L’ONU, LES CONFLITS INTERNES ET LE RECOURS A LA FORCE ARMÉE par Chantal de JONG

L’ONU, LES CONFLITS INTERNES ET LE RECOURS A LA FORCE ARMÉE par Chantal de JONGE OUDRAAT (*) Depuis la fin de la guerre froide les conflits internes sont devenus la forme de violence la plus pernicieuse du système international. Des millions de personnes ont été tuées dans des conflits internes. Des millions d’autres ont été déracinées à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières de leur pays d’ori- gine à cause de ce type de conflit. Les conflits internes sont une des plus grandes menaces pour la paix et la sécurité internationales aujourd’hui, et selon toute probabilité ils continueront à l’être dans l’avenir. L’Organisation des Nations Unies (ONU) a été et continuera d’être au centre des efforts internationaux visant à résoudre les problèmes de paix et de sécurité inter- nationales. Depuis la fin de la guerre froide, elle a concentré ses énergies sur la gestion et la résolution des conflits internes. Entre 1989 et 1999, l’ONU a organisé 39 opérations de maintien de la paix, dont 36 visaient des conflits internes. À plusieurs reprises, l’ONU a pris des mesures coercitives ayant pour but de persuader ou de convaincre les parties belligérantes d’arrêter les combats et de rétablir la paix. Toutefois ces mesures n’ont abouti qu’à des résultats mitigés. Ceci a poussé certains commentateurs à considérer que la communauté internationale et l’ONU ne devraient pas s’immiscer dans des conflits internes quand les différentes parties du conflit ne donnent pas leur assenti- ment à une intervention internationale (1). Mais la communauté internatio- nale ne peut pas – ne devrait pas – ignorer les conflits internes. Ils consti- tuent presque toujours une menace pour la paix et la sécurité régionales et impliquent souvent les États limitrophes (2). Même si ceux-ci ne sont pas directement impliqués dans les hostilités, ils auront presque toujours à gérer un problème des réfugiés. Les conflits internes impliquent souvent des atta- ques directes et délibérées sur les populations civiles, des problèmes de réfu- giés surviennent presque invariablement, ce qui peut poser de sérieux pro- (*) Chercheur associée, Carnegie Endowment for International Peace, Washington DC. (1) Voir, par exemple, Thomas G. Weiss, « Overcoming the Somalia Syndrome – Operation Rekindle Hope? », Global Governance, 1(2), mai-août 1995, pp. 174-178; et Duane Bratt, « Explaining Peackeeping Performance : The UN in Internal Conflicts », International Peacekeeping, 4(3), automne 1997, pp. 45-70. (2) Voir Michael E. Brown, « The Causes and Regional Dimensions of Internal Conflict », in Michael E. Brown, ed., The International Dimensions of Internal Conflict, Cambridge, Mass : MIT Press, 1996, pp. 590-599. blèmes de paix et de sécurité régionales (3). Les conflits internes peuvent aussi créer des problèmes économiques et militaires pour les pays limi- trophes, ce qui peut provoquer des instabilités politiques, voire des guerres interétatiques. De plus les conflits internes posent souvent des questions d’ordre moral. Comment ne rien faire quand un génocide ou de graves viola- tions des droits de l’homme sont perpétrés? Les critiques formulées à l’encontre de l’ONU après la génocide en Rwanda et la chute de Srebrenica, ainsi que l’incapacité de l’ONU d’articu- ler une réponse collective face aux événements au Kosovo ont poussé le Secrétariat de l’ONU à engager une réflexion approfondie sur son rôle dans les conflits internes et a ressuscité le débat sur la question d’intervention militaire. Pour le Secrétaire général de l’ONU, « la principale leçon de Srebre- nica est qu’une tentative délibérée et systématique de terrifier, d’expulser ou d’assassiner un peuple tout entier doit susciter non seulement une réponse déci- sive mettant en œuvre tous les moyens nécessaires, mais aussi la volonté politi- que de mener cette réponse jusqu’à sa conclusion logique. Dans les Balkans, cette leçon a été donnée non pas une, mais deux fois en une décennie. Dans un cas comme dans l’autre, en Bosnie et au Kosovo, la communauté internationale a essayé de négocier un règlement pacifique avec un régime meurtrier et sans scrupules. Dans les deux cas, il a fallu recourir à la force pour mettre un terme aux expulsions et tueries planifiée et systématiques de civils » (4). Kofi Annan se fait ainsi le champion de l’intervention à but humanitaire. En revanche une majorité d’États s’est exprimée, lors de la 54e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, contre l’intervention dans les affaires intérieures des États, et a rejeté la notion d’un droit d’intervention même en cas de violations graves des droits de l’homme. Il semble également de plus en plus difficile d’organiser une réponse collective au sein du Conseil de sécurité face aux conflits internes. Il est clair que le débat sur