Défense & sécurité internationale, n° 52, octobre 2009 1 Et si on parlait d’Afg
Défense & sécurité internationale, n° 52, octobre 2009 1 Et si on parlait d’Afghanistan ? Entretien avec Olivier Entraygues, lieutenant-colonel, doctorant en histoire des doctrines stratégiques, auteur de Afghanistan, 1979-2009. Une approche militaire de l’Afghanistan ! Mon colonel, vous signez un ouvrage dense et très fouillé qui constitue à la fois une histoire militaire de l’Afghanistan et une réflexion sur les opérations en cours. La presse compare fréquemment l’engagement soviétique dans le pays et le tandem Enduring Freedom/ISAF. Est-ce si pertinent ? Dans la presse le Général Petraeus fut un des premiers à rappeler que l’Afghanistan est surnommé le « Tombeau des Empires ». A partir de cette métaphore il devient facile pour tout journaliste de chercher à faire les liens. Cependant, il est plus difficile pour un lecteur ou un chercheur d’isoler un problème pour l’analyser dans l’absolu. Avec l’engagement militaire en Afghanistan nous avons une chance exceptionnelle. Nous pouvons nous livrer à une analyse comparée, ce qui nous offre la possibilité de plonger notre problématique dans sa dimension relative. En effet, hier la puissante armée Rouge, moteur des armées du Pacte de Varsovie, entrait en Afghanistan pour une campagne longue et difficile. Aujourd’hui, c’est l’OTAN, autre alliance politico-militaire qui intervient sur ce même théâtre, mais en dehors du cadre géographique d’intervention pour lequel elle avait créé. A 20 ans d’intervalle, la 40ème Armée ou l’ISAF possèdent globalement des structures d’état-major identiques. Ces deux états-majors donnent des ordres à des unités subordonnées qui doivent lutter contre un ennemi issu de la même sociogenèse afghane. Hier Moudjahiddine et aujourd’hui Taléban, cette analyse réductrice de l’ennemi, plante le décor puisque l’adversaire est toujours le même : un guerrier afghan. L’histoire, irrévérencieuse, et surtout révolutionnaire, au sens astronomique, c'est-à- dire to revolve, revenir au point de départ, entre alors en scène. Au mois d’avril 1985, après 6 années sans véritable direction politique de la guerre en Afghanistan, Michael Gorbatchev arrive au pouvoir. C’est le début de la 7ème année de guerre pour les Soviétiques. Une nouvelle stratégie est établie : l’Afghanisation. Elle s’accompagne d’une augmentation des effectifs car le nouveau maître du Kremlin veut une victoire militaire avant la fin de l’année. Aujourd’hui, le lecteur se trouve toujours en avril, mais il s’agit du mois d’avril 2009, 7ème année de guerre, pour les Coalisés américano-otanien… Un nouveau président américain annonce une nouvelle stratégie, l’Afghanisation, et une augmentation des effectifs : 21 000 hommes à déployer avant la fin de l’année. Cette fois-ci les planificateurs dits stratégiques viennent de déplacer le curseur de leur variable temps à l’année 2019 ! Ces deux arrêts sur image de l’histoire-militaire, où à tour de rôle la superpuissance du moment se trouve engagée dans une posture délicate, militent pour cette heureuse comparaison faite par la Presse. Je pense profondément qu’il faut même aller plus loin dans l’analyse. A l’instar de la rétro-ingénierie appliquée à une science humaine, que pourrait être la tactigologie ou tacticographie, nous voyons que les études historiques réalisées à partir d’un éventail des 20 conflits contemporains1 montrent que la durée moyenne d’une contre- insurrection victorieuse est de 15 années. En cette fin été 2009, 7ème année de guerre pour le tandem « OEF-ISAF », nous sommes statistiquement au point médian. En valeur absolue, les 1 Les Philippines, la rébellion Huk, l’Indochine, le Laos, le Vietnam, la Chine, le Népal, la Malaisie, l’Indonésie, la révolte arabe, les Basmatchis, le Pérou, Cuba, El Salvador, l’Irlande, l’Espagne, la Côte d’Ivoire, l’Algérie et l’Irak. Défense & sécurité internationale, n° 52, octobre 2009 2 chiffres n’apportent pas d’éclairage pertinent. En revanche en valeur relative ils peuvent néanmoins servir d’indicateurs et éclairer vers la direction à prendre ou à proscrire. Le tableau dressé ci-dessous a pour modeste ambition de comparer les engagements soviétique et américano-occidental à cet instant médian de la campagne de Contre-insurrection. Il est donc selon moi bien pertinent de comparé les deux engagements car il nous offre une véritable dimension relative ! 