011 15h16. © Verdier question d’une contre-typologie opposée à une chronologie démarquée de l’Occident était abordée, une autre question, fondamentale, n’est pas apparue: une périodisation, soit. Mais à quoi ça sert? La périodisation est une construction de l’historien, une façon de souligner les facteurs d’unité et les différences qui font passer de la continuité au changement. Périodiser, c’est dépasser la description linéaire des faits pour proposer une inter- prétation de l’histoire. C’est pourquoi aucune périodisation ne peut être définitive, exclusive d’autres perspectives. Ce sont ces deux éléments que je voudrais aborder successivement. Et d’abord, quelle est la possibilité, la valeur et la portée d’une périodisation? D’autres ont savamment abordé la question . Autant tirer profit de leur réflexion à l’échelle africaine. Critique de la « bibliothèque coloniale » C’est un débat préalable, à la fois sur le temps long et sur les périodes. En longue durée, il est évidemment illégitime de démarquer l’histoire de l’Afrique de ses rapports avec l’Occident, en sus spécifiquement coloniaux: temps précolonial (ou temps long), temps colonial (ou temps moyen), temps des indépendances (temps court, voire immédiat) . Cette partition, fréquemment utilisée, est héritée, selon le mot de Valentin Mudimbe, de la « bibliothèque coloniale » : les colonisateurs, chercheurs inclus, pensaient que la Civilisation, avec un grand C, était unique, judéo-chrétienne, issue en Occident des Lumières et des Temps modernes. Civiliser, c’était christia- niser; au xixe siècle post-révolution industrielle, civiliser, ce devint aussi apporter les bienfaits de l’économie occidentale (de la « monétarisation », disaient alors les colonisateurs, comme si les Africains n’avaient jamais utilisé de monnaies!). Coloniser et moderniser devinrent synonymes, ce qui impliquait que l’Afrique pré- cédente était « sauvage »… . Sur la construction, l’arbitraire, l’utilité et les limites de la périodisation, voir entre autres: A. Prost (: sq.: « La construction historienne du temps »); et J. Leduc (: sq.: « Découper le temps uploads/Histoire/ coquery-vidrovich-caterine-de-la-periodisation-en-histoire-africaine.pdf

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  • Publié le Sep 20, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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