Revue des Études Grecques Ἀγεωμέτρητος μηδεὶς εἰσίτω. Une inscription légendair
Revue des Études Grecques Ἀγεωμέτρητος μηδεὶς εἰσίτω. Une inscription légendaire Henri-Dominique Saffrey Résumé Une tradition, qui ne remonte pas au delà du IVe s. ap. J.-C, veut qu'une inscription ait été placée à l'Académie de Platon, disant : « Nul ne doit entrer ici, s'il n'est géomètre. » Les témoins de cette tradition sont : le scholiaste d'Aelius Aristide, l'empereur Julien, Jean Philopon, Olympiodore, Elias, David et Tzetzès. Bien que la formule exprime une idée platonicienne et qu'une telle inscription soit conforme aux usages de la vie religieuse grecque, il doit s'agir d'un lieu commun littéraire, datant de la période hellénistique, puisque la même tradition existe aussi pour le Péripatos et le Jardin d' Epicure. Citer ce document / Cite this document : Saffrey Henri-Dominique. Ἀγεωμέτρητος μηδεὶς εἰσίτω. Une inscription légendaire. In: Revue des Études Grecques, tome 81, fascicule 384-385, Janvier-juin 1968. pp. 67-87; doi : 10.3406/reg.1968.1013 http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1968_num_81_384_1013 Document généré le 26/05/2016 ΑΓΕΩΜΕΤΡΗΤΟΣ ΜΗΔΕΙΣ ΕΙΣΙΤΩ Une inscription légendaire Dans son Platon (1), Wilamowitz rapporte l'anecdote de l'inscription sur la porte de l'Académie : « wer von Géométrie nichts versteht, hat hier keinen Zutritt. » II rappelle que Goethe (2) connaissait cette maxime, et la citait pour illustrer la pensée que l'on se plaît à répéter de nombreux proverbes des Anciens, qui prennent avec le temps un sens tout différent de leur signification originelle ; dans une note, le philologue demande s'il existe pour cette légende d'autres témoignages que les quelques vers d'un byzantin du xne siècle, Jean Tzetzès ! Cependant, trente ans avant Wilamowitz, Éd. Zeller (3) avait déjà signalé deux autres témoins, Jean Philopon et David, qui datent du vie siècle ; et, dans un célèbre article, 0. Weinreich (4) avait ajouté les noms d'Olympiodore et d'Elias, philosophes enseignant à Alexandrie à la fin du vie siècle. On peut aujourd'hui faire encore reculer de deux siècles l'origine (1) V. v. Wilamowitz-Moellendorff, Platon2, Bd. I, Berlin 1920, p. 495 et n. 2. (2) Goethes Werke..., Bd. 42, 2. Abt., Weimar 1907, pp. 188.22-189.20, Maximen und Reflexionen... aus Makariens Archiv ; « Verschiedene Spriiche der Alten, die man sich ôfters zu wiederholen pflegt, hatten eine ganz andere Bedeutung, als man ihnen in spàteren Zeiten geben môchte ». (3) Ed. Zeller, Die Philosophie der Griechen*, Bd. II 1, Leipzig 1889, p. 411, n. 3. (4) O. Weinreich, De dis ignotis quaestiones seledae, dans Archiv fiir Reli- gionswiss. 18, 1915, p. 16. Comme l'histoire est un perpétuel recommencement, Weinreich (Neue Jahrbiicher fur Wiss. und Jugendbildung 6, 1930, pp. 591-592) devait rappeler ces témoins plus anciens à G. Kerchensteiner (ibid., p. 337 et, n. 2) qui ne connaissait toujours que le témoignage de Tzetzès. 68 H. D. SAFFREY de cette anecdote et produire, d'une part, une scholie sur Aelius Aristide où l'inscription est explicitement rapportée ; d'autre part, une allusion de l'empereur Julien dans un discours que l'on date communément de 362. Nous voici ramenés au milieu du ive siècle, dans le cercle des rhéteurs et des philosophes athéniens, sur lequel nous ne savons pratiquement rien. Cette information passagère n'en est que plus précieuse. Άγεωμέτρητος μηδείς είσίτω, nul ne doit entrer ici, s'il n'est géomètre : dans cette formule, on peut distinguer la forme et le fond. Pour le fond, elle traduit une doctrine authentiquement platonicienne, celle de la place propédeutique des mathématiques élémentaires dans l'éducation du philosophe. On se souvient que la géométrie plane, après le calcul et avant l'astronomie, la géométrie dans l'espace et l'harmonique, fait partie du programme d'études qui doit préparer à la dialectique le gardien de la République (VII, 526 G - 527 C) (5). C'est encore ce même programme (les nombres, la géométrie, l'astronomie) qui constitue les prolégomènes à la connaissance du Bien, dans la leçon Περί τάγαθοΰ (6). Pour se persuader que ce programme d'études était toujours en usage au me siècle de notre ère, il suffît d'évoquer le traité de Théon de Smyrne. De même que l'on doit donner aujourd'hui des présentations de Platon « for those who have no Greek », ainsi fallait-il à cette époque-là composer, en guise d'introduction à la philosophie, une expositio rerum malhematicarum ad legendum Platonem utilium (7). A la même époque, ou peu s'en faut, Plutarque (5) Cf. H. Cherniss, The Riddle of the Early Academy, Berkeley and Los Angeles 1945, pp. 66-68 et 82; H. Herter, Platons Akademie, 2. Aufl., Bonn 1952, p. 11 et les notes p. 31 ; P. Friedlânder, Plato, vol. I (trad. angl. : Bollingen Series LIX), New York 1958, pp. 92 ss. (6) Cf. Aristoxène, Harm. II 30, p. 122. 