Beyrouth historiographie et représentations artistiques de la ville dossier thé
Beyrouth historiographie et représentations artistiques de la ville dossier thématique du cours ISLZ 27 « Histoire contemporaine du Moyen Orient » proposé par Enrica Camporesi Université d'Aix-en-Provence 1 19/12/2010 2 Introduction 1) La formation de la ville contemporaine par ses mythes historiographiques • Naissance d’un imaginaire beyrouthin pendant la mutasarrifiyya • Idéologies nationalistes sous le mandat français: Beyrouth «Suisse et Phoénicie» • Le Pacte Nationale et l’Indépendance: «Beyrouth-Monte Carlo» • Éclat d'imaginaires, éclat d'éspace urbain: Beyrouth «capitale de la douleur» • Politiques des nostalgies d’après-guerre: «Beyrouth-Phénix qui renait des ses cendres» 2) Le plan du centre-ville d’après-guerre: passé congelé, présent absent, future éclaté • La reconstruction par SOLIDERE • La reconstruction par les artistes contemporaines Conclusions Annexes 3 Beyrouth: historiographie et représentations artistiques de la ville De cette ville nous avons fait une légende, mais une légende coupée de l’histoire. Ou alors une légende bâtie sur une histoire tronquée. Elias Khoury1 Introduction Les discours publiques sur la guerre civile et sur la reconstruction de Beyrouth d'après- guerre sont devenus un veritable terrain privilegié d'une nouvelle vague d'expérimentations artistiques qui agissent au niveau conceptuel sur les dimensions propres de la recherche historique: l'individualisation d'un fait historique, l'interrogation de sources primaires et secondaires, l'enquête d'archive, la fiabilité des documents. Les fondamentaux de l'historiographie sont ainsi devenu objet d'un nouveau régard artistique, qui mélange style documentaire et création fictive pour interroger le public.2 En examinant certaines productions culturelles récentes , il s'agit de souligner ici la participation concrète de quelques artistes libanais (théâtre, cinéma-documentaire et arts visuels) dans le débat national sur la recherche historique qui anime le Liban contemporain. En particulier, malgré une “hyperproduction” des imaginaires et des images artistiques sur la guerre, on a souligné3 l'absence de récits historiques capables de connecter ces fragments iconographiques; problematique qui s'explique compte tenu des politiques des governements d'après-guerre, orientées plutôt vers une forme d'amnesie collective des évenements passés.4 En effet, comme l'explique Makdisi: “Increasingly images, or really heaps of images unconnected to each other and to an overarching narrative of redemption and reconciliation, may eventually come to supplant other forms of memory, and eventually other forms of history itself. As such narratives start to fade away, history will increasingly take the form of unnarrated images.”5 L'historiographie du Liban contemporain repose sur la problematique de l'identité nationale libanaise à travers l'affirmation des mouvements nationalistes sous le mandat français: dépuis la fin du XIXème siècle et le debut du XXème, chaque parti politique et chaque communauté a en effet produit sa propre version du “passé libanais” - de la narration fenicienne proposée par al-Kata'ib, à 1 Khoury in Tabet (2001: 58) 2 Voire par exemple l'intretien à Jacques Rancière paru sur: http://findarticles.com/p/articles/mi_m0268/is_7_45/ai_n24354911/?tag=content;col1 (consulté le 15/12/2010). 3 Makdisi, 2006 4 Voire par ex. la Loi d'Amnistie Général du 1991. 5 Makdisi (2006: 205) 4 l'unité pansyrienne du PNSS, jusq'à la version panarabe des filo-nasseriens - l'écriture d'une histoire nationale commune du Liban est devenu un enjeu politique. Selon les observations de Beydoun en Identités confessionnelles et temps social chez les historiens libanais contemporains,6 profondement engagés dans la lutte idéologique, pendant et après la guerre, les historiens apparaissent comme de veritables portes-parole de leur propre communautés, principalement en raison de la présence de la faiblesse de l'État (selon les programmes des écoles publiques, l'enseignement de l'histoire s'arrêtait jusqu'en 1943, date de la fin du mandat français. Il faut rappeler que le secteur publique répresente moins de 40% du système scolaire libanais, constitué pour le reste par les missions et les écoles éuropéennes et americaines religieuses ou séculières qui proposent leur propre programme d'études). Si les differents imaginaires communautaires et partitiques ont ainsi colonisé le terrain de l'histographie, le cas de la reconstruction de Beyrouth d'après-guerre a mis à nu la nécéssité des narrations politiques officielles de se légitimer par des récits historiques prestigieux comme le montre la reconstruction du centre-ville beyrouthin d'après-guerre. 