l’intervention militaire dans les conflits internes s’intensifiera dans les années à venir. Nous n’aborderons pas ici la question de la légalité ou de la légitimité de telles interventions, et nous ne rentrerons pas dans la controverse provoquée par l’intervention des États- Unis et ses alliés européens au Kosovo, quand ils ont lancé l’opération mili- taire sans autorisation du Conseil de sécurité. Cet aspect de la question est traité ailleurs. Nous nous intéresserons en revanche à l’efficacité du recours à la force. Quelles sont les conditions qui déterminent le succès des interven- tions militaires dans les conflits internes? Indépendamment des arguments juridiques, c’est en effet le succès ou l’échec des opérations qui détermine- ront si de telles opérations seront reconduites oui ou non. chantal de jonge oudraat 818 (3) Le Conseil de sécurité a reconnu en 1997 que le déplacement massif de populations civiles dans des situations de conflits pouvait menacer la paix et la sécurité internationale. Voir la déclaration du Président du Conseil de sécurité, S/PRST/1997/34, 19 juin 1997. (4) Voir le rapport du Secrétaire général de l’ONU, « La chute de Srebrenica », A/54/549, 15 novembre 1999, paragraphe 502. LE RECOURS À LA FORCE ARMÉE : UN BILAN MITIGÉ La Charte des Nations Unies confère d’immenses pouvoirs au Conseil de sécurité dès lors qu’il se saisit d’un problème. Comme on le sait, leur exer- cice est lié à l’entente, et au minimum à l’absence de mésentente entre ses membres permanents, de sorte que durant toute la période de l’affronte- ment Est-Ouest le Conseil n’a pu exercer que marginalement ses responsabi- lités, et en particulier recourir à des moyens coercitifs. En outre, il n’a pu disposer des moyens militaires qui, aux termes de la Charte, auraient dû être mis à sa disposition par les États membres. Aussi s’est-on rabattu sur un usage des militaires de manière non coercitive. Les « opérations de main- tien de la paix » – non prévues par la Charte – ont été développées progressi- vement, en réponse à des situations conflictuelles bien particulières. Elles ont initialement été perçues comme des moyens de limiter les crises, l’idée maîtresse étant qu’elles circonscriraient les conflits régionaux, et empêche- raient une escalade vers une confrontation directe Est-Ouest. C’était ce que l’ONU pouvait faire de mieux en raison de l’absence de consensus parmi les cinq membres du Conseil de sécurité et de l’impossibilité d’invoquer le Cha- pitre VII. Avec la fin de la guerre froide, le principal obstacle aux actions réalisées en application du Chapitre VII a disparu, et nombreux ont été ceux qui ont pensé que l’ONU pourrait enfin défendre les principes énoncés en 1945 et devenir un gardien efficace de la paix et la sécurité internatio- nales. Dans l’euphorie des premières années de l’après-guerre froide, certains ont même pensé que le Conseil de sécurité pourrait dorénavant utiliser l’en- semble des mesures prévues par la Charte, y compris l’usage de la force mili- taire. Beaucoup de nouvelles opérations de maintien de la paix ont été lancées à la fin des années 80 et au début des années 90. Elles étaient pour la plu- part radicalement différentes des opérations de maintien de la paix tradi- tionnelles. On peut synthétiser ces différences en plusieurs points. Première- ment, la majorité de ces opérations a été initiée en réponse à des conflits internes, et non à des conflits interétatiques (5). Deuxièmement, les tâches confiées aux troupes de l’ONU étaient bien plus complexes que la simple séparation de forces adverses et le contrôle des cessez-le-feu. Elles compre- naient tant des actions militaires, que politiques ou économiques telles que la démobilisation et le désarmement des forces armées, la mise en place et la vérification du suivi d’accords politiques, la mise en place et le suivi de réformes judiciaires, constitutionnelles et politiques, l’organisation et le onu, conflits internes et force armée 819 (5) Sur les cinq opérations de maintien de la paix en cours au début 1988, quatre concernaient des conflits interétatiques et un seul concernait un conflit intraétatique. Sur les 21 opérations instaurées entre 1988 et 1995, seules 8 concernaient des conflits interétatiques et 13 des conflits intraétatiques. Sur les 11 opérations instaurées entre 1992 et 1995 toutes sauf deux (82 %) concernaient des conflits intraétatiques. Voir Supplément à un agenda pour la paix, A/50/60-S/1995/1, 3 janvier 1995, paragraphe 11. suivi des élections, l’organisation des forces de police locales, la vérification du respect des droits de l’homme, et la promotion du développement écono- mique. Troisièmement, uploads/Histoire/ fd001201-pdf.pdf

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  • Publié le Mar 28, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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