Émile DURKHEIM (1908) “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie” U

Émile DURKHEIM (1908) “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie” Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: jmt_sociologue@videotron.ca Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Émile Durkheim (1908), “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie ” 2 Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de : Émile Durkheim (1908) “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie ” Une édition électronique réalisée à partir d'un texte d’Émile Durkheim (1908), « Débat sur l’explication en histoire et en sociologie. » Extrait du Bulletin de la société française de philosophie, 8, 1908, pp. 229 à 245 et 347. Reproduit in Émile Durkheim, Textes. 1. Éléments d’une théorie sociale, pp. 199 à 217. Paris: Éditions de Minuit, 1975, 512 pp. Collection: Le sens commun. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 26 septembre 2002 à Chicoutimi, Québec. Émile Durkheim (1908), “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie ” 3 “ Débat sur l'explication en histoire et en sociologie ” par Émile Durkheim (1908) Texte extrait du Bulletin de la Société française de philosophie, 8. Texte reproduit in Émile Durkheim, Textes. 1. Éléments de théorie sociale, pp. 199 à 217. Paris: Éditions de Minuit, 1975, 512 pages. Collection: Le sens commun. M. DURKHEIM. - Je me sens un peu embarrassé pour répondre à l'exposé de M. Seignobos ; car je ne suis pas bien sûr d'être maître de sa pensée. Je voudrais savoir, avant de lui présenter des objections, s'il admet ou non la réalité de l'inconscient. Je ne vois pas clairement quel est son sentiment sur ce point. M. SEIGNOBOS. - Je crois que, parmi les phénomènes inconnus, il y en a certainement qui ont un caractère spontané (par exemple des phénomènes Émile Durkheim (1908), “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie ” 4 physiologiques comme la digestion), qui exercent une action causale indé- niable, mais que nous ne connaissons pas. M. DURKHEIM. - Dans son exposition, M. Seignobos semblait opposer l'histoire et la sociologie, comme si c'était là deux disciplines usant de méthodes différentes. En réalité, il n'y a pas à ma connaissance de sociologie qui mérite ce nom et qui n'ait pas un caractère historique. Si donc il était établi que l'histoire ne peut admettre la réalité de l'inconscient, la sociologie ne pourrait tenir un autre langage. Il n'y a pas là deux méthodes ni deux concep- tions opposées. Ce qui sera vrai de l'histoire, sera vrai de la sociologie. Seule- ment, ce qu'il faut bien examiner, c'est si vraiment l'histoire permet d'énoncer la conclusion, à laquelle aboutit M. Seignobos : l'inconscient est-il l'inconnu et l'inconnaissable ? M. Seignobos dit que c'est la thèse des historiens en général : mais il y en a beaucoup, je crois, qui repousseraient cette affirma- tion. Je citerai en particulier Fustel de Coulanges. M. SEIGNOBOS. - Fustel de Coulanges avait horreur de la notion même de conscience collective. M. DURKHEIM. - Mais il ne s'agit pas en ce moment de conscience col- lective. Ce sont là deux problèmes tout à fait différents. On peut se représenter le conscient et l'inconscient en histoire sans faire intervenir la notion de con- science collective ; ces deux questions n'ont aucun rapport l'une avec l'autre. L'inconscient peut être inconscient par rapport à la conscience individuelle et n'en être pas moins parfaitement réel. Séparons donc les deux problèmes : les idées de Fustel de Coulanges sur la conscience collective n'ont rien à voir ici. La question est de savoir si vraiment en histoire on ne peut admettre d'autres causes que les causes conscientes, celles que les hommes eux-mêmes attri- buent aux événements et aux actions dont ils sont les agents. M. SEIGNOBOS. - Mais je n'ai jamais dit qu'il n'y en avait pas d'autres. J'ai dit que les causes conscientes étaient celles que nous atteignons le plus facilement. M. DURKHEIM. - Vous avez dit que les seules causes que l'historien puisse atteindre avec quelque sûreté sont celles indiquées dans les documents par les agents ou par les témoins. Pourquoi ce privilège ? Je crois au contraire que ce sont les causes les plus suspectes. M. SEIGNOBOS. - Mais au moins les témoins ou les agents ont vu les événements, et c'est beaucoup. Émile Durkheim (1908), “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie ” 5 M. DURKHEIM. - Il ne s'agit pas des événements, mais des mobiles inté- rieurs qui ont pu déterminer ces événements. Comment les connaître ? Il y a deux procédés possibles. Ou bien on cherchera à découvrir ces mobiles objec- tivement et par une méthode expérimentale : cela, ni les témoins, ni les agents n'ont pu le faire. Ou bien on cherchera à les atteindre par une méthode inté- rieure, par l'introspection. Voilà la seule méthode que peuvent s'appliquer à eux-mêmes les témoins et les agents. C'est donc la méthode introspective que vous introduisez en histoire et d'une façon illimitée. Or tout le monde sait combien la conscience est pleine d'illusions. Depuis bien longtemps, il n'y a plus un psychologue qui pense atteindre par l'introspection les causes profondes. Toute relation causale est incon- sciente, il faut la deviner après coup ; on n'atteint par l'introspection que des faits, jamais des causes. Comment donc les agents, qui se confondent avec les actes eux-mêmes, pourraient-ils se rendre compte de ces causes ? Ils se trouvent dans les conditions les plus fâcheuses pour les bien découvrir. Et si cela est vrai des faits psychiques individuels, à plus forte raison en est-il de même des événements sociaux dont les causes échappent bien plus évidem- ment à la conscience de l'individu. Ces causes, indiquées par les agents, loin d'avoir une importance quel- conque, doivent être généralement tenues pour des hypothèses très suspectes. Je ne connais pas pour ma part un cas où les agents aient aperçu les causes avec exactitude. Allez-vous, pour expliquer des phénomènes comme les inter- dits religieux, comme la Patria potestas des Romains, accepter comme fon- dées les raisons que les jurisconsultes romains en donnaient ? Comment expliquer des faits de ce genre, si ce n'est pas une méthode expérimentale opérant lentement et objectivement ? Qu'est-ce que la conscience individuelle peut bien savoir des causes de faits aussi considérables et aussi complexes ? M. SEIGNOBOS. - Nous ne parlons pas des mêmes faits, je parle sim- plement des événements, des faits historiques qui ne se sont produits qu'une fois. M. DURKHEIM. - Mais que dirait-on d'un biologiste qui ne considérerait sa science que comme un récit des événements du corps humain, sans étudier les fonctions de cet organisme ? Et vous-même, d'ailleurs, avez parlé des religions, des coutumes, des institutions. M. SEIGNOBOS. - J'en ai parlé comme de la seconde rangée de phéno- mènes qu'atteint l'historien, et au sujet de laquelle il se sent déjà beaucoup plus mal à l'aise. Émile Durkheim (1908), “ Débat sur l’explication en histoire et en sociologie ” 6 M. DURKHEIM. - Mais vous ne pouvez absolument rien comprendre aux événements proprement dits, aux faits, aux altérations, aux changements, vous ne pouvez étudier ce que vous appelez la première rangée, si vous ne connais- sez pas avant tout les religions, les institutions qui sont l'ossature de la société. M. SEIGNOBOS. - C'est une question. M. DURKHEIM. - Vous reconnaissez, du moins, que, en ce qui concerne les institutions, les croyances, les coutumes, les mobiles conscients des agents ne jouissent plus du privilège que vous leur attribuez en matière d'événements ? M. SEIGNOBOS. - je ne dis pas que les hypothèses des agents sont ici sans valeur, je dis qu'il faut beaucoup plus de critique avant d'admettre ces motifs, car là encore ce sont les motifs conscients que nous atteignons les premiers. M. DURKHEIM. - Ainsi, de toutes façons, ce que l'historien atteint vrai- ment, ce sont les causes conscientes ? Tout le reste lui est inconnu ? M. SEIGNOBOS. - Non pas totalement inconnu, mais plus inconnu que ce qui est conscient. M. DURKHEIM. - Les causes qui sont le plus immédiatement à la dispo- sition de l'historien, ce sont donc les motifs intérieurs, tels qu'ils apparaissent aux agents ? Pourquoi ce singulier privilège ? M. SEIGNOBOS. - Mais c'est bien simple : parce que les agents et les témoins nous offrent une explication des actes conscients. Sans doute ils peu- vent se tromper, et il faut critiquer leurs explications ; mais malgré tout ils avaient un moyen de savoir quelque chose uploads/Histoire/ durkheim-debat-sur-l-x27-explication-1908.pdf

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  • Publié le Apv 04, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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