1 ENCYCLOPEDIE DES NUISANCES 3 Dictionnaire de la déraison dans les arts, les s
1 ENCYCLOPEDIE DES NUISANCES 3 Dictionnaire de la déraison dans les arts, les sciences & Les métiers Mai 1985 - Trimestriel '" '" EXTRAIT DE LARTICLE ENCYCLOPEDIE DE I.:ENCYCLOPEDIE « Nous avons vu, à mesure que nous travatllions, la matière s'étendre, la nomenclature s'obscurcir, des substances ramenées sous une multitude de noms dtfférents, les instruments, les -macbines et les manœuvres se multiplier sans mesure, et les détours nombreux d'un labyrinthe inextricable se compliquer de plus en plus. Nous avons vu combien tl en coûtait pour s'assu- rer que les mêmes choses étaient les mêmes, et combien, pour s'assurer que d'autres quiparaissaient très différentes, n'étaient pas dtfférentes. Nous avons vu que cette forme alphabétique, qui nous ménageait à chaque instant des repos, qui réPandait tant de variété dans le travatl, et qui sous ces points de vue parais- sait si avantageuse à suivre dans un long ouvrage, avait ses diffi·- cuItés qu 'tl fallait surmonter à chaque instant. Nous avons vu qu'elle exposait à donner aux articles capitaux une étendue immense, si l'on y faisait entrer tout ce qu'on pouvait assez natu- rellement esperer d'y trouver; ou à les rendre secs et appauvris, si, à l'aide des renvois, on les élaguait, et si l'on en excluait beau- coup d'objets qu 'tl n'était pas impossible d'en séparer. Nous avons vu combien tl était important et diffictle de garder un juste mtlieu. Nous avons vu combien tl échappait de choses inexac- tes et fausses; combien on en omettait de vraies. Nous avons vu qu 'tl n'y avait qu'un travatl de plusieurs siècles, quipût intro- duire, entre tant de matériaux rassemblés, la forme véritable qui leur convenait; donner à chaque partie son étendue; réduire chaque article à une juste longueur; supprimer ce qu'tl y a de mauvais; suppléer ce qui manque de bon, et finir un ouvrage qui remplît le dessein qu'on avait formé quand on l'entreprit. Mais nous avons vu que de toutes les dtfficultés, une des plus considérables, c'était de le produire une fois, quelque informe qu'il fût, et qu'on ne nous ravirait pas l'honneur d'avoir sur- monté cet obstacle. » Diderot AB ABSURDO Le raisonnement ab absurdo consiste à démontrer la vérité d'une conclusion par l'absurdité de son contraire, Ainsi, quand nous vou/ons démontrer que la conclusion la plus logique au bouleversement ininterrompu de leurs con- ditions d'existence dans lequel se sont, qu 'ils le veuillent ou non, lancés les hommes, est l'accession à l'histoire consciente, en trouvons-nous la preuoe dans l'absurdité de la société aujourd'hui existante; laquelle se montre con- crètement opposée à tout ce qu 'z/ y avait pu y avoir de prometteur dans le processus historique dont elle constitue la conclusion provisoire, Les pseudo-raisonnements qui forment l'ordinaire du conditionnement unilatéral de l'opinion publique sont autant de démons- trations par l'absurde du fait que le déve- loppement de la pensée rationnelle est incompatible avec l'acceptation des cadres actuels de l'expression sociale, Et cette épo- que dans son ensemble paraît s'être donné pour but de convaincre l'humanité, par l'absurde toujours plus manifeste de ses réa- lisations comme de ses destructions, de la nécessité d'expérimenter à grande échelle la seule nouveauté qui fasse horreur à une société si friande de modernisme : la liberté de l'esprit et des conduites, A côté de tant de buts qu'elle proclame, et qu'elle n'attein- dra pas, celui-ci sera peut-être atteint, mais le chemin à parcourir risque d'être éprou- vant, Notre ambition est d'empêcher qu'au cours de ce chemin ne se perdent la capacité et la force de désirer qu'il mène en quelque lieu habitable, plutôt qu'à un champ 45 d'ordures étendu aux dimensions de la pla- nète, Car la corruption de tous les plaisirs et l'effondrement du pauvre confort que garantissait la norme sociale peuvent bien désespérer la soumission, mais pour que les hommes choisissent dans leur majorité les ris- ques vivants de la liberté, il faudra encore qu'ils découvrent concrètement quel emploi émancipateur ils peuvent faire des résultats accumulés par l'histoire aliénée, qu'il s'agisse de moyens matériels ou intellectuels, En attendant, pour éclairer a contrario un projet positif de dépassement, il n'est sans doute pas mauvais de faire voir dans l'his- . .. . toue contemporaine un Immense raisonne- ment par l'absurde exhortant les hommes à délivrer le monde de la marchandise et de l'État. A ce propos, il nous semble utile de citer ici, en réponse à certaines incompréhen- sions, un extrait du Prospectus qui présen- tait notre entreprise de description détaillée de l'absurdité dominante, « L'existence des nuisances étant consta- tée, elle n'appelle que trop