25-27 Macran : ... οτε δέ φανείησαν οι λόγοι περί μαθημάτων και αριθμών καΐ γεωμετρίας και αστρολογίας και το πέρας δτι τάγαθόν έστιν εν. Sur ce texte, voir I. During, Aristotle in the ancient biographical Tradition, Goteborg 1957, pp. 357-361 ; et Κ. Gaiser, Platons ungeschriebene Lehre, Stuttgart 1963, p. 452 (test. 7). (7) Éditions : Ed. Hiller, Leipzig 1878, et J. Dupuis, Paris 1892, et cf. Κ. von Fritz, apud Pauly-Wissowa, s.v. Theon (14), Bd. V A 2, col. 2067, 14 ss., en particulier col. 2070. 41-48. ΑΓΕΩΜΕΤΡΗΤΟΣ ΜΗΔΕΙΣ ΕΙΣΙΤΩ 69 nous rapporte dans ses Propos de table que ses amis et lui, le jour anniversaire de la naissance de Platon, discutaient sur le thème : Πώς Πλάτων έλεγε τον θεον άεί γεωμετρεΐν(8). Nous apprenons ainsi que cette question était disputée dans l'école, et Plutarque se fait le porte-parole de son maître Ammonius (9), probablement diadoque de Platon à l'Académie, tandis que son ami Tyndarès de Sparte interprète ce mot prêté à Platon par la nécessité d'étudier la géométrie avant de se livrer à la théologie (10). Il apparaît alors que ces deux maximes : ό θεός άεί γεωμετρεΐ et άγεωμέτρητος μηδείς είσίτω pourraient être corrélatives (11) ; ne trahiraient-elles pas une réaction de santé, dans la ligne du platonisme traditionnel, à l'égard de ce «déclin du rationalisme» (12) qui caractérise cette période ? Voilà pour le fond. Pour la forme, cette inscription rappelle celles que l'on pouvait effectivement lire à l'entrée de temples en Grèce depuis les temps les plus reculés. En Grèce, les lieux de culte ont toujours été considérés comme la résidence des dieux et ils n'étaient pas nécessairement ouverts à tout le monde. Certaines catégories de personnes pouvaient en être exclues, comme les étrangers ou les esclaves, ou bien l'accès des sanctuaires pouvait être interdit soit aux hommes soit aux femmes. On plaçait alors à l'entrée du temple une inscription comme celle-ci, retrouvée à Milet : θεός Ιπεν γυναίκας ες τώρακ[λέος μη είσίεναι, c'est-à-dire : « le dieu dit que les femmes ne doivent pas entrer dans le sanctuaire d'Héraklès » (13). Or, précisément au début du IIe siècle, nous voyons (8) Plutarque, Quaest. cnnv. VIII 2 (= Mor. 718 B-720 G). (9) Ibid. 719 F : ακούσατε τον μάλιστα παρά τοις καθηγηταϊς ημών εύδοκιμοΰντα περί τούτου λόγον. Sur Ammonius, maître de Plutarque, cf. K. Ziegler, apud Pauly-Wissowa, s.v. Plutarclws (2), Bd. XXI 1, col. 651.44- 653.25 et pour le passage cité, 652.56-64. Sur ce texte, cf. K. Gaiser, op. cit., pp. 552-563 (test. 69). (10) Ibid., 718 C-F, Sur le personnage, cf. Ziegler, Z.c, col. 686. 51-65. Pour la doctrine, comp. Plotin I 3 (20), 3.6-10 : τα μέν δή μαθήματα δοτέον προς συνεθισμον κατανοήσεως και πίστεως ασωμάτου... και μετά τα μαθήματα λόγους διαλεκτικής δοτέον και δλως διαλεκτικόν ποιητέον. (11) Comme l'a bien vu L. Bieler, ΘΕΙΟΣ ANHP, Bd. I, Wien 1935, p. 77, n. 9 et peut-être aussi I. Thomas, Selections illustrating the History of Greek Mathematics (Loeb class, library), London 1951, vol. I, p. 386 ss. (12) Cf. A.-J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, vol. I, 2e éd., Paris 1950, chap. 1, pp. 1-18. (13) On trouvera une collection de témoignages littéraires et épigraphiques dans Th. Wàchter, Reinheilsvorschriften im griechischen Kull (RGVV. IX 1), 70 H. D. SAFFREY Théon de Smyrne (14) comparer la philosophie à une initiation au mystère véritable (την φιλοσοφίαν μύησιν φαίη τις αν άληθοΰς τελετής) ; et petit à petit, surtout avec le néoplatonisme, on en viendra à considérer la vie philosophique comme une consécration religieuse et à imaginer l'éducation du philosophe sur le mode de l'entrée en religion. Il était donc normal que l'on empruntât aussi aux coutumes religieuses des traits caractéristiques pour les transposer dans le cadre scolaire. Le dieu qui parle maintenant, c'est Platon, et il prononce au seuil de son temple, l'Académie : άγεωμέτρητος μηδείς είσίτω. Nous connaissons d'autre part un lieu commun littéraire dont la forme est très voisine de celle de notre inscription. Il prend naissance dans l'une des lettres attribuées à Diogène le Cynique et que l'on trouve dans les Epistolographi graeci de Hercher (15). On sait que ces lettres sont des faux littéraires et forment un recueil artificiel dans lequel on peut distinguer plusieurs groupes (16). Celle qui nous intéresse pourrait dater des alentours de l'ère chrétienne. Diogène y est décrit dans une situation qu'Ed. Norden a comparée à celle de saint Paul arrivant à Athènes (17). Lui, arrive à Cyzique, et observe que uploads/Histoire/ geometritos-midis-e-sito-pdf.pdf
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- Publié le Dec 15, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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