6 Beydun, 1984 5 1. La formation de la ville contemporaine par ses mythes historiographiques En 2001, l'architecte et écrivain libanais Jade Tabet a redigé l'œuvre Beirut: la brûlure des rêves en rassemblant une ventaine de textes des intellectuels les plus critiques face au processus de reconstruction du centre-ville menée par SOLIDERE, entreprise du bâtiments, et profondement animée par l'entreprenuer et leader politique Rafiq Hariri. Comme le souligne le sociologue Nabil Beyhum, la reconstruction du centre-ville est chargée de significations métaphoriques très puissantes: “le déclenchement du conflit, puis son évolution, ont vu l'importance de l'urbain croître dans la guerre: de théâtre, il en est devenu un enjeu, puis un objectif. Trop peu questionnée, trop peu rarement traité en tant que telle, la ville est aujourd'hui au coeur des interrogations, elle est devenu l'axe de la formulation de la reconstruction, le levier de sa mise en oeuvre, la clé de l'avenir. L'urbain décentré est ainsi revenu au centre des interrogations sociales.”7 Cette attention pour la reconstrution de Beirut se justifie prémièrement au travers du paradigme réductionniste qui confond l'image du Liban avec celle du centre-ville de sa capitale. Deuxièmement parce qu'elle permet à la ville de renaître en tant que centre symbolique de puissance (ou de faiblesse) étatique. En plus, les imaginaires développés autour de la ville ont été intériorisés, reproduits et diffusés par ses propres habitants à tel point qu'ils sont devenus sujets de la production culturelle récente ici considérée. • Beyrouth, “Porte de l'Orient” et vitrine de la modernité ottomane Le développement du rôle et du mythe du Beyrouth en tant que ville-intermediaire entre la Mer Mediterranée et le Mont Liban, entre l'Europe et le monde arabe, s'il trouve ses racines historiques dans le passé phénicien et romain, s'affirme au sens moderne, seulement au cours du XIXème siècle, grace à la volonté réformatrice ottomane exprimée dans le Tanzimat, à l'interêt colonial français et aux intellectuels libanaises de la Nahda. Les Capitulations et l'implantation de la monoculture de la soie8 encourageront non seulement les investissements français et formeront une bourgeoisie locale de médiation très active dans les domaines manifacturier, commercial et financier. Redécouverte par Ibrahim Pascia d'Egypte durant son règne syrien (1831-1840), Beyrouth commença à s'imposer comme ville portuaire à l'époque de la mutasarrifiyyah du Mont Liban (1861-1915), en competition avec Acre, Saida, Tripoli, alors que Damas, supplantant Alep, s'affirmait de plus en plus en tant que ville marchande de l'interieur syrien. À travers les concessions sur les services publiques octroyées par le gouvernement ottomane aux investisseurs européens, ce nouveau rôle de ville moderne et dynamique est encouragé: les Compagnies (en majorité française) de tramway et d'éclairage, de gaz, des chemins de fer, deviennent ainsi instruments de l'urbanization et base économique du Mandat français. En 1872, Salim Boustani dans l'article Markazouna (“Nôtre position”) décrivait Beyrouth comme “la Porte à travers laquelle l'Occident entre en Orient où l'Orient a accés à l'Occident”: en effet, grace à son développement économique, culturel et démographique (du 40.000 habitants en 1850, la 7 Beyhum, Nabil (1991:14) 8 Traboulsi (2007: 55) 6 population aurait triplé à la fin du siècle) Beyrouth est devenue la capitale du Bilal al-Cham.9 L'historien Fawwaz Traboulsi a souligné que ce texte était la prémière justification intellectuelle qui legitime le nouveau rôle commercial et politique de la ville, reconnue officiellement capitale de la nouvelle wilayah de Beyrouth (qui englobe le territoire de Nablus à Lattakia) en 1887. Le texte décrit le nouveau sodalice politique entre la Côte, le Mont Liban et le territoire syrien, selon une idéologie pansyrienne en formation qui voyait Beyrouth dans la Syrie Naturelle comme “le bijou de la nation orientale”.10 D'un point de vue architectural, depuis 1860, la notabilité beyrouthine édifie des villas et des palais de style “orientalisant”, selon les architectes italiens solicités pour la reconstruction. Ces villas sont montées sur deux étages, elles sont entourées par un jardin, dont la façade en pierre ramlah de couleur rose ou jaune est décorée par trois arcs. Le toit est bas et composé de tuiles rouges marseillaises (le toit à “fez”!). Face à l'éclatement démographique des années 1950-70 et au phénomène de “betonisation” de la ville, cette architecture va représenter le symbole par excellence de la “Beyrouth-jardin”, ville armonieuse et opulente. De plus, à la fin du XIXème siècle, la nouvelle institution du Conseil Municipal va réaliser les planifications urbanistiques envisagées par les autorités ottomanes selon une nouvelle vague rationaliste-militaire d'inspiration haussmanienne.11 Enfin, l'édification de bâtiments publiques dans l'ancienne ville intra muros (comme le Grand Serail) et la rénovation de la Place de Cannons (Sahat el-Borj, future Place de Martyrs) avec ses jardins publiques à la française et le Petit Serail, destiné à des fonctions institutionnelles, datent également de cette époque. • Idéologies nationalistes sous le mandat français: Beyrouth «Suisse et Phénicie» Si les mandats français établis au Moyen Orient dépuis 1921 posèrent des frontières inédites à la continuité territoriale syro-libanaise de l'époque ottomane, ils ont néonmoins conservè leur symbiose économique: comme l'explique Traboulsi, le détachement politique de la Syrie aurait signifié la mort économique du Liban, alors que l'union économique impliquerait sa mort politique.12 D'un point de vue administratif, le modèle suisse va servir uploads/Histoire/ enrica-camporesi-beyrouth-historiographie-et-representations-artistiques-de-la-ville.pdf
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- Publié le Apv 20, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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