rarement les con- clusions qui s'imposent: parce qu'elles ne sont pas comprises dans leur extension (bien au-delà de la seule pollution industrielle) ni dans leur unité (comme production centrale d'une société en guerre contre ses propres possibilités), Il importait donc de présenter sous un jour véridique les efforts incessants qu'accomplissent ces envahissantes consé- quences de leurs actes pour persuader les hommes de la puissance qu'ils ont acquise et les convaincre que leurs déboires ne doi- vent rien qu'à eux-mêmes, Car à travers les plus horribles méfaits d'une production fiè- rement émancipée de tout ménagement pour un quelconque équilibre naturel comme pour toute harmonie ancienne d'un milieu humain, c'est encore la liberté possi- ble d'une époque qui erre désastreusement, et qui précipite dans le malheur historique ce qui se maintenait hors du champ de l'acti- vité humaine ou ce qui se perpétuait d'un passé qui fut meilleur. Voilà une réussite dont cette organisation sociale ne se vante pas, et c'est pourtant la seule incontestable, Nous allons tenter de lui donner la publi- cité qu'elle mérite, sans pour autant avoir la faiblesse de croire qu'en aidant par ce moyen nos contemporains à admettre qu'ils font, pour leur malheur, de part en part leur monde, nous pourrions en quelque sorte les contraindre à le faire librement: qui recher- che la liberté pour autre chose que pour elle- même mérite la servitude, » ABADIE On a généralement oublié que cet Abadie fut l'architecte du Sacré-Cœur, infligé à Pans pour le punir de la Commune, Si nous voulons nous en res- souvenir ce n'est cependant pas pour examiner la production de ce monsieur, quifut aussi médiocre que le luipermit son temps, c'est-à-dire énormément, mais pour considérer à travers cet édifice la forme qu'une ëpoqee de contre- révolution choisit de donner à sa domination, Un des premier chapelains de ce lieu où fut placée cette prothèse blafarde nommée « Sacré-Cœur» de Montmartre, chargée de rendre visible dans le paysage parisien l'un des sommets de la contre-révolution, confes- sait au siècle dernier: « En 1876, cinq ans seulement après la Commune, la population était encore frémissante des haines et des révoltes qui avaient empli son cœur, agité son âme et armé son bras, La vue d'une sou- 46 tane , la rencontre d'un prêtre amenaient l'injure et le blasphème sur ses lèvres, Il n'eût pas été prudent à certaines heures de la journée de s'aventurer dans les rues étroi- tes, montantes et tortueuses, qui donnaient accès à la Butte, Cette population avait assisté, et peut -être participé à l'assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas, Dans la rue des Rosiers, non encore débaptisée, on montrait les planches rougies de sang con- tre lesquelles ce dernier avait été appuyé et les traces des balles qui l'avaient frappé, » (E, Baffie, Le Bon Père Laurent Achzfle Rey, ) Pour tenter de chasser de sa mémoire la peur de son effondrement entrevu pendant ce court instant historique, la bourgeoisie revancharde chargea l'architecte Abadie de dresser dans le dos de Paris ce monument expiatoire édifiant, «paratonnerre sacré» destiné à exorciser la ville des coups de fou- dre révolutionnaires, Symbole du retour à l'ordre et au travail, le « Centre Pompidou» planté cent ans plus tard en plein cœur de Paris marque similai- rement dans sa chair la réalité de sa défaite, Pourtant, pendant les mois qui suivirent mai 68, il n'eût pas été prudent non plus pour un sociologue ou un néo-artiste de se pré- senter comme tel dans le dédale des rues Brantôme, du Maure ou Quincampoix, effacé depuis par la fabrication de ce plat de résistance de la culture officielle et des piteux hors-d'œuvre qui l'accompagnent, Les mêmes convives qui à l'époque se battaient déjà si bruyamment dans l'auge de la récu- pération peuvent désormais trouver où soi- gner leur vieil ulcère culturel. A chaque époque de matérialiser dans l'espace de la ville le projet qui l'anime, Celle-ci aura choisi de livrer ce morceau de ce qui fut Paris aux zouaves de la culture qui défilent sans répit dans cet amas de ferraille et de tubes si géné- reusement offert aux Parisiens pour leur faire oublier ce qu'ils ont laissé échapper au mois de mai 1968, Du sommet de cette Butte qui regarde Paris, Abadie avait cherché à pétri- fier le « Vœu national» de tous ces ruraux qu'effrayaient les révolutionnaires d'une ville qui tentait de dépasser ce qu'elle avait entre- pris en 1789, «Les époques de trouble, d'incertitude et de guerre causent toujours un renouveau uploads/Histoire/ encyclopedie-des-nuisances-fascicule-3-mai-1985-pdf.pdf
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- Publié le Jan 21, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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