Yvon Lamy Du monument au patrimoine. Matériaux pour l'histoire politique d'une

Yvon Lamy Du monument au patrimoine. Matériaux pour l'histoire politique d'une protection In: Genèses, 11, 1993. Patrie, patrimoine. pp. 50-81. Citer ce document / Cite this document : Lamy Yvon. Du monument au patrimoine. Matériaux pour l'histoire politique d'une protection. In: Genèses, 11, 1993. Patrie, patrimoine. pp. 50-81. doi : 10.3406/genes.1993.1171 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1993_num_11_1_1171 DOSSIER Genèses il, mars 1993, p. 50-81 DU MONUMENT AU PATRIMOINE MATERIAUX POUR L'HISTOIRE POLITIQUE DUNE PROTECTION Yvon Lamy 1. Cité par Ph. Hoyau dans : Les Révoltes logiques, n° 12. L'année du patrimoine. Parmi les travaux consacrés au thème qui nous occupe ici, on retiendra principalement : Quatremère de Quincy, Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l'art de l'Italie. Paris, Éd. Macula, 1989. Alois Riegl, Le culte moderne des monuments, Paris, Le Seuil, 1983. Paul Léon, La vie des monuments français, Paris, Éd. A. & J. Picard, 1951. Françoise Bercé, Les premiers travaux de la commission des MH. 1837-1848. Procès- verbaux et relevés d'architectes. Préface de Jean Hubert. Paris, Éd. A. & J. Picard, 1979. Edouard Pommier, L'art de la liberté. Doctrine et débats de la révolution française, Paris, Gallimard, 1992. Yves Aguilar, « La Chartreuse de Mirande », Le monument historique, produit d'un classement de classe, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°42, avril 82. Alain Bourdin, Le patrimoine réinventé, Paris, PUF, 1984. Isac Chiva & Françoise Dubost, « L'architecture sans architectes : une esthétique involontaire », dans : Études rurales, n° 117, 1990. Henri- Pierre Jeudy, Patrimoines en folie, Paris, L e gentilhomme par politesse inspecta leur musée. Il répétait: charmant! Très bien ! Tout en se don nant sur la bouche de petits coups avec le pom meau de sa badine, et pour sa part, il les remerciait d'avoir sauvé ces débris du Moyen Age, époque de foi religieuse et de dévouements chevaleresques. Il aimait le progrès, et se fut livré comme eux, à ces études intéressantes ; mais la politique, le conseil général, l'agriculture, un véritable tour billon l'en détournait. - Après vous, toutefois, on n 'aurait que des glanes, dit- il, car bientôt vous aurez pris toutes les curiosités du dépar tement. - Sans amour-propre, nous le pensons, dit Pécuchet. » Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet^. La réception publique du passé II n'existe aucune société qui n'évoque d'une manière ou d'une autre son passé et, ce faisant, ne tende à le méta morphoser par la succession de nouvelles conceptions. Toutefois, pour que le passé existe socialement, il faut pouvoir le lier à des « objets » qui, à la manière d'événe ments durables, constituent des repères classés dans le temps, communs à une collectivité ou du moins représent atifs de la vie et de l'histoire d'un groupe social déter miné. De ce point de vue, la restauration périodique, et 50 parfois rituelle (comme au Japon et en Extrême-Orient), des monuments et des centres anciens, ainsi que celle des œuvres d'art, ré-active les événements historiques qui leur sont attachés, en les échelonnant dans la durée 2. Non seulement ces sortes d'opération commémorent les moments créateurs ou fondateurs, ravivent le souvenir des commanditaires et la signature des artistes à l'origine du projet, mais elles consolident au présent, chez les pro priétaires et les utilisateurs de tels sites ou monuments, la conscience d'appartenance à une culture singulière, dis tinctive, souvent territorialisée. De même, les effets de gestion d'un patrimoine protégé le font-ils apparaître comme un des facteurs d'intégration d'une communauté autour d'une référence partagée. Toutefois, les modalités concrètes de démocratisation et de diffusion ne sauraient se comprendre que comme les effets d'un système récent qui, en posant que la culture est patrimoine, ouvre par principe la perspective d'une exten sion illimitée de ses contenus, formes et usages, du point de vue de l'idée républicaine d'une égalité de tous devant l'appropriation collective du passé3. Encore doit-on tem pérer le caractère convenu d'un telle vision: eu égard à l'extension contemporaine des biens patrimoniaux, les mécanismes de sélection renforcent, à l'inverse, leur rareté, soulignent leurs différences hiérarchiques et accen tuent leur degré de séparation d'avec la masse des autres biens (non classés). Ces mécanismes reflètent le système d'opposition des intérêts économiques et politiques révélé par un tel processus. De plus, en matière d'« Affaires cul turelles », l'image de l'État-pédagogue (démocratie cultu relle) se double de celle de l'État-mécène (entreprise patrimoniale). De ce point de vue, il s'avère nécessaire de distinguer, d'un côté, l'appropriation des monuments à protéger par les pouvoirs publics, strictement fondée sur la légitimité de leur sélection officielle, et de l'autre, l'appro priation communautaire de ces mêmes monuments, fon dée sur leur valeur ď emblèmes collectifs. Manifestement, et du point de vue des pratiques culturelles, les rythmes de ces deux sortes d'appropriation ne sont pas en phase. Par définition, la notion de patrimoine est aveugle au processus de création artistique ou institutionnelle. A l'inverse, s'identifiant à l'acquis, elle suppose la pérennité et la réception d'une culture inscrite dans la durée : d'un côté, elle règle les mécanismes de transmission entre Ed. MSH, 1991. Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984- 1993 (trois tomes) et Les France, Paris, Gallimard, 1993 (trois tomes). Françoise Choay, L'allégorie du patrimoine, Paris, Le Seuil, 1992. Alexandre Grandazzi, La fondation de Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1991. Dominique Poulot, « Le patrimoine universel : un modèle culturel français », dans : Revue d'histoire moderne et contemporaine. № spécial : Pour une histoire culturelle du contemporain, 1992. 2. Je tiens à remercier très chaleureusement M. André Texier, contrôleur honoraire des monuments historiques au ministère de la Culture, pour l'accueil exceptionnel qu'il m'a réservé au cours de cette recherche sur l'administration des monuments historiques (MH). Que soient également remerciés pour leur précieuse contribution MM. Jean- Claude Groussard (DRAC Pays de Loire), Alain Rieu (DRAC Poitou- Charentes), Paul Sicouly (DRAC Aquitaine), et, pour leur relecture bienveillante du texte, Michel Offerlé, Sabine Rozier, Robert Salais et Florence Weber. 3. Sur la question de la démocratisation de la protection du patrimoine, on se reportera à l'approche juridique de André-Hubert Mesnard dans Revue de droit public, 1986. T.C II, n° 3, « Démocratisation de la protection et de la gestion du patrimoine culturel immobilier en France », Je remercie Olivier Beaud de m'avoir commmuniqué cette référence. 51 DOSSIER Patrie, patrimoines Yvon Lamy Du monument au patrimoine 4. Dans un article du Monde, daté du 26/09/1982, le critique ďart André Fermigier se demande si une telle dérive ne nous annonce pas tout simplement « la fin des Beaux-Arts ». générations de l'œuvre achevée - monument ou objet d'art - et elle en authentifie l'origine; de l'autre, elle contribue à inscrire celle-ci dans la continuité d'une tradi tion, mais selon un nouvel investissement de sens qui la distingue de celle-là, et qui en propose une autre «lec ture », - consécration officielle de la valeur artistique ou historique, opérations de rénovation, de restauration ou de ré-interprétation dans le goût du temps - enfin, focali sation sur l'aspect emblématique régional ou national. La formation d'un patrimoine d'État, comme domaine unifié de la culture nationale et soumis à des mesures officielles de protection, a été jusqu'à maintenant peu abordée dans le champ des sciences sociales. Seuls les économistes et les juristes se sont intéressés à la question comme telle, les premiers du point de vue du marché spécifique de la restauration des biens meubles et immeubles entraînée par leur protection juridique, et les seconds du point de vue de la limitation du droit de pro priété impliquée par les procédures de classement et d'inscription qui, comme nous le verrons, ont cours en France depuis les lois de 1887 et de 1913. Aussi la logique de cette recherche tient-elle dans son dédoublement en deux registres, à savoir la coexistence du sytème de sélec tion des richesses patrimoniales (les opérations d'inscrip tion et de classement qui s'étendent au-delà de l'architecture noble), et celui de l'administration des modalités de protection (les opérations de restauration et financières). C'est l'histoire de leurs interférences mutuelles qui progressivement conduit de la monumentalité d'hier à la patrimonialité d'aujourd'hui. Ce passage est en réalité une profonde mutation sociale des formes d'intervention opérées par les pouvoirs établis dans le champ complexe de la protection. Le déplacement - d'aucuns préféreront parler de «dérive»4 - du «classement de classe» du Monument Historique vers une sorte de bienveillance culturelle d'État à l'égard du patrimoine - architectural, linguistique, artisanal, coutumier... - des communautés - locales ou nationales - constitue, entre 1975 et 1983, l'axe d'une politique de refus des modalités les plus criantes de l'exclusion culturelle, par la production multipliée de biens « ethniques » intermédiaires, fortement ancrés dans le territoire et capables de fournir à la vie associative les références authentiques du consensus social. 52 Corpus des lois et des décrets de protection en France entre 1887 et 1992 • 1887 (30/03). Première loi sur le classement des Monuments His toriques. Les débats parlementaires avaient commencé dès 1874. Explication. L'intérêt au regard de l'histoire et de l'art avait été affirmé dès 1840 pour opérer le classement des uploads/Histoire/ du-monument-au-patrimoine-materiaux-pour-l-x27-histoire-politique-d-x27-une-protection.pdf

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  • Publié le Mai 14, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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