7ème année de guerre 1.077 9.367 Tués Troupes Pop. afghane Avril 2009 Avril 1985 Helicoptéres 120.000 51.000 15 Mi 31 Mi ANA 240.000 81.000 + 21.000 650 216 Réfugiés 3 Mi ? + 195 Renforts fin 1er semestre Vous évoquez l’art de la guerre islamique, en particulier l’ouvrage de S.K Malik, The Quranic concept of war. En quoi sommes-nous inadaptés dans notre façon d’aborder ce type de vision de la guerre ? Cette question est particulièrement difficile car elle renvoie à la définition des buts de guerre. En tant qu’officier je peux difficilement me lancer dans un domaine qui sort de mon champ de responsabilité car il engerbe la dimension politico-militaire. En revanche, en tant que doctorant en histoire des doctrines stratégiques je vais essayer d’y répondre. J’étudie depuis plusieurs années la pensée du Major-general J.F.C Fuller. A la fin de sa vie, en 1961, Fuller publie un ouvrage qui synthétise à la fois la totalité de sa pensée et de ses écrits depuis son admission au Staff college en 1913, et apporte un éclairage transhistorique de la conduite de la guerre. La conduite de la guerre, de 1789 à nos jours commence par le paragraphe suivant : « « …Le premier, le plus important, le plus décisif acte de jugement qu’un homme d’Etat ou un commandant en chef exécute consiste alors dans l’appréciation correcte du genre de guerre qu’il entreprend, afin de ne pas la prendre pour ce qu’elle n’est pas et de ne pas vouloir en faire ce que la nature des circonstances lui interdit d’être. » Voilà ce qu’écrivait Clausewitz il y a cent trente ans, et, si les hommes d’Etat et les généraux des deux guerres mondiales avaient tenu compte de ces paroles, ils ne se seraient pas trompés comme ils l’on fait. Ne pas considérer la guerre pour « ce que, par la nature des circonstances, il lui Défense & sécurité internationale, n° 52, octobre 2009 3 est interdit d’être » est un problème d’histoire, de répercussions des changements de la civilisation sur les conflits humains. » D’emblée, Fuller pose le problème. Quelle pourrait-être la nature des circonstances, aujourd’hui en Afghanistan ? Refuser de répondre à cette question, c’est ne pas vouloir chercher à s’adapter au type de guerre que mènent nos ennemis. J’emploie ici volontairement le terme ennemi car nous abordons le cadre politique de l’engagement, c'est-à-dire de la guerre d’Afghanistan. Or s’il s’agit d’une guerre, sur le terrain, le soldat, voire le spectateur derrière son poste de télévision, doit donc pouvoir discriminer l’ami de l’ennemi ! Depuis plusieurs mois, j’ai été amené à travailler avec Gilles Dorronsoro, un des plus grands spécialistes français de la sociopolitique de l’Afghanistan. Ses recherches montrent que les Taléban proposent un retour au jihad pur des premières années, avec en plus, un refus des partis politiques qui sont accusés d’être à l’origine de la guerre civile. Ainsi les troupes de la coalition qui opèrent en Afghanistan, encombrées par leurs impedimenta de valeurs occidentales, agissent en terres d’islam et font face à une véritable croissantade conduite par les insurgés afghans. Face au problème posé par cette situation singulière, il faut bien admettre que les armées sont actuellement dépourvues de doctrine, de stratégie, de tactique voire de philosophie de penser. En effet, face au terrorisme islamiste, au réseau des insurgés afghans, aux Taléban ou aux poseurs d’IED de Kapiça, qui d’entre nous s’efforce quotidiennement de chercher à comprendre les schémas mentaux de l’Islam, du Coran, des propos des Frères musulmans ou des prêches de l’Ayatollah Khomeiny ? Alors que ces éléments sont sous- jacents à nos sociétés occidentales, ils sont trop souvent rejetés du cadre didactique des écoles militaires. Ainsi, en Afghanistan, l’engagement militaire américano-occidental tutoie largement les canons d’une guerre idéologiques, il est donc nécessaire de se tourner vers les écrits de nos ennemis du moment pour appréhender intellectuellement l’adversaire. Les officiers pakistanais, qui sont nos alliés dans la lutte contre les Taléban affirment que l’ouvrage publié en 1979 par le général de brigade S.K Malik, ancien chef de l’ISI, The Quranic concept of war, sert actuellement de livre de chevet aux insurgés afghans. La doctrine définie par le brigadier Malik montre que la philosophie coranique de la guerre s’inscrit totalement dans l’idéologie du Coran. Il synthétise la définition du jihad en écrivant: “‘Jehad’, the Quranic concept of the total strategy, demands the preparation and application of total national power and military instrument is one of its elements. As a component of total strategy, the military aims at striking terror into the hearts of the enemy from the preparatory stage of the war while providing safeguards against being terror- stricken . Under ideal conditions, Jehad can produce a direct decision and force its will upon the enemy.” La thèse de Malik souligne que l’Islam est un Etat universel en lutte permanente contre le monde non-Islamique. Grâce à cette éclairage philosophico-idéologique, la doctrine des insurgés afghans devient alors immédiatement plus lisible. En Afghanistan, l’action des troupes américano-américaine est synonyme de guerre dans le milieu social, milieu caractérisé par l’ummah. Sous le prisme historique de la uploads/Histoire/ entraygues-afghanistan.pdf
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- Publié le Mar 28, 2022
- Catégorie History / Histoire
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